Le Sénat aura bataillé pour alléger le passe-sanitaire. Après l’examen en première lecture du projet de loi relatif à la « vigilance sanitaire », la chambre haute avait tracé une ligne rouge : le maintien du dispositif jusqu’au 31 juillet 2022 constituait aux yeux des sénateurs un blanc-seing inacceptable accordé au gouvernement.
Avec sagesse et même une très grande prudence, le Sénat s’était efforcé de dessiner une ligne qui permette même une sortie rapide d’un processus qui n’en demeure pas moins, nonobstant le relativisme dont on l’enrobe du côté du gouvernement et de nombre de médias, un instrument d’exception… Mais cette exception désormais dure, confirmant les craintes de celles et de ceux qui dés son annonce avaient opposé entre autres ce risque. Après l’échec inéluctable de la commission mixte paritaire et l’adoption définitive qui en résultera en dernière instance par l’Assemblée nationale, l’hypothèse se confirme.
Pour autant , « la porte étroite » avait été entrouverte avec une clause de révision au 28 février, une territorialisation limitant le passe en fonction du taux de vaccination et de l’incidence épidémique, et surtout la suppression d’une disposition pour le moins contestable, voire scandaleuse permettant aux directeurs d’établissements scolaires de connaître le statut vaccinal des élèves. Peine perdue, l’exécutif, appuyé par une majorité docile, n’a pas entendu amodier un processus dont il se refuse à voir ce qu’il implique à terme pour les mœurs démocratiques et ce qu’il induit en accoutumance à un régime constant d’exception.
Dans cette affaire le choquant ne cesse de s’accumuler : le passe déjà par sa nature dérogatoire aux libertés publiques les plus élémentaires, sa motivation fruit d’un pharisianisme qui sous prétexte de protéger vise de facto à contraindre à une vaccination que l’on se refuse par ailleurs à rendre obligatoire, son prolongement désormais qui va en outre au-delà de la fin du mandat présidentiel et législatif, enjambant une double élection. Ce qui ainsi se passe sous nos yeux dans la plus parfaite ou presque indifférence constitue un changement de société, voire une rupture de fond.
Le “monde d’après” a déjà commencé et pas forcément sous les meilleurs auspices. Il est encore temps de s’en rendre compte, sous réserve que l’on puisse en débattre sans anathème et mépris. Il est à espérer que la campagne présidentielle à venir permette ce débat de fond. Car la question de l’équilibre entre la protection, indispensable, que l’Etat doit à la société et la liberté, non-négociable, que la société doit exiger de l’Etat est au cœur du contrat social.