Ce faisant, de Gaulle sauvera alors tout à la fois et notre agriculture, et notre souveraineté. Alors que les campagnes s’enflamment, que les agriculteurs pour 25 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté, que notre production est soumise à un dumping social et environnemental qui met à mal notre autonomie alimentaire, que le déclin démographique de la profession s’accentue, deux commissions du Parlement européen viennent de signer voici tout juste 48 heures un nouveau Traité de Libre-échange avec le Chili et le Kenya. Voudrions-nous signifier plus d’indifférence et de mépris à l’encontre de ceux qui en France et dans nombre d’Etats européens crient leur colère pour sauver leurs exploitations qu’il ne faudrait pas s’y prendre autrement… On est bien loin de la clarté et de la détermination gaullienne du milieu des années 1960, laquelle proclamait avec cette évidence oubliée et désormais jetée aux orties que « la démocratie est indissociable de la souveraineté nationale », formule d’airain à laquelle il faudrait rajouter que la liberté des peuples est d’abord de disposer d’eux-mêmes.
Confronté à l’une des plus graves crises du secteur agricole de ces dernières années, l’exécutif l’est également à ses contradictions.
Comment donner satisfaction aux agriculteurs sans remettre en cause un alignement millimétrique sur Bruxelles ? Emmanuel Macron, dont l’horizon ne s’éclaire qu’à la lumière d’un engagement fédéraliste qui ne dit pas trop son nom mais dont toutes les décisions doivent se comprendre à l’aune de cette conviction, est cruellement à découvert. Encore une fois il parait rattrapé par le réel, comme il l’a été par la France périphérique avec les Gilets jaunes, comme il l’a été par le constat de notre déclassement stratégique à l’occasion de la crise Covid, comme il l’est désormais avec une révolte paysanne qu’il n’aura pas vu venir et à laquelle il aura malheureusement pris sa part en appliquant la feuille de route de l’UE. Alors que les parlementaires européens macronistes auront voté toutes les mesures qui aujourd’hui soulèvent pour une grande part la France rurale, se pose plus que jamais la question de la cohérence du pouvoir qui un pied à Bruxelles donne quitus à Madame Von der Leyden, figure de la morgue ainsi que de la surdité eurocratique s’il en ait, et d’un autre qui à Paris prétend entendre plus que jamais la souffrance sociale, économique, humaine d’un monde engagé dans un combat quasi-civilisationnel pour sa survie…
Elle est d’autant plus perceptible que l’ambiguïté présidentielle nourrit le soupçon de double-discours que la mince pellicule marketée du « en même-temps » ne parvient plus vraiment à occulter.
Sur les charges, sur l’exonération de taxe concernant le gasoil non routier, sur le double harcèlement administratif, national et européen, sur la lutte contre les distorsions de concurrence auxquels souscrit l’euro-technocratisme bruxellois dès lors qu’il ratifie des traités de libre-échange comme il entend encore le faire avant le 20 juin avec le Mercosur, sur les normes environnementales, la liste est longue des enjeux qui s’accumulent dans une atmosphère d’exaspération. Le volontarisme que suppose la résolution de la crise exigera sur tous ces sujets une révision déchirante et assez radicale du logiciel de la majorité présidant aux destinées du pays. Sauf à se refuser à être gaullien, c’est-à-dire être véloce sur la gestion conjoncturelle et prêt au bras de fer avec l’UE sur le traitement structurel, le risque est grand pour le pouvoir de ne pas être entendu, ni compris…
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne