Nombre des élites Occidentales pourtant ne cessent de dénoncer les menaces qui de l’extérieur obscurcissent l’avenir des démocraties libérales, sans pour autant considérer les risques endogènes qui aujourd’hui viennent faire sortir de leurs lits des régimes où historiquement la liberté était la règle, la dérogation à cette dernière l’exception.
Il existe pourtant au sein même de nos sociétés, parmi ceux qui se prétendent eux-mêmes les défenseurs de notre culture politique, libérale et pluraliste, une tentation, grande, de corseter le débat et l’espace public.
L’illibéralisme est parmi nous, y compris chez ceux qui se prétendent souvent indûment les plus soucieux de la lutte contre les pouvoirs illibéraux. La Revue politique et parlementaire, vieille revue républicaine qui commémore ces 130 ans cette année, ne cesse d’alerter sur ce danger de l’intérieur. Il entraîne nos institutions là où elles ont été précisément échafaudées pour ne pas aller. Les libéraux ne sont pas forcément ceux qui proclament l’être.
Le recours introduit devant le Conseil d’Etat par une ONG, Reporters sans frontières, dont la mission originelle consiste à protéger la liberté de la presse, contre un média privé, Cnews, confirme cette appréhension. Il constitue un point d’alerte sans précédent dans notre histoire médiatique récente. C’est à n’en pas douter une dérive, bien plus motivée idéologiquement que par un hypothétique souci déontologique. Il faut s’en inquiéter et pour tout dire la dénoncer. La décision ensuite du Conseil d’Etat, outre qu’elle induit et qu’elle incite à une catégorisation aussi insidieuse que dangereuse des intervenants de la chaîne, propriété du groupe Bolloré, enjoint l’Arcom à aller au-delà du rôle qui lui est fixé par la loi. Le Président du Groupe LR à l’Assemblée l’a très justement observé en commentant la lecture que l’autorité de régulation fait de l’injonction de la plus haute juridiction administrative du pays. L’Arcom dans le communiqué qu’elle publie se félicite d’un renforcement de ses missions sans que le législateur n’en ait été saisi. Olivier Marleix a ainsi grandement raison lorsqu’il note que » l’Etat de droit c’est le respect de la loi, pas la création de pouvoir des juges à la place du parlement « . L’un de nos contributeurs les plus avisés, l’ancien secrétaire-général du Conseil constitutionnel, Jean-Eric Schoettl, va non sans raison jusqu’à considérer dans une tribune du Figaro qu’après la décision du Conseil d’Etat, » c’est à une véritable inquisition que l’Arcom devra se livrer « , y décelant notamment une grave entrave pour la liberté d’expression.
Ne pas le voir, d’où que nous parlions, de droite, de gauche, du centre ou encore d’ailleurs c’est donner quitus à une évolution dont les arrières-pensées ne parviennent pas à dissimuler un mobile peu avouable, car éminemment politique, qui plus est politiquement dangereux.
L’histoire nous apprend que ce n’est qu’en tremblant que l’on doit s’enquérir du bon fonctionnement de l’espace public, encore moins en incitant à ficher ceux qui y participent, pratique pour le moins troublante, pour ne pas dire malsaine, sauf à refuser le débat pour instaurer une vérité exclusive. Manifestement, la liberté n’est pas aimée par tout le monde : une raison supplémentaire pour la défendre plus que jamais à l’heure où certains semblent vouloir la contraindre au point de la remettre en cause.
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne