Le choix opéré par le Président de la République est celui de la sobriété, de l’expérience et de l’équilibre : de la sobriété parce que Monsieur Barnier s’inscrit dans une pratique du politique qui ne cède pas aux excès de la communication, de l’expérience parce que l’homme dispose d’une connaissance soutenue de l’appareil d’Etat et des instances internationales, de l’équilibre parce que dans un système instable il est la solution la moins allergisante pour ne pas déstabiliser ce qui reste de stable dans un univers aussi fragmenté que bousculé. Bref, l’option retenue a au moins le mérite si ce n’est de solder, loin s’en faut, les conséquences volcaniques de la dissolution, mais d’entrouvrir pour un temps une légère éclaircie dans des cieux qui restent néanmoins encombrés tant par l’accroissement des dérapages des comptes publics que par les nombreuses et épaisses inquiétudes régaliennes qui n’en finissent pas d’éroder la confiance des Français dans les institutions.
Car tout l’enjeu immédiat pour le nouveau Premier ministre est d’entrer en cohabitation avec le Président qui l’a nommé et dont les électeurs ont sanctionné le bilan, tout en évitant le couperet immédiat d’une motion de censure qui précipiterait le régime dans une crise institutionnelle.
Pour ce faire, Michel Barnier devra barrer à droite, car c’est là l’orientation majoritaire du pays et surtout est-ce aussi de ce côté là qu’il amortira potentiellement le risque d’une motion de censure qui à tout moment est susceptible de le renverser. Sa nomination est pour une part non négligeable tributaire de la bonne volonté provisoire du premier groupe parlementaire de l’Assemblée, le RN, qui peut pour l’instant exciper une forme de gain symbolique après sa déconvenue relative du second tour des législatives. Pour autant, l’exercice demeure hautement complexe car le nouveau chef du gouvernement devra, faute de disposer d’une majorité, tenir compte également de l’aile gauche du bloc macroniste sans laquelle il ne pourra bénéficier également d’un minimum de stabilité et de visibilité. À défaut de se couper de l’une ou de l’autre, l’issue de l’expérience gouvernementale qui commence pourrait être rapidement hypothéquée.
Car c’est là que le problème persiste et non des moindres : Michel Barnier est le chef d’un gouvernement mais il n’est pas le chef d’une majorité ou alors l’est-il d’une majorité virtuelle, sans autre existence réelle que celle de ne tenir que par le bon vouloir de groupes parlementaires qui ne lui sont pas affiliés. C’est dans ce « no man’s land majoritaire » que le nouveau locataire de Matignon va devoir gréer son navire gouvernemental. La composition de celui-ci, à venir, constituera une première indication sur les intentions du Premier ministre et aussi sur le périmètre qu’il entend donner à sa coalition.
Tout dans cette affaire se joue en chirurgie fine, dans un jeu de fragiles porcelaines où la moindre faute de carre est susceptible de dévier de sa trajectoire le plus précaire des équilibres parlementaires dans lequel est entré la Ve République.
Le chef de l’Etat a de son côté tout intérêt à respecter les prérogatives de l’autre tête de l’exécutif car l’échec de cette dernière le laisserait à découvert, seul et unique responsable d’une situation qu’il a par ses années d’exercice hautement personnel du pouvoir contribué à largement créer. Si c’est au Parlement que le Premier ministre devra chercher et tirer sa légitimité à gouverner, c’est aussi en marquant une rupture et en incarnant une alternance avec celui qu’il a nommé qu’il y parviendra en toute clarté.
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à Sorbonne-Université