De ce qui s’est passé dans ce petit village de la Drôme, et des effets induits qui en résultent, il faut d’ores et déjà tirer deux enseignements : la redoutable prophétie du regretté Gérard Collomb, ancien ministre de l’Intérieur, au sujet du « face à face » à venir se dessine plus rapidement peut-être que les augures les plus pessimistes l’avaient hélas prévue ; à ce premier constat s’en ajoute un second, relatif celui-ci à la position de l’exécutif qui dans cette tragique affaire n’aura pas mesuré combien le logiciel de relativisation dont il a usé pour caractériser l’événement aura, loin de calmer l’opinion, exaspéré des pans entiers de celle-ci. Tout s’est passé comme si en voulant classer dans la catégorie des « faits divers » l’assassinat du jeune Thomas et en dénonçant la politisation dont ce dernier a fait l’objet, l’exécutif n’avait pas pris la mesure de l’émotion suscitée par cette actualité tragique.
C’est une partie de la France périphérique, celle-là même qui se sent oubliée et méprisée par les pouvoirs publics et certains éditorialistes organiques, qui s’est sentie comme stigmatisée par indifférence ou euphémisation.
Le registre dans lequel l’exécutif s’est engouffré pour évacuer le problème traduit l’incapacité d’une partie des élites dirigeantes à comprendre l’immense colère qui dans de nombreux territoires ne cessent de croître. Les terres oubliées et déclassées qui s’étaient levées au moment de la crise des Gilets jaunes n’ont pas, depuis cette grande jacquerie, remisées leurs ressentiments. Sur tout un ensemble de sujets comme les services publics, le pouvoir d’achat, le besoin de reconnaissance citoyenne, les braises de 2018/2019 ne se sont pas éteintes. Au moins cette France là des petits villages et des petites villes imaginaient à défaut pouvoir vivre mal sans doute mais à tout le moins en bénéficiant d’une forme de préservation quant à sa dernière richesse, la sécurité publique. Ce n’est plus le cas. Lorsqu’une fête communale est obligée de recourir désormais à des vigiles privés pour assurer la sécurité d’un moment convivial, voilà qui en dit long sur la perception que la ruralité se fait de son environnement, y compris dans sa sociabilité la plus festive.
Faute de comprendre cette réalité, le gouvernement comme nombre de médias ont oublié que tout problème de sécurité est d’abord et nécessairement une question dont la racine est exclusivement politique.
Si cette observation de bon sens n’est plus à la portée de ceux qui nous dirigent, voire de ceux qui entendent éclairer l’opinion, c’est vraisemblablement que la déconnexion est non seulement actée, mais qu’elle débouche sur une sécession du haut qui n’est plus apte à comprendre le pays dans ses profondeurs. La République est d’abord fragilisée par cette cécité et par ce que Platon appelait « la fraude des mots » en laquelle il voyait le premier symptôme de « la corruption des cités »…
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne