Sa pratique du pouvoir, tout autant que sa ligne idéologique, auront démultiplié les fractures multiples de la société française : fractures sociales, fractures territoriales, fractures citoyennes se seront sédimentées au point d’aboutir à la crise institutionnelle dans laquelle le pays vient d’entrer depuis le 7 juillet.
La législature qui commence expose nos institutions à un « crash-test » sans précédent.
Bien plus complexe qu’une cohabitation, elle place le régime de la Ve République sous la tutelle aléatoire et capricieuse de combinaisons incertaines, ceci dans un contexte de fragilisation du pays sans précédent en raison de son endettement d’une part et des tensions politiques qui le traversent d’autre part. Quelle que soit la solution, probablement provisoire au demeurant, qui se dessinera pour former un premier gouvernement, tout accrédite qu’il s’agira forcément d’une cote mal taillée : que le Nouveau front populaire s’apprête à gouverner, et la crise démocratique ne pourrait que s’approfondir dans un pays très majoritairement à droite ; qu’une coalition plurielle voit le jour entre macronistes, sociaux-démocrates et LR, cette hypothèse ne manquera pas d’alimenter la frustration d’une partie des électorats de gauche et du RN qui considèreront avoir été privés de la victoire ; qu’un accord plus ou moins explicite intervienne entre bloc central et LR, le bloc de gauche y verra alors une captation du résultat d’un scrutin qui lui a accordé le plus grand nombre de sièges, quand bien même le récit de la victoire du NFP relèverait d’un bluff propagandiste.
On le voit : le pays est entré en instabilité institutionnelle, ne sachant plus si demain il sera gouverné et par qui. Cette illisibilité rompt avec plus de soixante années de fonctionnement constant et régulier de nos institutions, môles solides ayant amorti tant de secousses et de crises de diverse nature. La paralysie à laquelle la nation risque de se confronter la rend d’autant plus vulnérable à l’heure où la Commission européenne pourrait ouvrir une procédure à l’encontre de la France pour déficit excessif. Dans ces conditions l’ingouvernabilité de la nation surgit au pire moment, faisant craindre pour certains une offensive contre la dette française sur les marchés financiers.
Il va de soi qu’à mesure que le temps passe et qu’aucune solution parlementaire viable ne se dessine, le risque de la combinaison de la crise politique, institutionnelle et financière s’accroît.
Un alignement explosif des Erinyes, ces déesses persécutrices de la mythologie grecque… D’où l’urgence à remettre en ordre de marche nos institutions. Encore faut-il que le principe de responsabilité des décideurs politiques l’emporte sur les calculs partisans et les arrières pensées tactiques. Ce qui à ce stade est loin d’être acquis.
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à Sorbonne-Université