Ce faisant l’intervention du Chef de l’Etat est grevée de plusieurs ambiguïtés, à commencer par cette impression diffuse que, nonobstant l’apparent volontarisme de la position officielle de la France, celle-ci n’a pas forcément à ce stade les moyens de sa politique.
Le Président l’a quelque part implicitement avoué lorsqu’il a rappelé justement que notre industrie de l’armement n’était pas en mesure de fournir de manière optimale le soutien dont avait besoin Kiev.
Mais au-delà de ce constat objectif, l’intervention d’Emmanuel Macron entendait sans doute provoquer une prise de conscience dans une opinion dont des sondages récents indiquent qu’elle n’est pas prête, loin s’en faut, d’acquiescer à un engagement supplémentaire du pays sur le terrain ukrainien. Le Chef de l’Etat surtout n’a pas esquissé les moyens qu’il envisageait de mettre potentiellement en mouvement pour contenir l’offensive du régime du Kremlin et plus encore n’est pas parvenu à dissiper la perception de l’isolement de la France dans sa détermination à « upgrader » son niveau de mobilisation.
Dans ces conditions, la prise de parole présidentielle intervenant après le vote favorable du Parlement à l’accord de sécurité franco-ukrainien était-elle indispensable, sauf à susciter le doute quant à son opportunité au moment même où les candidats en lice pour les élections européennes débattaient par ailleurs sur Public-Sénat ? Le télescopage n’a pas manqué d’être dénoncé par les oppositions qui à droite, mais également chez les Insoumis, y ont vu d’abord une énième illustration de l’instrumentalisation de la guerre à des fins électorales. Le Chef de l’Etat aura néanmoins beau jeu de répondre que seule la Russie est responsable d’une situation qu’elle a provoquée dès lors qu’elle a décidé de s’en prendre à un État libre et souverain. C’est au demeurant ce qu’il n’a cessé de répéter tout au long de son interview, en insistant notamment sur l’extrême fragilité du front ukrainien et plus largement sur les intentions expansionnistes de Vladimir Poutine dont il estime qu’elles ne sauraient s’arrêter à la seule Ukraine.
Pour autant si problème il y a dans cette démarche qui se veut empreinte de lucidité revendiquant jusqu’à son inconfort au regard du sentiment général des Français, c’est sans doute parce qu’elle apparaît peu rassurante.
Outre que le caractère existentiel du conflit ukrainien pour la France n’ira pas de soi pour un grand nombre de nos compatriotes, le constat présidentiel ne peut occulter les limites d’une stratégie.
Il ne suffit pas d’élever le ton pour être crédible ; encore faut-il être en mesure d’être suivi par ses partenaires d’abord, par l’opinion ensuite et d’apporter enfin la démonstration de sa capacité d’action. Sur l’ensemble de ces sujets, force est de constater que le Chef de l’Etat est resté en-deçà, au risque d’apparaître en décalage entre son discours et la réalité, entre ses mots et l’état des forces réelles du pays… Or, rien de plus périlleux et fatal pour un Prince, comme nous l’enseignait Machiavel voici plusieurs siècles, que de n’être plus qu’un « prophète désarmé »…
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne