Après avoir fait adopter avec le concours du RN une loi immigration profondément réécrite par les LR et la majorité sénatoriale, l’exécutif se trouve confronté à un double défi : celui de sa capacité à se relancer dans un second mandat entravé par un rapport de forces parlementaires qui lui échappe et celui de sa cohésion au moment où, pour la première fois, un vent d’incompréhension s’est manifesté aussi fortement en son sein. Les deux phénomènes sont évidement liés et tout laisse à croire qu’ils risquent de s’amplifier au cours des prochains mois.
Dès lors pour Emmanuel Macron l’enjeu essentiel consiste à tenir. Tenir contre ses oppositions qui si elles se liguent le mettront en minorité structurelle, tenir contre l’opinion qui majoritairement n’approuve pas son action, tenir désormais aussi contre ceux qui dans son camp manifestent un début de fronde contre ses orientations et son exercice du pouvoir.
Le temps joue inévitablement contre le Président car au fur et à mesure que l’on avance dans le quinquennat l’autorité présidentielle s’émoussera, laissant toujours plus libre cours à sa mise en question.
La démission du ministre de la Santé, de ce point de vue, loin d’être anecdotique constitue un premier signal d’alerte puisqu’elle souligne que le Chef de l’Etat ne parvient plus nécessairement à métaboliser les différentes nuances de son matériau politique. Certes dès le premier quinquennat des mouvements centrifuges avaient pu opérer, mais ils étaient alors amortis par l’existence d’une majorité absolue et surtout par la perspective d’un second mandat. Faute du support de ces deux éléments, Emmanuel Macron est à découvert, prisonnier tout à la fois d’un compte à rebours et de l’insuffisance de ses troupes à l’Assemblée. Dans ce contexte toute fragilisation de ces dernières sous les coups de butoir de la conjoncture prend la forme de mini-séismes qui désorbitent toujours plus le macronisme de son axe central.
C’est bien évidemment ce qui s’est passé avec la législation sur l’immigration dans laquelle les droites ont non sans gourmandise et efficacité idéologique largement taillé pour livrer une mouture qui in fine avait peu à voir avec son état initial. Ce faisant, le Président de la République a poursuivi un énième exercice de fracturation du champ politique auquel il s’adonne depuis des années : après avoir fracturé droite et gauche de gouvernement pour ses propres intérêts, le voilà contraint, à son corps défendant cette fois-ci, de fracturer son propre camp, à des fins circonstancielles, et au risque de se retrouver seul face à l’unique offre politique qui avance en bloc et en cohérence car toujours en adhérence avec l’opinion, comme elle le fut tant lors du débat sur les retraites que sur celui de l’immigration : le Rassemblement national.
De barrage auto-proclamé, le macronisme tend à devenir le principal carburant d’un RN plus que jamais en position pour se transformer en force de l’ultime alternance.
A trianguler sans mesure au gré de la volatilité de ses intérêts, tel un Alcibiade ressuscité, Emmanuel Macron pourrait s’avérer être l’homme du contre-destin, le dernier maillon d’une issue inscrite dans des décennies de velléités gouvernantes…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne