La France rurale renvoie d’abord à notre généalogie, à ce qui parle à des millions de Français dont les racines par mille chemins de traverses viennent des campagnes, des champs et des villages. C’est cette histoire qui est aussi commémorée annuellement dans les travées bruyantes et bondées d’un événement auquel se mêle rite républicain, avec son cortège de responsables politiques pour lesquels l’exercice de la visite est une figure imposée, déplacement familial et ludique, notamment pour les petits citadins qui pour certains d’entre eux sont exposés pour la première fois à la représentation de la ruralité, et échanges professionnels.
Car la réalité est hélas fort inquiétante, les chiffres parlant d’eux-mêmes : chaque année 20 000 agriculteurs s’en vont pour tout juste 13 000 nouvelles installations.
A ce solde négatif s’ajoute d’autres données qui attestent de l’affaiblissement du secteur : 30 % des viandes, 60 % des fruits, 40 % des légumes sont aujourd’hui importés. Le déclin démographique de l’agriculture française a commencé il y a plus d’un siècle et nombre d’observateurs, à commencer par le sociologue et regretté Henri Mendras, ont décrit cette disparition massive, soutenue ainsi que ses conséquences, dont parmi celles-ci la transformation en profondeur d’un rapport à la terre qui se technicise et s’industrialise tout en bouleversant les équilibres sociologiques d’une société qui, en moins de cent ans, est passée de la paysannerie à l’industrie et aux services.
Ce n’est plus réellement le cas aujourd’hui, où cette fois-ci la côte d’alerte semble atteinte, alors que près de la moitié du territoire néanmoins demeure en surface cultivable.
La sur-réglementation européenne mais aussi nationale, les charges excessives, ces dernières bien françaises, pesant sur certaines filières comme l’arboriculture qui à échéances restreintes risque de disparaître de l’Hexagone, les traités internationaux négociés par Bruxelles et qui font de l’UE une zone ouverte à bien des concurrences, le regard souvent déclassant des élites urbaines à l’encontre de la ruralité productive et active nourrissent la désaffection pour le métier, la perte de souveraineté et, ce faisant, le déclin d’une activité qui range encore le pays parmi les cinq premiers exportateurs au monde…
Pour cela, il conviendra de libérer la politique agricole des préjugés dont elle est victime et des normes excessives dont elle est par trop souvent l’otage en Europe et en France.
A quoi bon invoquer une quelconque souveraineté si nous ne sommes plus en mesure de pourvoir de manière autosuffisante au premier des besoins de l’homme : se nourrir, et ce, sans être tributaire d’un monde tous les jours un peu plus incertain… C’est à ce défi que nos dirigeants devront répondre, faute de quoi l’oubli de cette exigence élémentaire nous ferait basculer dans une autre dimension…
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne