Rien ne va plus. Après l’adoption de la motion de rejet préalable présentée par les écologistes, l’exécutif est confronté à un tournant majeur du quinquennat. Quel que soit le sort du projet de loi immigration en commission mixte paritaire, le chef de l’Etat se trompe lorsqu’il entend transformer en anecdote la mise en minorité de son gouvernement par l’Assemblée nationale.
Emmanuel Macron, qu’il le veuille ou non, est confronté désormais à une corrosion tous les jours plus accélérée de son mandat. Fatalité du deuxième mandat certes qu’avant lui François Mitterrand ou Jacques Chirac, voire même le général de Gaulle ont pu connaître par le passé. Encore disposaient-ils tous d’un étiage majoritaire plus large au Palais Bourbon, y compris le Président Mitterrand, nonobstant sa majorité relative. Surtout étaient-ils tous plus prudents, moins provocateurs dans l’exercice du pouvoir. Question d’expérience, donc de maturité sans doute.
L’actuel locataire de l’Elysée a ceci de singulier que dans son face-à-face avec lui-même il s’imagine couvert par une extraordinaire et heureuse providence.
Il devrait pourtant observer, à l’instar des Antiques scrutant les profondeurs des cieux ou de l’atmosphère, les nombreux signes d’alerte qui ne cessent de s’accumuler autour de ce quinquennat entré si précocement en ce qu’il faut bien appeler une insidieuse fin de règne. On ne reprend pas la main lorsque l’on s’imagine inoxydable ou invincible ; bien au contraire le risque alors est de s’enfoncer dans une obscurité prélude aux grandes et inéluctables défaites. C’est surtout un bien mauvais service que de considérer que seul son sort personnel compte alors qu’il s’agit de celui du pays qui est en jeu.
De Gaulle, Mitterrand, Chirac ont chacun à leur manière, conscients de leur essoufflement, entrepris de se relancer : ils ont tous utilisé l’arme référendaire, avec une réussite inégale pour les uns et pour les autres. Au moins tous les trois, qui connaissaient intuitivement leur peuple et leur histoire, savaient qu’un régime pour s’éviter des troubles plus mortifères a besoin d’une respiration démocratique lorsqu’il ne parvient plus à dessiner un avenir autre que la seule perpétuation d’un pouvoir personnel. C’est à ce dangereux point de bascule que nous accédons.
La crise du macronisme se transforme peu à peu en crise de régime.
Faute de modestie, faute de lucidité, faute de vouloir s’en remettre à la souveraineté, la perspective de l’aggravation se dessine. Le Président, chef d’un État empêché, par l’endettement et par la défaillance quotidienne de ses outils régaliens, serait bien avisé de prendre une initiative. Non pas celle de ces sempiternelles entreprises de communication sur le registre du « Grand débat », du « Conseil national de la Refondation » ou des rencontres de Saint-Denis mais à partir des outils constitutionnels dont la Ve République lui fournit l’opportunité.
Les trois années qui d’ici 2027 séparent le terme du quinquennat ne peuvent se poursuivre au prix d’une lente mais inévitable dégénérescence de la légitimité du pouvoir, quand bien même les institutions nées en 1958 constituent de puissants amortisseurs des colères sociales et politiques. Ce faisant et ce n’est pas le moindre des paradoxes, leur stabilité est devenue un frein à la résolution de la crise démocratique mais leur esprit, forgé par leur fondateur, est de toujours laisser ouverte la porte du retour aux Français.
Ce retour au regard des maux qui minent l’assise républicaine pourrait être à terme, vraisemblablement par l’usage de la dissolution bien plus encore que celui du referendum, la seule alternative susceptible de stopper le préoccupant processus de dégradation dans lequel nous sommes entrés.
Au Président ensuite d’en extraire les enseignements, non pour l’intérêt d’un camp, mais pour celui, général et transcendant, de la Nation : sans majorité législative dans le pays, il devra considérer que la fracturation permanente du champ politique auquel il s’est adonné depuis des années l’a rendu ingouvernable et dès lors il faudra qu’il en tire les conséquences pour lui-même ; dans l’hypothèse d’une majorité il pourra ou retrouver des marges pour conduire le pays ou laisser cette mission à un gouvernement de cohabitation. En-deçà de cette hypothèse, le risque est grand qu’il n’y ait de place que pour une aventure aussi incertaine que… personnelle.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne