L’été est gorgé d’incertitudes, quand bien même la fête olympique dissoudrait l’espace d’un instant les inquiétudes. Ce n’est là qu’un effet d’optique et le réel persiste dans ce qu’il a de plus préoccupant.
Trois crises se profilent déjà à l’horizon de la prochaine rentrée. La première est d’ordre institutionnelle. Les élections législatives ont précipité le pays dans une situation d’instabilité politique sans précédent sous la V ème République.
Le prochain gouvernement, d’où qu’il vienne et quel que soit son projet, risque fort de se confronter à une Assemblée d’où ne se dégage aucune majorité.
Tout accrédite dés lors l’idée qu’il ne s’agira que d’un gouvernement sans marge de manœuvres, bien plus intérimaire que durable et dont la tâche restera structurellement contrainte.
Cette configuration sera d’autant plus corrosive qu’elle s’installe sur fond d’une trame géopolitique des plus explosives : du conflit ukrainien où l’enlisement gagne, au chaudron proche-oriental tous les jours un peu plus exposé à une montée aux extrêmes, l’ombre des désordres internationaux qui ne cesse de s’étendre ne sera pas sans effets sur la situation interne. Elle rend encore plus problématique l’ingouvernabilité du pays, l’entravant de telle manière qu’il ne peut non seulement se préparer de manière adéquate à affronter les épreuves d’un théâtre planétaire en ébullition, mais qu’il s’en trouve affecté aussi à porter une voix audible dans le concert des Nations.
La seconde de ces crises pourrait nous venir du Royaume-uni où les émeutes qui agitent le pays constituent à plus d’un titre un signal d’alerte pour tous les pays confrontés en Europe à une immigration de masse d’une part et à un déclassement social d’une partie de leurs populations d’autre part. La France est évidemment de ceux-là. Ce qui se passe Outre-Manche, loin d’être une poussée de fièvre épisodique, porte en germe une forme de basculement : le refus violent de l’immigration, la multiplication des affrontements civils, le durcissement d’un pouvoir qui apparaîtra aux yeux des manifestants comme potentiellement plus soucieux de les réprimer que de réguler le phénomène migratoire. À l’opposé du paradigme multiculturaliste britannique, la laïcité à la française demeure certes un amortisseur salutaire mais l’offensive à laquelle elle est régulièrement exposée fragilise un modèle qui jusque là a fait ses preuves. Pour autant les tensions générées depuis des décennies par la question de l’immigration ont tout d’un combustible puissamment inflammable dont rien ne dit qu’il ne puisse, à l’instar de ce qui se passe chez nos voisins britanniques, ne pas prendre des formes plus éruptives. L’instabilité institutionnelle, là aussi, en viendrait mécaniquement à compliquer les missions d’un exécutif grevé par une absence de majorité et héritier par ailleurs de décennies de dénis.
Autant dire que le risque de contagion n’est pas nul dans un pays où le sujet migratoire cristallise, comme jamais, la coupure entre le peuple et ses élites.
À cette double inquiétude, institutionnelle et régalienne, pour ne pas dire civilisationnelle, s’en greffe une troisième, tout autant objet de relativisation que les deux premières : l’état de nos finances publiques dont la dette non maitrisée hypothèque la souveraineté de la France et la laisse à découvert sur les marchés financiers. L’épreuve budgétaire à venir s’annonce des plus délicates dans un régime ne disposant plus de l’assurance d’un gouvernement pouvant travailler dans la durée. Un paramètre qui ne peut qu’inquiéter les créanciers étrangers. Alors que l’Etat devra prochainement emprunter près de 300 milliards d’euros, une somme correspondant peu ou prou au produit de l’impôt, la gouvernabilité aléatoire du pays s’inscrit comme un facteur supplémentaire aggravant dans un système en tensions.
Ainsi au tournant d’un été en trompe l’œil, enthousiasme olympique oblige, l’heureuse communion nationale autour de nos athlètes ne peut cependant occulter un horizon encombré.
Tout l’enjeu pour ceux qui aspireraient à gouverner dans une conjoncture hautement perturbée n’est pas tant de le vouloir que de le pouvoir. Pour ce faire, encore faudrait-il s’extirper de cette euphémisation permanente du réel qui n’est autre que le storytelling de nos renoncements. Car c’est le réel qui demande à être gouverné et non notre imagination…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à Sorbonne-Université