« Ordre juste » : Emmanuel Macron a convoqué une formule toute d’équilibre pour expliciter sa conception de la République. Celle-ci ne peut en effet se déployer, sans se renier, si elle n’associe pas à la protection des biens et des personnes – objectif régalien – un horizon qui permette de créer les conditions d’une mobilité sociale dont on sait depuis des décennies qu’elle est à l’arrêt.
Le débat sur l’insécurité qui s’est installé, dés la sortie du confinement, au-delà de la question de l’ordre public charrie bien d’autres sujets : la laïcité, le lien citoyen, la question migratoire, les inégalités de conditions, les tensions communautaires sont autant d’enjeux qui, au demeurant, traversent les disputes de la cité depuis plusieurs décennies, sans que le début d’une ombre de solutions n’ait été esquissé.
La République doit être ferme sur ses principes, mais généreuse quant à sa vocation. C’est entendu. Or depuis de nombreuses années, le contrat entre l’appartenance et ses pré-requis d’une part, et l’offre d’émancipation sociale d’autre part est mis à mal. La dialectique qui en échange des droits exigeait le respect des devoirs a été rompue, sur fond de crises économiques successives. Les droits ont subsisté, politiques et sociaux ; les devoirs sur l’autel du respect, voire de l’exaltation des différences, ont été monnayés au moindre effort. L’asymétrie est devenue le lot d’une république qui octroie en conséquence beaucoup de droits sans pour autant requérir les devoirs que ces mêmes droits impliquent nécessairement. Ce déséquilibre est à l’origine de la souffrance républicaine ; il est aggravé par un sentiment de déclassement et d’assignation qui, nonobstant les amortisseurs sociaux, fait que la République n’est plus perçue comme un objet dynamique mais comme la figure fantomatique et fantasmée d’un temps révolu ou mythique. C’est selon… Comme souvent, le Président a des intuitions mais ses intuitions sont par trop souvent bien plus une écume que la nécessaire lame de fond dont le pays aurait besoin pour se réarmer moralement et se dire la vérité à lui-même.
De recul en recul, d’abjuration en abjuration, de compromis en compromissions, nous avons abandonné à la culpabilisation, à la mauvaise conscience, à la mise en examen de notre histoire, à la facilité sous toutes ses formes le moteur exclusif de la fabrique nationale qui se confond avec une « res publica » dont les racines plongent en-deçà de l’imaginaire révolutionnaire. Ce moteur était à deux temps : il combinait le civisme, catéchisme peut-être naïf mais redoutablement efficace en ce sens qu’il produisait du commun, et l’assimilation pour ceux qui contractant avec une communauté nationale dont ils n’étaient pas nécessairement issus y voyaient au nom de leur propre indifférenciation l’accès à une universalité d’appartenance. La déshérence de l’un et l’abandon de l’autre ont mis en jachère la République.
Dés lors, il n’y aura d’ordre juste qu’à partir du moment où nous serons en mesure de rééquilibrer la balance des droits, indispensables, et des devoirs, nécessaires pour que ces droits aient du sens. Car des droits sans devoirs ne sont plus des droits, mais une… rente !