L’histoire quelque part dispose de sa propre maïeutique. Ceux qui veulent quitter X ne veulent pas non seulement s’en détacher mais leur motif d’exaspération va plus loin encore : il consiste à mettre en question l’existence même du réseau. Madame Tondelier, leader des écologistes, l’a explicitement formulé ; la ministre en charge du Numérique a envisagé le bannissement de la plateforme allant même dans un lapsus significatif jusqu’à dénoncer le manque de modération à l’encontre de ce qu’elle a appelé des « fausses opinions » sans préciser ce qu’elle entendait par cette étrange et préoccupante formulation.
C’est bien le sujet de la liberté d’expression qui est au premier chef au centre de ce débat ainsi que de la conception que l’on s’en fait.
Côté anglo-saxon celle-ci ne se discute pas, ne se partage pas, ne se limite presque pas ou à de très rares exceptions. C’est le sens du premier amendement de la Constitution américaine.
De ce côté-ci de l’Atlantique, en France notamment, l’encadrement est plus contraint qu’il ne l’est aux États-Unis. L’Union européenne confrontée à la question des plateformes vise à aller plus loin dans la régulation des réseaux. Depuis août 2023, le Digital Services Act réglemente le fonctionnement de ces dernières, allant jusqu’à en prévoir le blocage dans l’hypothèse où elles ne respecteraient pas un certain nombre de critères, touchant à la diffusion des contenus, au caractère illicite de certains propos pouvant être considérés comme haineux ou susceptibles de la mise en danger d’autrui, aux effets potentiels sur des processus électoraux entre autres, ou impactant « l’exercice de droits fondamentaux »… Par-delà les caractères parfois très généraux sur lesquels ils se fondent, certains des paramètres invoqués dans le DSA sont susceptibles d’interprétations suffisamment subjectives pour conduire à ce qui ne manquera pas de s’apparenter à une volonté ou à un acte de censure. Le risque est là et il a été déjà pointé, principalement par les partisans d’une lecture extensive, autrement dit américaine, de la liberté d’expression.
L’autre interrogation que génère la dispute autour des plateformes est liée à la personnalité du propriétaire de l’une des plus éruptives et dominantes d’entre elles, à savoir X, anciennement Twitter.
L’arrivée en politique d’Elon Musk, son alliance avec Trump, son génie créatif n’en font pas l’un de ces populistes déclinistes que les néo-progressistes aiment à dénoncer comme les survivances « frelatées » d’une sorte de « cabinet des antiques » pour reprendre le titre du roman de Balzac. Il a le visage du futur, auquel il croit et qu’il contribue à dessiner. Musk desserre l’étau en ce sens qu’il renvoie la pensée mainstream à une époque en phase de dépassement, qu’il déconstruit aussi les préjugés des déconstructeurs radicaux en leur rappelant que lui l’homme qui croit aux progrès ne saurait le confondre avec une idéologie, qu’il intervient dans le débat non pas pour l’empêcher mais pour l’autoriser jusque dans ses contradictions les plus inconciliables. Libertaire mais conservateur, ouvrier du progrès scientifique et technologique mais objecteur de conscience des transgressions sociétales, il intervient, comme d’autres personnalités planétaires avant lui, dans les arènes nationales mais à partir du moment où il remet en cause le monopole de la pensée dominante consubstantielle à certaines élites dirigeantes, il s’expose à une diabolisation de leur part.
Il n’y a d’ingérence en quelque sorte que si elle va à l’encontre des certitudes élitaires dominantes.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à Sorbonne-Université