L’initiative du Président du Sénat et de la Présidente de l’Assemblée nationale d’en appeler à un grand rassemblement ce 12 novembre est sans aucun doute nécessaire dans un climat lourd et tendu. Que l’appel vienne du Parlement, cœur de la représentation nationale, est en soi symbolique en ce sens qu’il témoigne que la démocratie parlementaire, celle en fin de compte qui enracine le libéralisme politique, n’entend pas se laisser intimider par les opérateurs de la discorde et de la haine. Pour autant l’exercice n’en demeure pas moins révélateur de l’extrême tension qui traverse une société française plus divisée que jamais en ce premier quart du XXIe siècle. Une partie de la gauche, celle de LFI et de Jean-Luc Mélenchon, ne s’associera pas au défilé ; une autre partie de celle-ci y participera mais regrette la présence du Rassemblement national dans les cortèges ; la majorité présidentielle évidemment en sera, rejoignant non sans tartuferie pour certains de ses membres une désapprobation quant à la décision de Marine Le Pen et de ses troupes de se joindre à la mobilisation.
Cette querelle si française n’est évidemment pas à la hauteur d’une situation qui tangente dangereusement tant la pression internationale des événements s’invite tous les jours un peu plus dans l’Hexagone et également plus largement en Occident.
Dans cette grande affaire qui parait venir, celle d’un monde convulsif comme jamais peut-être ne le fut-il depuis les années d’avant-guerre au siècle dernier, la raison est comme souvent la première victime de nos emportements. Il ne suffit pas de crier au « cessez-le-feu » comme Monsieur Mélenchon pour s’acheter à bon compte un brevet d’humanisme visionnaire quand parallèlement l’on se refuse à condamner clairement pour ce qu’ils sont les ignobles tueurs du Hamas et que l’on nourrit par des propos sournoisement provocateurs les pulsions antisémites de certains segments de la population. Il ne suffit pas non plus de reconnaître le droit légitime d’Israël à se défendre pour endosser le parti de la civilisation si l’on ne pondère pas les conséquences de ce droit par la recherche nécessaire et indispensable à terme d’une solution politique. Il ne suffit pas enfin d’exprimer son émotion pour avoir raison où que l’on se situe. Il faut condamner le crime, c’est un fait ; il faut se méfier de la guerre aussi, c’est un autre fait ; il faut certes tenir pour barbare la violence propulsée par la terreur et ses abjects ouvriers sans jamais la confondre, ne serait-ce qu’un millième de seconde, avec l’usage d’une force régulière, déployée en raison de motifs existentiels, mais ne pas dédouaner non plus cette dernière afin justement de la limiter et de faire en sorte qu’elle ne rende impossible toute issue politique pour chacune des parties.
Depuis la chute de l’URSS, les Occidentaux ont perdu dans des aventures parfois contestables une partie de leur crédibilité d’une part et de leur puissance d’autre part.
Il va de soi que s’il faut en passer par les militaires pour détruire les ennemis de la liberté et tout compte fait de l’humanité, il convient aussi d’en revenir toujours aux diplomates pour dessiner les voies de sortie de crise et d’une paix aussi équitable que durable.
Cette vérité aussi triviale qu’élémentaire donne ces temps-ci la préoccupante sensation d’être oubliée. Le bruit, la fureur qui de partout déchirent les cieux de notre présent ne rendent pas forcément propices et audibles cet indispensable « discours de la méthode » qui ne peut s’absoudre de la raison, quand bien même celle-ci apparaît complexe, lente et contraignante.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne