Alors que la pré-campagne présidentielle est désormais lancée, il convient de s’interroger sur les paramètres qui pèseront sur l’issue d’un scrutin plus incertain que jamais. À ce stade au moins quatre facteurs sont susceptibles de jouer un rôle prédominant dans l’orientation du vote.

Premier d’entre eux la structuration de l’offre. Cette dernière ne s’est pas, à ce jour, remise de la secousse sismique provoquée par l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. Non seulement les partis de gouvernement brutalement défaits lors de la précédente consultation ne sont pas parvenus à se restructurer autour d’un logiciel clairement identifiable et d’une incarnation, mais au-delà c’est tout le spectre partisan qui de droite à gauche a continué à se disperser. L’émergence de la potentielle candidature d’Eric Zemmour constitue la dernière illustration de ce phénomène. Cette donnée rend aléatoire encore plus que par le passé tout pronostic, même si cette situation profite pour le moment au Président sortant, lequel bénéficie mécaniquement du trou d’air de ses oppositions.
Deuxième facteur, indissociable du premier, celui de la mobilisation électorale dont il est évidemment trop tôt pour dire ce qu’il en sera à un peu moins désormais de sept mois de l’échéance. Du retour ou non des classes populaires et d’une partie des classes moyennes, celles à priori les plus en défiance par rapport au quinquennat qui s’achève, dépendra pour une partie essentielle le sort de l’élection. La sociologie qui constitue la base de l’électorat d’Emmanuel Macron est forte du désinvestissement civique des autres sociologies. Le retour aux urnes de ces dernières pourraient potentiellement changer la donne.
Le troisième facteur, lui, est indissociable de la conjoncture immédiate sur laquelle pèse à ce stade deux incertitudes : l’incertitude sanitaire et l’incertitude économique. La première dépendra de la cinétique épidémique. Une reprise de celle-ci inévitablement introduirait une variable psychologique dont il est difficile de mesurer l’impact, si ce n’est qu’elle ne profiterait pas nécessairement à un exécutif qui ne pourrait plus se targuer d’avoir sorti, non sans mal, le pays de l’ornière covidienne. Mécaniquement une telle éventualité relancerait les controverses oubliées sur la gestion de la crise. La seconde est lourde de tensions inflationnistes dont le coût ne manquera pas de peser sur le portefeuille des ménages, des plus modestes notamment, mais aussi sur la soutenabilité de la dette publique, question qui pourrait se réinviter spectaculairement dans le débat présidentiel. Ainsi ces deux “visiteurs du soir” virus et inflation, constituent un cocktail dont il convient de ne pas minorer la portée sur le contexte électoral en gestation.
L’ultime facteur relève de la note dominante qui cristallisera les opinions au moment du vote. Dégagisme et crainte du “populisme” avaient ressoudé en 2017 un électorat centriste qui s’était retrouvé dans la candidature d’Emmanuel Macron. L’enjeu fut alors plus circonstanciel qu’obéissant à une logique programmatique. Il s’agissait alors dans l’urgence de sauver une certaine vision du monde. Qu’en sera-t-il en 2022 ? Si la thématique de la protection dans toutes ses dimensions (régaliennes, économiques, sociales, culturelles) en venait à s’imposer, le sortant excipera un bilan inégal : honorable sur l’économie et le social car le prisme sanitaire a amodié les velléités idéologiques du début de mandat, l’Etat-providence tant décrié par le logiciel macroniste ayant joué le rôle d’amortisseur indispensable à l’absorption des effets les plus indésirables de l’épidémie ; plus discutable sur le plan régalien et culturel où la société apparaît plus fracturée encore qu’elle ne l’était en début de mandat. Selon l’orientation du curseur sur les priorités en termes de protection, la nature du vote et du rapport de forces en sera nécessairement modifiée.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne