L’intention est louable, courageuse même tant le défi apparaît, au vu des rapports de forces du moment, aussi audacieux que complexe. Bernard Cazeneuve est un homme talentueux, cultivé, qui entend redonner une forme républicaine à une gauche qui tend à dériver vers un maximalisme qui pourrait lui barrer la route si elle entend un jour redevenir une force d’alternance.
A droite Les Républicains de leur côté, après avoir soutenus contre l’opinion et les syndicats une réforme des retraites dont le risque à terme est de cumuler l’inefficacité à l’injustice, viennent à nouveau de proclamer leur détermination à s’opposer à l’exécutif. L’enjeu de l’immigration, dont l’agenda législatif se profile dans un horizon de moyen terme, pourrait constituer la confirmation de cette disposition. Ce sera à n’en pas douter un moment de vérité de la législature tant pour LR que pour le pouvoir.
Tout l’enjeu pour le parti dirigé par Monsieur Ciotti est de tenir une égale distance entre l’orléanisme macroniste et le néo-souverainisme du RN.
L’exercice apparaît à ce stade d’autant plus risqué qu’au manque d’incarnation se conjugue une forme d’ambivalence structurelle où l’on ne parvient à pas distinguer ce qui l’emporte de l’intention opposante et de la réalité des actes.
Si parallèle il y a entre l’opération impulsée par Bernard Cazeneuve et la tentative de redressement à laquelle s’adonnent Les Républicains, c’est parce que le premier comme les seconds incarnent des marques de gouvernement qui s’essaient à retrouver leur dynamique perdue. L’ancien Premier ministre est l’héritier d’un socialisme de la République et de la Nation, loin de tous les déconstructeurs qui entendent bien plus subvertir que protéger ; les LR quant à eux s’envisagent comme des gaullo-libéraux.
Sans doute la tâche de clarification du tout dernier locataire de Matignon sous François Hollande, enracinant sa démarche dans une social-démocratie héritière de l’histoire d’une gauche républicaine, apparaît à ce jour plus fluide que celle de conservateurs travaillés par des divergences quant à l’attitude collective à adopter vis-à-vis d’Emmanuel Macron.
Le barycentre Cazeneuve est de ce point de vue bien plus assuré que celui des héritiers du chiraco-sarkozysme. Pour autant reste à recréditer en sincérité les deux démarches respectives. La social-démocratie a largement ouvert, depuis plusieurs décennies, des portes pour que s’engouffrât en son sein les courants dont Monsieur Cazeneuve souhaite se distinguer et combattre. Quant aux Républicains, du chiraquisme au sarkozysme, ils demeurent poursuivis par un halo insistant de reniements et d’expériences déceptives. Sans un examen de conscience approfondi et un travail d’inventaire soutenu, ce sont là des entreprises dont la renaissance en tant que forces de gouvernement dépendra de leur capacité à déciller les yeux sur leurs expériences passées. Faute de quoi elles s’assigneraient d’elles-mêmes à demeurer des forces intermédiaires, voire virtuelles.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne