La fatigue collective contraste avec la nervosité du débat public, tous les jours plus piqué à vif par le tourbillon de l’immédiateté et la nervosité des réseaux. Il n’en demeure pas moins que s’il y a quelques enseignements à tirer de la joute électorale avant que les urnes ne livrent leur verdict, ils disent quelque chose avant tout sur l’évolution de nos formats politiques.
A y regarder de près, trois caractéristiques paraissent désormais se dessiner : le rajeunissement, le fractionnement, l’exacerbation.
Cette évolution générationnelle n’est autre que le reflet d’une phase de crise, révélatrice des échecs des générations précédentes.
Le rajeunissement s’indexe toujours sur les défaites et les impuissances des gouvernants qui n’ont pas su répondre aux défis de leur temps. De 1789 à 1958 en passant entre autres par l’aube de la IIIe République, la régénérescence du personnel dirigeant est la marque vitale de ce mouvement. C’est sans doute ce moment que nous traversons, sans néanmoins aucune certitude sur la pérennité du phénomène.
La dispersion de l’offre partisane constitue l’autre traceur de cette élection. Le fractionnement d’un champ politique quadripolaire, tout au moins dans sa représentation parlementaire, dans les années 1970 et encore au début des années 1980, n’a cessé de s’accentuer depuis quatre décennies pour déboucher sur la configuration hyper-émiettée que nous connaissons désormais. Gauche de gouvernement disséminée ; droite de gouvernement réduite à un carré toujours plus restreint et fragilisé ; bloc central lui-même traversé par de multiples nuances ; droite de la droite scindée entre un courant social dominant, le RN, et un courant libéral et identitaire, minoritaire ; gauche radicale dont les Insoumis constituent le fer de lance, etc.
Cette fragmentation est le produit d’une incapacité des propositions partisanes à structurer le champ politique, autrement que par une multiplication des offres.
Mais cette multiplication en retour dit aussi qu’à l’épreuve des défis de l’époque, la société française archipellisée reproduit aussi politiquement les fractures qui sont les siennes. Dans ce jeu de miroir, la scène politique nationale renvoie à la face de la cité son éparpillement communautaire, c’est-à-dire la métastase de ses divisions, l’expression la plus explicite de sa crise, le délitement de sa cohésion. Là où le politique n’a plus été en mesure de rassembler, de protéger autant que de projeter, le corps social se dissémine en autant de fractions progressivement de plus en plus inconciliables.
Cette irréductibilité des points de vue et des positions suscite immanquablement une exacerbation des débats publics, avec une montée en puissance des radicalités, des outrances, des comportements excessifs, des registres d‘actions toujours plus en tension, schématisation, stigmatisation des adversaires et autres concurrents.
Tout se polarise, dans un espace public ravagé par la culture de l’instant, de l’image, de la recherche de l’effet immédiat au détriment de l’argumentation.
La conflictualité consubstantielle à la concurrence démocratique tend dès lors à basculer dans une autre expression, plus inquiétante car plus violente dans ses attitudes comme dans ses mots. A l’ordre nécessairement pluraliste de la République se substitue peu à peu le théâtre chaotique d’une scène politique où les logiques d’excommunication l’emportent de toute part sur les exigences de la communication démocratique.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne