Le temps se couvre. Si la rentrée s’annonce en effet difficile pour le gouvernement ce n’est pas tant en raison de facteurs exogènes (la guerre en Ukraine, l’inflation, etc) que parce que peut-être le Président de la République ne semble pas vouloir tirer les enseignements du changement de configuration politique né des dernières élections législatives.

Emmanuel Macron, à l’aune d’une situation qu’il dessine à tout bout de champ comme exceptionnelle, faisant de cette exceptionnalité le registre exclusif de sa manière de gouverner, tend à créer, à coté des institutions légitimes de la Ve République, une Constitution parallèle, aussi virtuelle que l’esprit démocratique dont il prétend se prévaloir.
Les tensions réelles relatives à l’approvisionnement énergétique à la veille de l’hiver fournissent un exemple supplémentaire de cette pratique du pouvoir inaugurée lors de la crise des Gilets jaunes et confortée d’une autre façon lors de la pandémie.
Le chef de l’Etat use à nouveau du Conseil de défense pour scénariser la gravité du moment, son action publique visant à apporter la démonstration qu’il est le protecteur suprême des Français et préparer l’opinion à un train de mesures dont on peut subodorer qu’elles seront vraisemblablement marquées du sceau de la contrainte. Dans le même temps, il réunit quelques jours plus tard un Conseil national de la refondation pour lequel nombre de responsables, à commencer par le Président du Sénat, ont décliné l’invitation. Certes ces deux instances obéissent à des fonctionnalités distinctes mais elles procèdent d’un dessein identique. Pour ce qui relève des fonctionnalités quand le Conseil de défense traite d’un sujet d’extrême urgence nécessitant une formation restreinte d’un Conseil réunissant les ministres ayant seuls à en savoir et devant en décider sous l’autorité du Président, le Conseil national de la refondation est une instance qui vient à en doubler le Parlement et le CESE dont les missions sont pourtant d’organiser dans un cadre représentatif la délibération nationale.
En usant de ces dispositifs de manière désormais récurrente, Emmanuel Macron s’abstrait de toute forme de contrôle, de contradiction potentielle et évidemment de transparence.
Il subvertit le politique par la communication, il fabrique du storytelling en contournant la régularité institutionnelle, il génère à sa main un régime qui se sépare toujours plus du régime régulier et constitutionnel. Ainsi en quoi à ce stade la situation énergétique devrait-elle échapper aux procédures routinisées de nos institutions, si ce n’est que le choix de s’en extraire ne peut qu’encourager le sentiment d’un irrévocable « fait du Prince » qui n’est pas sans rappeler la formule magistralement posée en d’autres temps par Carl Schmitt : « Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle »…
Alors que, pour la première fois depuis des décennies, le pays dispose d’une Assemblée nationale au diapason de sa réalité politique, l’option présidentielle de s’engager dans une fuite en avant, toujours plus acquise à la théorie discutable des circonstances exceptionnelles, témoigne d’une sorte d’anti-parlementarisme du « haut » dont la caractéristique de l’instant est d’ignorer les enseignements du scrutin législatif de juin 2022. Une posture qui n’augure rien de bon car à force de se défier du peuple réduit parfois mezzo voce à la caricature d’un prurit « populiste » et de se défier désormais de la diversité de ses représentants, de rejeter d’un seul tenant les démocraties référendaires et représentatives, la racine de la souveraineté et son intermédiation, Emmanuel Macron engage pas à pas le pays dans sa propre aventure, loin des canons de la démocratie libérale dont il se dit le défenseur. Le pouvoir qui s’isole est un pouvoir en suspens : dans l’histoire de France de 1830 à 1870 en passant par 1848, sans oublier 1968, les épisodes ne manquent pas d’un souverain écrasé par sa solitude et in fine dépassé par la multitude…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne