Pour le RN, toute la question consistera à savoir ce qu’il peut escompter d’une relative neutralité sans dilapider de trop ceux qui en nombre dans son électorat aspirent à une opposition sans concession. L’enjeu de ce côté-ci de l’échiquier est de capitaliser en responsabilité sans perdre en fidélité de son socle électoral. À gauche, les calculs des plus en quête d’affranchissement, à savoir le PS, sont inéluctablement indexés sur l’intérêt ou non à maintenir en l’état un cartel électoral, le NFP. Ce maintien est conditionné par l’efficience de l’alliance à gauche dans l’hypothèse d’une nouvelle dissolution à brève échéance, mais si la perspective s’en éloignait, l’autonomie du PS pourrait prendre corps, ne serait-ce que pour préparer sur la durée une candidature présidentielle crédible pour 2027.
Le défi serait alors pour les sociaux-démocrates de conserver l’affichage d’une unité à gauche sans obérer leurs chances de se reconstruire pour préserver leur capacité à infléchir et à inverser un rapport de forces dans leur propre écosystème.
Le nouveau Premier ministre doit en conséquence gagner du temps pour préserver sa relation avec deux forces, RN d’une part et PS de l’autre, afin de renforcer la durabilité de son gouvernement.
Cet impératif exige en conséquence de donner des gages à l’un et à l’autre sans défaire un équilibre particulièrement précaire. Sur les retraites, sujet totémique pour le camp présidentiel mais aussi pour l’allié LR, il s’agit évidemment de concéder au PS quelques gains qui retiennent un temps son bras. Le problème est de savoir lesquels, d’autant plus que la gauche exige l’abrogation de la réforme votée. Il en va de même pour le budget, et ce tant côté gauche que côté RN. Reste à savoir quelles mesures permettront pour les uns et pour les autres de disposer d’un crédit suffisant aux yeux de leur électorat respectif pour ne pas s’associer à une nouvelle motion de censure. D’autres arguments pour stabiliser à tribord le navire gouvernemental pourraient être recherchés également tant sur la question migratoire que sur celle du mode de scrutin.
C’est bien sur une ligne de crête infiniment ténue que se situe l’expérience Bayrou, fortement dépendante des intérêts immédiats de ses opposants.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à Sorbonne-Université