Le maire de Lyon, Grégory Doucet affirme que le Tour de France est « machiste » et « polluant ». Que dire de ces propos ? Comment les décrypter ? Nous avons posé la question au professeure Virginie Martin.
Concernant le côté « machiste » du Tour de France, des études ont largement montré et depuis longtemps que plus généralement, le sport exclut souvent les femmes, qu’elles ont du mal à se projeter dans des activités qui ne les représentent pas assez, voire qui les négligent. C’est vrai en termes de diffusions, c’est vrai en termes de couverture média même quand les résultats sont là, c’est encore vrai en termes de salaires.
Le Tour de France a eu des versions femmes il y a quelques années, mais la grand-messe reste ce Tour de France au masculin. Les seules femmes admises au tour de France étaient les hôtesses tenant des bouquets de fleurs et embrassant le vainqueur de l’étape.
En 2022, les organisateurs vont de nouveau organiser un Tour de France au féminin et c’est tant mieux.
Au-delà de l’aspect « polluant » (goodies, saletés, voitures…) c’est cela, que dénonce Grégory Doucet. Même s’il y a pire en termes d’impact pollution que le Tour de France (empreinte carbone de « seulement » 350 000 tonnes), on ne peut plus aujourd’hui négliger les conséquences environnementales des grands rassemblements sportifs. C’est aussi une sorte d’alerte que sonne le maire de Lyon.
Et, même si les médias mainstream aujourd’hui semblent s’insurger contre ce dernier, il ne faut pas penser trop vite que la partie est perdue dans l’opinion publique.
Qu’en disent les femmes par exemple ou les écologistes en général ? Le tour cycliste annuel dont nous parlons est un tour de cycliste masculin, nous avons trop tendance à l’oublier. D’ailleurs l’appellation pour toutes ces rencontres est « Tour de France », « Coupe du monde de football » sans jamais précisé « masculin ». Au contraire, quand ces rendez-vous concernent des femmes, le « féminin » est toujours précisé : Coupe du monde féminine de football. Cela démontre encore, combien le masculin est vu comme un neutre, comme englobant toutes les parties de la société. Le féminin, lui, doit toujours être précisé.
C’est un peu dans cette matrice que se situent les propos du maire de Lyon si je devais les traduire ; l’universalisme républicain a tendance à percevoir le monde comme étant homme, blanc, de culture chrétienne.
Je développais jadis dans un de mes essais le concept « d’universalisme des différences » ; un concept qui tente de dire le commun avec un socle universel, mais un socle qui accepte les diversités, les différences, les altérités. Aujourd’hui il y a une invisibilisation de certaines altérités ; le maire de Lyon ne veut pas dire autre chose, je crois. Bien sûr, la société évolue, mais nous ne sommes pas à l’abri de backlash comme le disait Susan Faludi – contre les femmes par exemple – de la part de certaines minorités qui ont beaucoup de poids dans la sphère politico-médiatique…
L’avenir nous dira si les récents électeurs d’EELV se sentent totalement en phase avec le maire de Lyon. Car bien sûr, les électorats sont divers, tous les électorats.
Chez EELV, il existe un électorat très convaincu qui réunit les items : féministe, « eco-féministe », croissance-consommation maitrisées, favorable à l’expression cultuelle et culturelle diverse. Il serait capable de se retrouver dans le concept d’intersectionnalité en sociologie : c’est à dire une vision de la société qui regarde sur trois plans simultanément : les identités de genre (orientation sexuelle, égalité homme-femme…) ; les questions de « race » (religion, couleur de peau…) et enfin les questions de classe sociale (pauvreté, inégalités…). Le tout évidemment étant encadré par l’écologie politique.
Il existe par ailleurs, bien sûr, un électorat plus flottant, moins captif, qui estime que l’enjeu écologie-environnement est important mais qui n’adhère pas forcément à toute la matrice que je viens de décrire.
Pour conclure, et dans tous les cas, ces expériences municipales seront un test grandeur nature de la satisfaction des électeurs et des électrices. Les régionales futures nous diront si oui ou non ces expériences sont vues comme satisfaisantes.
Pr. Virginie Martin
Politiste, Kedge Business School
Conseil Scientifique de la Revue Politique et Parlementaire