Tout chez ce fils de la République méritocratique respirait l’équilibre : intellectuel mais proche des gens, de formation classique mais épris d’avant-garde, homme de progrès mais soucieux des héritages du passé. L’exceptionnel attelage qu’il forma avec de Gaulle nous rappelle combien la France pouvait alors s’exprimer « à voix haute » pour reprendre le titre d’un ouvrage que Marcel Julian et François Vuillemin consacrèrent aux deux hommes à l’occasion du trentième anniversaire du décès de Georges Pompidou. Un temps dont notre présent incertain et parfois approximatif nous rappelle par un contraste cruel l’exigence et, d’une certaine manière, la grandeur.
La complémentarité des deux personnages, l’un les deux pieds dans l’histoire, l’autre les mains dans le présent, en firent sans doute l’idéal-type du couple exécutif sous notre République.
Non pas que tout fut toujours forcément d’harmonie, mais incontestablement il y eut « interopérabilité » entre l’un et l’autre dans l’exercice respectif de leurs fonctions. Leurs trajectoires expliquent leurs différences et leurs différences concoururent à la concorde nationale. A deux reprises notables, dans des moments de grande intensité, le second Premier ministre du Général marqua sa différence avec celui qui l’avait nommé : lorsqu’il mit sa démission dans la balance au moment où de Gaulle s’apprêtait à faire exécuter le Général Edmond Jouhaud, l’un des quatre généraux putschistes en faveur de l’Algérie française ; et en 1968, lorsqu’il comprit manifestement mieux que le Président, alors vacillant, ce qui se jouait dans le mouvement de Mai, parvenant habilement à une négociation qui permit de décorréler les revendications des salariés portées par les syndicats, de la contestation estudiantine.
A l’exception de ce double moment, intense, où sur la crête de l’évènement Georges Pompidou fit la démonstration d’un caractère à la fois déterminé mais également soucieux de trouver les voies de l’apaisement, le partage du sens de la France fut le lien inextinguible des deux dirigeants. Et lorsqu’il prit la suite du fondateur de nos institutions, le nouveau Chef de l’Etat n’eut de cesse, avec son style propre moins marmoréen mais tout autant en conscience que son prédécesseur de la nécessité de tenir le pays dans la voie de sa singularité, de poursuivre sans déroger à la projection de la France dans l’indépendance et la protection tout en faisant en sorte que cet État fort ne se transforme pas en Moloch intrusif.
In fine, l’antithèse de ce que la tutelle tatillonne et bureaucratique d’aujourd’hui doit que de trop à l’impuissance publique dont elle est l’expression.
Si aujourd’hui la nostalgie pompidolienne dit quelque chose, ce n’est pas tant par cette tendance des hommes à regretter un passé parfois fantasmatique que par ce constat qu’il fut un temps où autorité, prospérité et liberté n’étaient pas des mots déconnectés de la réalité. De ce point de vue, la présidence Pompidou, bien évidemment reflet d’un écrin historique propre qu’il serait absurde de comparer à notre présent confronté aux chocs des mondialisations, fut peut-être cette ultime figure d’un art politique maîtrisant la destinée d’un peuple.
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne