Il y a quelques semaines, le monde du sport toulousain s’est réveillé avec la gueule de bois. Non pas suite à une défaite du XV du Stade Toulousain, ou du TFC, mais à cause d’une simple photographie postée sur les réseaux sociaux. On y voit un homme, de dos, portant le maillot du TFC floqué au nom d’une personne « Mohammed Merah ».
L’image est glaçante tellement le contraste entre la banalité de la situation et la gravité du message est déconcertant et choquant. Notre cerveau ne peut alors s’empêcher de faire un constat terrifiant : un jeune homme, en 2023, décide de porter fièrement le nom d’un terroriste à la vue de tous et de façon délibérée.
Dans un premier temps, l’élu que je suis, fût scandalisé, outré, attristé pour les victimes, et tenté de réagir à chaud pour dénoncer ce délit. Nous sommes très clairement face à un acte qui tomberait sous le coup de l’art 421-2-5 du Code pénal qui punit l’apologie du terrorisme. Le parquet ayant ouvert une enquête, il appartiendra à la justice d’apporter la réponse pénale.
Mais mon rôle d’élu me pousse à une réflexion plus globale, sur la qualification de cet acte et sur les raisons qui ont amené ce jeune homme à porter fièrement sur son dos, le nom d’un terroriste meurtrier.
Plusieurs questions me sont spontanément venues en découvrant l’image. Sommes-nous face à une personne radicalisée ou simplement face à de la provocation ?
Mais quelle que soit la réponse, elle entraîne encore une série de questions.
Comment le nom de Mohammed Merah peut-il encore représenter une idéologie ou une incarnation, dix ans après le drame qu’a subi la région du grand sud-ouest ? A côté de quoi sommes-nous passés pour que cela puisse se produire ?
Lorsqu’un jeune prononce des « Je suis Coulibaly » entouré de ses petits camarades, et si on le qualifie immédiatement de « radicalisé », on pourrait stigmatiser et pousser vers la fracture, des personnes qui ne sont justes que dans la provocation.
Si on étudie le cas d’espèce et que l’on opte pour la thèse de la provocation, le porteur du maillot de foot incriminé semble être jeune, il ne devait être qu’un adolescent quand le terroriste a commis ces attaques. Pour que le nom de Mohammed Merah ait traversé la décennie, ne sommes-nous pas face à la création d’une idole, peut-être même d’un martyr par des groupes communautaires qui perpétuent la mémoire de ce criminel ?
En arrivant à cet état de fait, force est de constater que malgré les textes législatifs pris tout au long de la décennie, afin d’agir sur un mal qui a frappé durement notre pays au début des années 2010, l’islam radical continue d’être accessible à des jeunes gens, souvent très influençables.
Les attaques terroristes de Mohammed Merah furent les premières d’une longue et immonde liste d’attentats commis sur le sol français, et il est important de le rappeler car cela pourrait expliquer en partie pourquoi il fait figure de modèle pour certains.
Comme en témoignait l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic lors du procès des attentats du 13 novembre en mai dernier, 2012 et les actes de Mohammed Merah ont été un point de bascule. Il explique qu’avant cela, les renseignements et les services de sécurité parvenaient à gérer. La France n’avait plus connu d’attentats depuis 1996.
Avec quelques années de recul, le passage à l’acte de Merah pourrait s’apparenter à une sorte de précédent, relançant ainsi le terrorisme islamiste, comme si après cela, ceux-ci n’avaient plus eu de limites ou de barrières qui les empêchaient d’agir.
Peut-être peut-on y voir une explication sur la création de l’icône Merah. Mais beaucoup moins sur sa pérennité dans le temps.
Car depuis 2012, la prise de conscience du fléau de la radicalisation islamiste fût générale. Les lois se sont succédé pour apporter des outils que ce soit sur la prévention ou la détection des personnes radicalisées, jusqu’à la loi dite « séparatisme » qui a permis de renforcer le respect des principes républicains ainsi que la séparation du cultuel avec le culturel. Alors même si l’apparition de ce maillot de football est impossible à accepter, il faut reconnaître que l’arsenal législatif ainsi que les moyens mis dans la lutte contre le terrorisme et la radicalisation ont permis une amélioration de la situation. Comme évoqué précédemment, on peut d’ailleurs douter de la radicalisation de ce jeune homme qui porte le maillot sur cette photographie.
Si on en revient à l’idée que ce flocage ne serait juste qu’une provocation, il reste à se pencher sur le but de cet acte et le message qu’il renvoie. Il ne faudrait pas oublier la légende sur l’image « premier tacos de Mohammed Merah ». N’est-ce pas l’ultime provocation, en mettant le « personnage » dans une situation de la vie courante, l’auteur de la communication banalise totalement cette scène pourtant si choquante.
Que nous signifie le porteur du maillot et la personne qui le prend en photo ? Nous sommes bien face à deux personnes qui nous informent très clairement de leur rejet des valeurs républicaines de la France, celles de fraternité ou de laïcité, ou même celle du respect de la loi.
C’est une défiance envers ce que nous représentons collectivement.
Les attentats de Mohammed Merah visaient en premier lieu des personnes de confession juive. Nous étions face à un terroriste antisémite, qui a renié l’idée même de l’égalité entre les hommes, de la tolérance, de la fraternité, et de la laïcité de notre société.
Lorsque vous rejetez ces valeurs, ce sont les fondements de la République que vous rejetez et donc votre appartenance à une communauté.
Ils ont fait le choix de se marginaliser, de ne pas participer à la vie du groupe.
Ne peut-on pas y voir un argument de plus qui conforte la théorie de la rupture du contrat social si cher à Rousseau, et largement du contrat républicain si cher à la IIIe République.
Ce contrat doit être conclu entre tous les participants, c’est-à-dire l’ensemble exhaustif des citoyens. Or, tous les jours, nous constatons que des individus décident de rompre ce contrat, parfois, par simple individualisme ou égoïsme, mais de plus en plus souvent, en toute conscience.
Cette simple photographie aurait pu être classée dans la catégorie « provocation » ou « erreur de jeunesse », même si cela reste une erreur pénalement répréhensible. Finalement, c’est le juge qui tranchera et nous apportera les éléments pour répondre à cette question.
Mais ce que nous pouvons souligner, c’est que, quelle que soit la réponse, cet acte met en lumière un mal bien plus profond, celui d’un peuple incapable de s’unir derrière des valeurs communes qui forment pourtant le ciment de notre nation, qu’on appelle République.
Il nous faut retrouver le sens du commun. Il nous faut retrouver un chemin sur lequel la parfois pâle existence de nos vies est transcendée par un destin plus grand, celui de notre société, de notre pays. Retrouver le beau, l’âme de cette République, c’est cela le véritable défi de notre siècle.
Eric Poulliat
Député de la Gironde
Membre de la Commission des Lois