La majorité sénatoriale entend y mettre un point d’honneur ; elle veut que la Haute-Assemblée poursuive jusqu’à son terme l’examen du projet de réforme des retraites.
Sauf surprise, le texte devrait être adopté au Sénat. Mais après ? La question reste entière, tant en ce qui concerne le Parlement que la rue. Il reste encore beaucoup d’incertitudes quant au vote futur de l’Assemblée nationale, y compris après un éventuel accord en Commission mixte paritaire. Au Palais-Bourbon, les parlementaires LR ne se rangeront pas tous à la position officielle de leur formation et à l’intérieur même de la majorité, des voix discordantes pourraient aussi s’éparpiller. L’exécutif serait alors enclin à engager sa responsabilité, en usant du 49.3 dont il ne veut pas à ce stade brandir la menace, tant cela rajouterait à la perception d’un dispositif injuste la brutalité procédurale.
Tout se passe comme si l’opinion, nonobstant son opposition, avait déjà métabolisé la réforme, une métabolisation résignée en quelque sorte.
Pour autant, tout pronostic définitif s’avérerait par bien des aspects fort imprudent. D’aucuns voient dans la séquence inflationniste un frein au potentiel de mobilisation, car ramenant les énergies collectives à la gestion domestique au détriment des engagements citoyens. L’hypothèse est recevable, elle postule le repli sur la sphère privée mais elle est parfaitement réversible, d’autant plus si les tensions sur les prix à la consommation continuaient à s’accentuer – ce que plusieurs prévisionnistes n’excluent pas. La « vie chère » est aussi une figure historique des colères sociales. Elle en constitue même un carburant roboratif.
Ainsi c’est une impression de surplace qui domine alors que les syndicats unis ne désarment pas et que du coté de l’Elysée comme de Matignon la détermination demeure.
Chacune des parties est confrontée à ses propres difficultés néanmoins : le front syndical dispose du soutien de l’opinion mais n’est pas parvenu à élever, de manière spectaculaire, ce 7 mars, le niveau de mobilisation et surtout n’a pas apporté la démonstration qu’il était en capacité de vraiment bloquer le pays. Ce n’est ni 1995, encore moins 1968 et 1947…
La suite dira si les acteurs de la protestation peuvent hausser quelque part, pour filer la métaphore sportive, leur « niveau de jeu », avec le risque que l’opinion se défasse… ou non ; le pouvoir, lui, et au-delà de l’issue parlementaire, devra se préparer à gérer les conséquences de ce moment : en cas de recul, c’est sa capacité à agir qui sera non seulement érodée mais plus vraisemblablement paralysée ; en cas d’aboutissement, il excipera une victoire mais ce succès aura infusé une colère rentrée dont l’impact serait en mesure de susciter, à terme, une transformation en profondeur des rapports de forces politiques…
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne