Ce deuxième mandat d’Emmanuel Macron commence dans la douleur. Il ne pouvait en être autrement à partir du moment où les Français n’avaient accordé à ce dernier qu’une confiance limitée.

Les élections législatives ont corrigé le résultat d’une présidentielle qui n’a vu la réélection du sortant que parce qu’une majorité d’électeurs n’était pas prête à accorder (pour le moment ?) sa confiance à Marine Le Pen. Cette dernière pourra toujours exciper qu’elle a obtenu, quelques semaines plus tard, une revanche qui l’a replacée dans la course pour 2027. Il est encore trop tôt pour s’assurer de cette hypothèse, mais force est de constater que la leader,
de facto, du RN dispose d’un certain nombre d’atouts dans sa manche : un groupe parlementaire qui la normalise et qui se crédibilise, une progression électorale dans toutes les couches sociales comme l’a expliqué l’excellent politiste Luc Rouban, dont les analyses sont ce qui se fait de mieux sur la place, une situation qui ne cesse d’objectiver le constat d’échec de quatre décennies d’exercice du pouvoir, etc.
A ce stade le quinquennat joue sa survie dans une législature pour le moins empreinte d’inconfort. A huit reprises, Mme Borne aura dégainé un 49.3, synonyme criant d’un gouvernement minoritaire dont la perpétuation est indexée sur les divisions ontologiques des oppositions.
C’est au demeurant à partir de ce constat que l’exécutif imagine construire une voie étroite pour acheminer sa réforme des retraites. Celle-ci arrive au moment où la totalité des syndicats s’y oppose, où les sondages indiquent que 70 % des Français ne l’approuvent pas non plus et où on cherche en vain une majorité à l’Assemblée nationale pour l’accompagner, sauf à ce qu’une partie du groupe LR accepte de faire la courte échelle au gouvernement.
C’est bien évidemment là le pari de ce dernier, aidé en cela par quelques figures de la droite gouvernementale qui poussent, à l’instar de Nicolas Sarkozy, à un accord avec le Président de la République. Pour Les Républicains, l’heure de vérité approche : privilégieront-ils le tropisme idéologique qui pourrait inciter certains d’entre eux à valider la réforme des retraites, offrant une victoire potentielle à Emmanuel Macron, ou, tenant compte de la gravité approfondie de la situation du pays, accepteront-ils de précipiter une crise parlementaire dont le Chef de l’Etat a prévenu de l’issue : une dissolution ?
Tout dépendra in fine de l’humeur du pays au cœur de l’hiver ; d’aucuns n’osent penser à une conflagration sociale tant la France leur parait encore une nation privilégiée, mais c’est oublier que les révoltes naissent souvent de l’observation du hiatus entre ce que fut une société et ce qu’elle est en passe de devenir.
Le sentiment de déclin est bien plus qu’un sentiment, nonobstant les professionnels de la dénégation ; il est une part évidente de notre réel, quand bien même serait-il amorti par des stabilisateurs sociaux.
Mais la perception de l’accélération du déclassement, dont la crise énergétique après la crise sanitaire vient confirmer la trajectoire, conjuguée à des perspectives d’avenir pessimistes, notamment en matière de mobilité sociale, créent les conditions objectives propices à l’expression de la colère. Sans être irréversible, le risque persiste, tapi dans les inquiétudes multiformes d’un pays qui, voici quatre ans, a frôlé avec les Gilets jaunes le collapsus du pouvoir. Ce qui fut vrai hier demeure aujourd’hui et demain plus encore…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne