C’est à une dégradation du débat public que nous assistons : sur-polarisation médiatique, débordement numérique, appel à la censure, recherche de la mort sociale de tout adversaire ou supposé comme tel, exacerbation des positions de chacun, propension permanente au soupçon.
L’espace public est gagné, voire gangrené par un emballement préoccupant ; il n’est plus ce qu’il devrait être : la polémique l’emporte sur les logiques argumentatives, la radicalisation sur la nuance, la culture du clash sur la quête de rationalité. Tout n’est plus qu’émotions, que communication débridée, que grégarisme des affinités, qu’exaspération des conflits, que recherche approximative des indices qui permettront de valider les a priori et autres anathèmes. De ce point de vue, le maccarthysme dans une version remasterisée ne s’est jamais aussi bien porté. Mais il n’est pas l’expression d’un camp, il est hélas devenu l’expression de tous les camps, » la chose du monde la mieux partagée » en quelque sorte. Que l’on en juge au travers de quelques exemples d’une actualité qui parle autant qu’elle est à plus d’un titre désolante : des meetings de forces diamétralement opposées interdits à Bruxelles et à Lille, sur la plateforme X des échanges d’une rare violence verbale entre personnalités publiques, un journaliste mis à pied sur une grande radio publique et objet d’une campagne de dénigrement soutenu sans que les faits qui lui soient reprochés ne soient étayés autrement que par de simples rumeurs… La liste est longue désormais de cet affaissement de l’esprit public ourlé au quotidien de controverses incessantes, de prédispositions dénonciatrices, d’invectives grandissantes.
On ne débat plus, on frappe ; on ne pense plus, on éructe ; on ne réfléchit plus, on antagonise à vif.
Tout est personnalisé à l’excès, tout est exprimé à la va-vite avec pour seul objectif de déployer un effet de communication immédiat et viral, tout est trop souvent appel à la censure.
Sans aucun doute, l’état de nos débats publics reflète aussi l’état social et culturel de notre époque.
Une raison supplémentaire pour tous ceux dont la parole est justement publique d’en user plus que jamais avec retenue, précaution, souci des altérités et exigence où la rigueur est le meilleur antidote aux aigreurs mortifères… Ce qui ne signifie renoncer ni à ses convictions, encore moins à la lucidité.
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne