Le vent de révolte qui souffle aux Antilles ne peut en aucun cas se résumer à un problème d’ordre public, quand bien même le rétablissement de ce dernier s’impose.
Depuis des décennies, alors que la loi de départementalisation portée notamment par Aimé Césaire a plus de 75 ans, la Guadeloupe comme la Martinique agrègent les retards et les disparités au point de susciter un fossé de défiance grandissant entre ces territoires ultramarins et la métropole. Taux de chômage, pauvreté, vie chère, infrastructures déficientes, insécurité également ne cessent de miner une situation que la moindre étincelle est susceptible d’embraser. On n’en finirait pas d’égrener les maux des sociétés martiniquaise et guadeloupéenne, guyanaise également.
La faible acceptabilité vaccinale qui a enclenché le mouvement de protestation est également à « resituer » dans le temps et dans ce qu’il faut bien appeler le scandale du Chlordecone qui a sur le plan sanitaire empoisonné la relation avec l’Etat. Rappelons que l’épandage de cet insecticide autorisé par Paris le fut jusqu’en 1993 alors que les États-Unis mirent fin à cette pratique dés 1976. Le lien entre naissances prématurées, cancer prostatique et pollution provoquée par ce produit est désormais établi par de nombreuses études. On s’étonnera au demeurant que des archives du ministère de l’Agriculture couvrant près de 17 années (1972/1989) aient également disparu. Cette mémoire, vive, infecte inévitablement l’adhésion au crédit des autorités publiques en général et sanitaires en particulier. Elle explique le niveau de défiance qui aujourd’hui travaille la société antillaise quant à la préconisation vaccinale. Elle surajoute au sentiment de mépris dont Guadeloupéens et Martiniquais se sentent, parfois, l’objet de la part de la métropole.
À ce malaise, Paris répond comme c’est souvent le cas lorsqu’il s’agit des périphéries de la République par l’urgence, sans retour raisonné vers le passé et sans projection construite vers l’avenir. Comme si colmater les brèches de l’immédiateté suffisait à constituer une politique… Ce qui pourtant se passe à 8 000 km de l’hexagone concerne tout à la fois les Antilles, leur relation à l’hexagone et une certaine façon de concevoir l’action publique dans la distance et la durée.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et parlementaire