Les images de l’île de Lampedusa prise d’assaut littéralement par des vagues de migrants nous rappellent combien l’enjeu pour l’Europe ne cesse de s’exacerber. La crise migratoire est un défi existentiel. Elle menace les sociétés européennes dans leur cohésion, mais au-delà elle menace également l’Europe dans son unité.
C’est dans ce contexte que va intervenir la discussion du projet de loi immigration que le gouvernement entend défendre prochainement au Sénat à l’automne et au début 2024 à l’Assemblée nationale. Depuis des mois désormais, l’exécutif s’essaie à trouver un chemin parlementaire sur une étroite ligne de crête.
Car tout pousse dans cette affaire à une équation impossible tant à droite comme à gauche et pour des raisons diamétralement opposées : trop laxiste pour les uns, trop dur pour les autres, le texte gouvernemental cumule sur un sujet aussi clivant nombre de handicaps, décuplés par l’absence de majorité à l’Assemblée.
Au Sénat en Commission des lois, la droite au printemps dernier a amplement rehaussé le niveau de contrôle de la politique migratoire : tant sur les conditions d’accueil que sur celles d’intégration, les mesures préconisées vont dans un sens d’une plus forte régulation et limitation, conformément aux exigences d’une opinion publique en attente de fermeté sur cette question. A l’Assemblée, la bataille s’annonce serrée, à commencer au sein même de la majorité où la synthèse macroniste voit se dessiner des lignes de fractures en son sein entre ceux qui seront tentés de chercher un compromis sur leur droite et ceux qui tenteront de rechercher à gauche des points d’appui.
Le fait que le Président de la commission des lois à l’Assemblée, Sacha Houlié, ainsi que la vice-présidente MoDem de cette même assemblée, Élodie Jacquier-Laforge, co-signent avec des députés de gauche une tribune dans Libération en appelant à la régularisation des travailleurs sans-papiers illustre les jeux de tensions qui se dessinent dans le camp présidentiel.
Ce dernier, sous la houlette d’Emmanuel Macron, s’essaie à un exercice d’une rare complexité : faire preuve de fermeté tout au moins dans le discours – le Président de la République professant dans une interview donnée au Point qu’il convient de réduire « significativement l’immigration » ; satisfaire les besoins économiques d’un certain nombre de secteurs manquant de main-d’œuvre ; et enfin conserver une coloration progressiste pour donner des gages à l’aile gauche de la macronie qui fait entendre sa voix. Une quadrature du cercle en quelque sorte qui, à la veille du débat parlementaire, voit roder le spectre d’une motion de censure dont le potentiel d’agrégation cette fois-ci n’est pas, loin s’en faut, négligeable : la XVIe législature pourrait dès lors se jouer sur la question migratoire.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne