Tout commence et rien n’est écrit forcément. Dans la situation exceptionnelle que présente cette XVIe législature, la France redécouvre ce qu’elle avait fini par oublier, à savoir qu’elle dispose d’un Parlement.
Première dans l’histoire de la Ve République, l’Assemblée nationale est une chambre sans véritable majorité, et dont à ce stade il est difficile de dire comment elle se combinera politiquement au fur et à mesure de l’avancée du travail législatif. Tout, à vrai dire, est possible : le risque de blocage bien sûr n’est pas à exclure compte tenu d’une physique des forces politiques rendue fortement instable par la fragmentation des offres et sa traduction électorale au Palais-Bourbon. Si jamais les oppositions inconciliables convergeaient pour s’opposer au gouvernement la mise en minorité de celui-ci serait inéluctable ; à tout moment ces dernières tiennent dans leurs mains le destin de cette législature et pour partie celui du quinquennat également. Il n’y aurait dans cette hypothèse pas d’autres voie que celles d’un retour aux urnes avec tout ce que cela suppose d’aléas et autres incertitudes. Ce schéma dans l’immédiat est peu probable, mais à terme rien n’interdit de l’imaginer. C’est dans tous les cas un contexte fortement inédit qui commence : il traduit surtout la réponse que les Français ont, dans la grande sagesse d’un enchaînement des faits démocratiques, voulu apporter aux dérives du quinquennat précédent.
Ils ont signifié à Emmanuel Macron que la souveraineté c’était eux et d’abord eux, que le Président n’avait pas de mandat jupitérien et que la seule transcendance dans ce régime sécularisé que constitue une démocratie c‘est le peuple et exclusivement ce dernier.
Rien ne dit pour l’instant si l’Elysée a entendu le message et s’il est en mesure de l’entendre. L’avenir le dira.
Pour autant les Français n’ont pas plus donné quitus aux parlementaires et aux formations partisanes qui composent l’Assemblée. Tout d’abord parce que l’abstention, considérable, relativise le scrutin du 19 juin ; ensuite parce qu’aucun groupe ne dominant au sein de l’hémicycle, ils ont par l’alchimie du vote créé les conditions permettant d’éviter toute forme d’hégémonisme tout en posant les bases incitatives et nécessaires à la recherche de compromis. Personne dans l’immédiat n’a intérêt à la paralysie : pas plus l’exécutif que le législatif et encore moins le peuple français qui a très bien compris que la conjonction des défis économiques, géopolitiques et régaliens ouvrait la voie à un dangereux alignement des planètes.
Les parlementaires sont confrontés à leur devoir : contrôler l’action du gouvernement certes, mais également assurer que l’Etat puisse répondre aux attentes du pays en protégeant celui-ci notamment dans un monde de plus en plus imprévisible.
Historiquement exécutif et législatif sont condamnés à première vue à s’entendre ; faut-il encore que de toute part on privilégie l’intérêt général à celui, égoïste, des partis et que le chef de l’Etat en revienne à un usage plus modeste du pouvoir… Le Président est-il en capacité de s’acculturer à la démocratie parlementaire en jetant aux orties les pratiques qui ont lors du quinquennat précédent accru la crise de la représentation ? La représentation nationale sera t-elle en mesure de se hisser au niveau des responsabilités que les défis de l’heure l’appellent à assumer ? De la réponse concomitante à ces deux interrogations dépend la suite de l’histoire qui commence…
Arnaud Benedetti Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne