Dans quelques décennies peut-être que des historiens s’interrogeront sur cette grande peur sanitaire qui a vu des sociétés entières se figer, se réfugier dans leurs demeures, confier pour partie la responsabilité de leurs conduites à des autorités mandarinales elles-mêmes en proie au doute et à l’incertitude, suspendre leur vie économique, sociale, culturelle, anesthésier leurs libertés publiques et démocratiques sans broncher ou presque…
Y verront-ils la première scansion d’un changement de civilisation où tout se jauge désormais à l’aune d’une idéologie sanitaire, nouvel horizon eschatologique de nos cités, où la vie de chacun à tout prix prime sur toute autre considération ? À moins qu’ils ne s’interrogent sur cet accident sans précédent qui vit alors ce retrait général opérer, panique incompréhensible au regard d’autres épreuves épidémiques du passé et dont les conséquences économiques, sociales et politiques outrepasseront de très loin la virulence du Covid-19 ?
À ce stade, l’interrogation dans cette sidération de l’immédiateté qui obstrue toute analyse en recul relève de l’indicible tout autant que de l’inaudible, voire de ce que le « commun éditorial » nomme le « politiquement incorrect ».
C’est peu de dire pourtant que c’est maintenant que tout se joue, alors que semble décélérer la vague épidémique, à savoir le bien-fondé ou non de cette mise à l’abri généralisée et la mesure de l’impact de celui-ci sur tant de facteurs qui déterminent la marche de la cité : l’économie, la cohésion sociale, la vitalité démocratique, le retour en d’autres termes à tout ce qui nourrit le développement de cette existence collective que nous appelons « société ».
Si le grand confinement constitue un changement profond d’attitude, voire une révolution, de la société sur sa façon d’être ou l’expression exceptionnelle d’un monde qui à l’instar de l’effroi de l’an 1000 sort de son sillon pour y revenir, nous le serons sans doute bientôt au travers de notre propre capacité à absorber les conséquences de la crise. C’est maintenant que tout commence…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef