« On ne reforme pas la société par décret » écrivit en son temps le sociologue Michel Crozier dans un ouvrage au titre-éponyme. L’Élysée aurait songé à introduire dans le Projet de loi de financement de la sécurité sociale une disposition allongeant l’âge légal de départ à la retraite.
En écho et en prolongement au mot de Crozier, on serait tenté de rajouter que l’on réforme encore moins la société par amendement, comme si de rien n’était, entre la poire et le fromage d’une procédure parlementaire « cheval de Troie » d’une transformation dont on ne peut ignorer qu’elle touche à un nerf sensible de la société.
L’hypothèse est néanmoins suffisamment avancée pour qu’elle suscite à l’intérieur de la majorité une onde, si ce n’est de choc, mais de réserve.
François Bayrou a signifié, on ne peut plus clairement, son opposition ; le président du groupe Horizon à l’Assemblée, Laurent Marcangeli, a lui-même exprimé ses doutes quant à ce procédé eu égard à l’extrême » fragilité » du corps social ; la Présidente de l’Assemblée nationale, Madame Braun-Pivet, a explicitement et non sans fermeté dit son désaccord. D’autres raisons au demeurant que les seuls états d’âme majoritaires plaident en faveur de l’abandon d’une telle intention : la position des partenaires sociaux, y compris des plus compréhensifs à l’instar de la CFDT, qui refusent catégoriquement l’activation de cette méthode ; l’opinion publique dont un récent sondage a montré qu’elle refusait à plus de 70 % le retour de cette réforme ; le climat général, fracturé et inquiet, qui de facto inciterait naturellement à la prudence, sans compter une arithmétique parlementaire indéniablement peu propice.
Pour autant, Emmanuel Macron a tout dû bretteur qui ne désarme pas facilement : par tempérament comme par nécessité, il pourrait être tenté d’y aller parce qu’il a besoin de nourrir le ventre réformiste de la partie la plus radicalisée de son électorat, parce que seul le début de quinquennat peut lui permettre de disposer d’une très étroite fenêtre d’opportunité, parce que ne pouvant plus constitutionnellement viser un autre mandat il estimerait qu’in fine il n’a que peu à perdre.
Ce serait là un mauvais coup porté tout à la fois à la représentation nationale, à l’humeur anxieuse et rétive du pays, enfin à son dessein maintes fois réaffirmé d’offrir plus de concertation et de co-construction aux Français.
A vouloir cumuler le passage en force, l’indifférence quant à la conjoncture du pays, le mépris de ses intentons relatives à sa volonté initiale de transformer sa pratique du pouvoir, non seulement le Président fait courir un risque à son mandat, mais également pourrait précipiter la Nation dans une crise majeure qui n’attend qu’une étincelle pour se déclarer….
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne