Deuxième territoire le plus vaste au monde, bordé par trois océans et relié aux Etats–Unis par une frontière commune de 9 000 km, le Canada, membre du G7, est également le quatrième producteur mondial de pétrole. Le pays bénéficie donc de nombreux avantages et est d’ailleurs régulièrement cité parmi les pays où la qualité de vie est la meilleure, notamment grâce au dynamisme de son économie, ou encore à ses grands espaces naturels. Cependant, malgré ses nombreux atouts, le Canada semble actuellement un peu perdu, face à une série de problématiques existentielles qui le taraude.
Au niveau national d’abord, le pays est confronté depuis 15 ans à une baisse constante de sa fécondité, qui entraine des déséquilibres macroéconomiques importants. Au niveau international, ensuite, s’étant historiquement aligné presque exclusivement sur la position des Etats-Unis, le Canada n’a pas totalement développé sa propre identité diplomatique. Il semble ainsi avoir des hésitations dans son positionnement face aux nouvelles puissances, notamment l’Inde et la Chine. Enfin, en participant à la sécurité énergétique à long terme de ses alliés, le pays se voit confronté à un dilemme moral concernant la transition énergétique mondiale.
Au Canada, le taux de fécondité est en baisse constante depuis 2009, et la tendance s’est accélérée après la pandémie pour atteindre 1,4. Le pays fait donc partie du club des pays occidentaux, où la natalité est la plus problématique, à l’instar de l’Allemagne ou de l’Italie. Ce chiffre est, bien sûr, inférieur au seuil de 2,1 enfants par femme, synonyme de remplacement de la population sans compter sur l’immigration. Cette baisse entraîne plusieurs conséquences : le vieillissement plus rapide de la population, une pression accrue sur le marché du travail, ainsi que sur le système de santé et les régimes de retraite. Le Canada a donc fait un choix politique fort en faveur d’une immigration massive, afin de compenser la faiblesse de sa démographie.
Aujourd’hui, c’est sans doute le pays du monde le plus ouvert à l’immigration.
Depuis l’arrivée au pouvoir, en 2015, du Premier ministre canadien Justin Trudeau, le pays a accueilli environ 2,5 millions de nouveaux résidents permanents, ce qui a donc fait augmenter la population d’environ 38 millions, à plus de 40 millions d’habitants. Cela a contribué à alimenter la croissance économique (une des plus élevées parmi les pays du G7 ces dernières années), à combler les lacunes du marché du travail en compensant le vieillissement des« boomers » qui prennent leur retraite, et aussi à financer en partie l’augmentation des dépenses de santé.
Mais, les problèmes causés par cette immigration à la fois importante et rapide commencent à également se manifester.
Certains économistes soulignent que l’immigration au Canada crée une illusion de prospérité économique.
En effet, les nouveaux arrivants submergent les services publics et contribuent à une certaine surchauffe de l’économie, notamment une évidente crise du logement. Alors que les immigrants ont contribué à atténuer la pénurie de main-d’œuvre, ils ont aussi contribué aux dépenses de consommation (entrainant une inflation du prix des biens et services) et surtout à la demande de logements. En outre, l’augmentation de la population entraine des pressions croissantes sur les services publics, à commencer par les transports en commun. Clairement, les investissements d’infrastructure nécessaires pour absorber de façon satisfaisante l’afflux de nouveaux entrants, n’ont pas toujours été bien anticipés.
Ainsi, le coût du logement a fortement augmenté dans toutes les grandes villes du Canada, notamment Montréal, Vancouver ou Toronto, mais également dans les villes secondaires. Or, les préoccupations liées à l’accès à un logement convenable sont un facteur important qui influence les intentions de fécondité des Canadiens. Les nouveaux entrants sont donc dissuadés, au même titre que ceux qui sont nés au Canada, d’avoir des enfants. D’où l’apparition d’un cercle vicieux de la faiblesse démographique.
Au final, le PIB par habitant au Canada a augmenté plus lentement qu’aux Etats-Unis sur la période récente. En conséquence, le pays commence à se demander s’il ne doit compter que sur l’immigration pour remédier au déclin de sa natalité. Or, l’efficacité des politiques natalistes, basées sur des incitations financières , sont mitigées dans les autres pays occidentaux victimes de l’hiver démographique. Le Canada nous montre donc qu’il n’est pas aisé de se réarmer démographiquement. Autant d’éléments éclairants pour le débat en France et en Europe sur les politiques natalistes et l’immigration.
La politique étrangère au Canada a longtemps été fondé sur un ordre international stable dirigé par les Etats-Unis. Ainsi, on peut se demander si la Canada peut prendre la pleine mesure des changements géopolitiques actuels, et s’affranchir de son alignement total avec son puissant voisin?
Or, force est de constater, que ses relations l’Inde et la Chine, les deux pays les plus peuplés de la planète et les étoiles montantes de ce siècle, se sont fortement dégradées.
Le gouvernement Canadien avait pourtant déclaré son intention de resserrer les liens avec la Chine, en partie pour réduire sa dépendance économique avec les États-Unis. En fait, les liens entre le Canada et la Chine se sont considérablement détériorés. Le Canada chercherait d’ailleurs à participer au Cadre économique indopacifique pour la prospérité (IPEF), la principale initiative économique de l’administration Biden dans la région, et à se joindre au pacte de sécurité Australie-Royaume-Uni-États-Unis (AUKUS) pour l’indopacifique. Deux projets qui ne sont évidemment pas vus d’un bon œil par Pékin, car ils visent directement à contrer les ambitions de la Chine.
En outre, M. Trudeau, en déclarant en septembre 2023, qu’Ottawa enquêtait sur des « allégations crédibles » d’implication du gouvernement indien dans la fusillade mortelle d’un sikh canadien à Vancouver, a engendré une crise diplomatique avec l’Inde, la nouvelle locomotive de l’économie mondiale, qui cherche à attirer les investisseurs internationaux.
Mais l’autre grand défi de la politique étrangère du Canada dans les années à venir est celui de l’énergie.
En effet, la donne a changé concernant les approvisionnements mondiaux : comme l’ont démontré l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les coupures du gaz russe en Europe qui ont suivies, l’énergie peut être utilisée comme une arme. S’il semble que l’Iran, la Libye ou le Venezuela disposent de capacités de production d’énergie supplémentaires, aucun de ces fournisseurs n’est l’allié des occidentaux. Or, avec plus de 175 milliards de barils de pétrole en réserve, le Canada a beaucoup à offrir, d’autant qu’il n’est pas membre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole(OPEP). Peut-il cependant jouer un rôle majeur pour combler les lacunes de ses partenaires ?
On note que le Canada est en désaccord avec les Etats-Unis sur certains projets d’infrastructure énergétique transfrontaliers. De plus, son incapacité à construire les infrastructures pertinentes pour exporter du gaz naturel liquéfié lui ont fait rater des opportunités d’exporter. Enfin, si le Canada a une capacité d’extraction des minéraux critiques, la Chine reste loin devant et détient le monopole de plus de la moitié de l’approvisionnement mondial.
Le Canada bénéficie d’un surplus de pétrole et de gaz, et peut donc contribuer à assurer la sécurité énergétique d’autres pays. Il aurait, a priori, intérêt à diversifier ses clients dans le commerce de son énergie. Mais, Ottawa semble hésiter entre fournir ses ressources exclusivement à ses alliés (dont l’Europe, qui en a cruellement besoin), ou les vendre au plus offrant sur le marché international. En outre, le Canada a aussi la responsabilité morale d’être un leader mondial en matière de réduction des émissions, ce qui le met face à certaines contradictions.
En somme, le Canada est confronté à plusieurs dilemmes, concernant sa démographie, son positionnement géopolitique dans l’espace indopacifique, et son rôle dans la transition énergétique mondiale, qui peuvent expliquer certaines de ses positions ambiguës. Gageons que ces sujets seront au cœur de la compagne pour les élections fédérales, prévues en 2025.
Guillaume du Cheyron
Spécialiste de la Finance d’Entreprise
Président de G2C Corporate Finance
Senior Advisor chez Kingsrock