S’il faut considérer que les incidents déplorables du Stade de France disent quelque chose de la société française, il est temps alors de regarder en face et sans faux-semblants la réalité.
Les images, choquantes, ont circulé en boucle ; la presse étrangère a contredit la lecture officielle du ministre de l’Intérieur et de son préfet de police ; le moment festif s’est transformé en cour des miracles post-moderne où des bandes de voyous sont manifestement venues faire leur marché sur le dos des supporters britanniques et espagnols ; enfin la France qui se prépare à recevoir les Jeux olympiques en 2024 a suscité le sentiment d’une préoccupante impréparation à tout juste deux ans de l’échéance à venir !
D’ores et déjà il est possible de dégager à minima trois enseignements de cette séquence qui, en pleine campagne législative, n’arrange pas forcément l’entrée en matière du nouveau gouvernement. Au demeurant la Première ministre est restée étrangement silencieuse, déléguant sagement au locataire de la Place Beauvau le soin de se démêler des liens inextricables d’une controverse qu’il aura lui même contribué à alimenter par l’absence de transparence de ses explications et par sa dénonciation sans éléments probatoires autres que ses dires des agissements des supporters britanniques.
Le premier enseignement est à vrai dire une confirmation. Dans nombre de pays voisins, de tels dysfonctionnements auraient nécessairement entraîné des sanctions politiques et administratives. On eut pu penser évidemment que le préfet de police servirait de » fusible « . Ce n’est pas le cas, loin s’en faut.
L’ordre public peut être, mission première et fondatrice de l’Etat, défaillant ; les responsables immédiats de sa gestion et de son maintien n’en sont pas manifestement comptables.
Emmanuel Macron ne cesse de rappeler avec ses soutiens que les citoyens ont des devoirs à proportion des droits qui leur sont conférés. A ce stade le devoir de responsabilité ne paraît pas s’appliquer aux dirigeants, ou alors de manière sporadique.
Le second enseignement a partie liée avec la crédibilité de la parole publique qui, encore une fois, est prise en défaut. Tout le récit ministériel depuis samedi aura reposé sur une défausse imputant la cause du désordre à une vente de faux billets aux supporters de Liverpool. L’argument demeure non seulement à démontrer à ce stade, mais il occulte surtout deux autres éléments qui ont profondément choqué les opinions au-delà de l’hexagone : l’usage maintes fois disproportionné de la force à l’encontre des visiteurs britanniques, témoignage visuel à l’appui, et les assauts de petites bandes organisées, orchestrés et perpétrés sur les publics à la sortie du stade notamment. Là encore c’est un des totems du macronisme qui est fragilisé : la lutte contre la post-vérité, le combat contre les complotismes, autant d’arcs-boutants sur lesquels la majorité présidentielle aime à appuyer, à insister et qui de la sorte se trouvent infirmés par une pratique gouvernementale à rebours des intentions affichées.
On ne joue pas impunément avec les faits, lorsqu’on se veut le défenseur intransigeant de la rationalité ou de ce que Michel Rocard appela en son temps » le parler vrai « .
Le troisième enseignement, lui, vaut pour l’état d’une société. Ce qui s’est passé voici une semaine à Saint-Denis opère comme une loupe grossissante de nombre de nos pathologies : une autorité de l’Etat vacillante, une société consumériste qui ne fabrique plus du civisme et de l’unité, un déni permanent des pouvoirs politiques qui préfèrent focaliser sur des causes ancillaires (doctrine du maintien de l’ordre, gestion de la billetterie, etc) pour lire l’événement plutôt que de regarder en face ce que ce dernier dit de nos délitements.
La France ne serait-elle pas devenue l’homme malade de l’Europe ?
A lire la presse de nos voisins, la réponse est dans la question.
Arnaud Benedetti Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne