Les élections parlementaires au Liban étaient très attendues par les Libanais ployant sous le poids d’une crise économique sans précédent, et déçus par une classe politique connue pour sa corruption et ses prévarications. La communauté internationale, quant à elle, observait avec grand intérêt ce scrutin qui a témoigné d’un recul considérable de la milice du Hezbollah et son allié, le Courant Patriotique Libre.
Les Libanais ont dit leur mot… un mot ferme mais exténué, arraché au forceps de la gorge des urnes à cause des fraudes massives signalées dans plusieurs circonscriptions, et des menaces expressément proférées et fièrement clamées par le camp du Hezbollah. Le verdict est tombé comme un couperet sur l’alliance mafia-milice qui verrouillait l’Etat libanais pendant la dernière décennie. Le bloc de l’alliance Hezbollah-Amal-CPL et leurs consorts pro-syriens, substrat résiduel de l’occupation syrienne au Liban, perd dix sièges et se voit dépouillé du fameux « 50%+1 » qui bloquait toute prise de décision souverainiste ou réformiste au Liban.
Cette révolution dans les urnes n’est pas uniquement un vote contestataire et dégagiste faisant parvenir au parlement 14 figures de la révolution du 17 octobre 2019. C’est un vote d’une réaffirmation ; celle de la tendance souverainiste, affaiblie après plusieurs événements sécuritaires et attentats politiques visant des personnalités de l’ancienne coalition du 14 mars.
L’occupation armée de Beyrouth par le Hezbollah en mai 2008 a fait reculer le camp Hariri, propulsé dans un cercle vicieux de compromis responsables, 14 ans plus tard, de son abstention aux législatives.
Tout augurait un découragement des électeurs : les attentats contre plus d’une dizaine de personnalités depuis 2004, la participation du Hezbollah à la guerre syrienne plaçant le Liban dans l’œil du cyclone torride d’un Moyen-Orient instable, la privation des Libanais de leurs droits les plus fondamentaux.
En effet, les contrebandes de denrées alimentaires et carburants à travers une frontière libano-syrienne poreuse ont privé les Libanais des produits de première nécessité. Le Hezbollah, allié vital du régime de Damas sous embargo international, était la principale source de ravitaillement pour le régime. L’explosion du port de Beyrouth en août 2020 a mené à des vagues migratoires sans précédent, dépassant les 1000 voyageurs par jour. Le blocage de l’enquête sur cet événement tragique, toujours par le même camp, a suscité un dégoût populaire, surtout après les parades armées du Hezbollah dans des quartiers résidentiels chrétiens, situés sur l’ancienne ligne de démarcation, en octobre 2021.
Au moment où l’on s’attendait à une léthargie démocratique, la surprise fut foudroyante pour le Hezbollah et son allié chrétien aouniste.
Dans les bastions du Hezbollah, notamment dans les circonscriptions « sud 3 » et « Baalbeck-El Hermel »- à la frontière libano-syrienne- le vote contestataire chiite fut important. Il s’est manifesté sous forme d’abstention par peur d’une intimidation dans les bureaux de vote, où les assesseurs du Hezbollah étaient fortement présents jusque dans l’isoloir.
Depuis plus de deux décennies, la représentation chiite se limitait au tandem chiite Hezbollah-Amal, dans ces deux circonscriptions. Le vote chrétien à Baalbeck-El Hermel était étouffé par une loi majoritaire. La proportionnelle a fait élire un député chrétien avec des votes issus d’un taux de participation chrétien à plus de 75%, alors que le vote chiite dans la même circonscription n’a pas atteint les 30%. Le revers essuyé par le camp du Président Aoun qui se targuait de sa majorité chrétienne, ombrelle de légitimité pour la milice pro-iranienne, a fait progresser le parti chrétien des Forces Libanaises élu avec plus de 68% des électeurs chrétiens. Les équilibres ont changé, non seulement au niveau des chiffres, mais radicalement dans les choix politiques des Libanais.
Le parlement issu de ce suffrage a tout d’une structure éclatée.
La percée des révolutionnaires et des figures indépendantes pourrait fragiliser les revendications souverainistes. La priorité pour ce camp est le changement du système politique bâti sur l’équilibre communautaire, le bannissement du confessionalisme pourtant garant de la représentativité de la diversité libanaise et la limitation du système libéral économique libanais. Cependant, si le Liban souffre depuis plus de 40 ans, c’est à cause de sa souveraineté tirée à hue et à dia, du port d’armes illégales par le Hezbollah ou dans les camps palestiniens, de la symbiose entre les corrompus et les détenteurs d’armes. Le nouveau bloc majoritaire réussira-t-il à dialoguer ? le Liban-message, tel que qualifié par le Pape Jean-Paul II, est en danger de mort. La question de la souveraineté est la clé de voûte pour toute réforme économique, sociale et politique. Une première échéance mettra à l’épreuve la solidité de ce bloc : l’élection du chef de la chambre des députés. La nouvelle majorité osera-t-elle évincer Nabih Berri qui trône à la présidence du parlement depuis 1992 ?
Maya Khadra
Journaliste, enseignante