C’est un article, l’article 24 précisément, du projet de loi de sécurité globale qui agite les rédactions et remet en cause un principe cardinal de nos démocraties : la liberté d’informer.
Ce n’est pas se payer de mots que de se livrer à ce constat, loin de là. A droite comme à gauche de l’échiquier médiatique, il existe un consensus pour s’offusquer d’une mesure dont le caractère liberticide participe de cet étrange climat de crispation autoritaire. À proportion que l’autorité légitime de l’Etat, de manière inquiétante au demeurant, se fragilise, ce dernier répond par un resserrement du « monopole de la contrainte physique légitime » pour reprendre la formulation weberienne. Or dans un État de droit, ce monopole est lui-même limité par des principes naturels qui le contraignent et l’encadrent. Cela s’appelle entre autres la démocratie libérale, architecture subtile autant que fragile entre l’autorité, indispensable, pour s’assurer d’un ordre public, et les libertés, nécessaires, pour garantir que cet ordre soit conforme à la protection de l’autonomie du sujet et de tout ce qui y concourt. La liberté d’informer en constitue l’un des éléments, et non des moindres, puisqu’il s’agit de permettre à une information indépendante et pluraliste de circuler.
Bien évidemment, comme c’est souvent le cas, pour un dispositif dérogatoire à l’esprit et à la lettre d’un régime de libertés, la mesure poursuit un objectif louable et légitime, la protection privée, physique et psychologique, des agents chargés d’assurer en situation souvent difficile le maintien de l’ordre. Pour autant, l’article 24 du texte législatif pose au moins trois problèmes : il évacue à bon compte l’enjeu de transparence indissociable de l’action publique, quelle que soit la nature de cette dernière. La problématique de l’ordre est trop grave pour échapper, d’une quelconque manière, à la possibilité laissée aux médias de capter les images d’une intervention, y compris de celles et ceux qui, policiers ou manifestants par exemples, sont en interaction. Ne pas montrer, c’est cacher et rien n’est pire en démocratie qu’une autorité qui se cache, car c’est là la porte ouverte à toutes les suspicions, y compris quand celles-ci n’ont pas lieu d’être. C’est là le second problème posé par la « philosophie » de cet article. Non seulement il limite la liberté d’informer, mais il le fait au risque de doper le soupçon à l’encontre de ceux en charge de notre sécurité. Voilà qui est aussi maladroit qu’aléatoire, confirmant une autre maxime weberienne selon laquelle « le résultat de l’action correspond rarement à l’intention initiale de l’acteur ». C’est la confiance du pays dans sa police qui à terme est exposée à une forme potentielle de corrosion. A ces deux aspérités s’en greffe une dernière qui est l’asymétrie de traitement entre la force publique et l’administré puisque celui-ci demeure exposable, si l’article 24 était ainsi adopté, tant à la captation médiatique que policière.
Pour toutes ces raisons la sagesse consisterait à renoncer à cette disposition qui dans l’atmosphère de contraintes multiples qui pèsent sur le pays n’est ni opportune, encore moins justifiable au regard de nos fondamentaux démocratiques.