La guerre en Ukraine éclipse ce qui depuis quelques jours embrase la Corse. On aurait pourtant tort de négliger, voire de regarder de haut ce qui se passe là-bas. La tentative d’assassinat de l’un des prisonniers les plus signalés de France, Yvan Colonna condamné pour le meurtre du Préfet Erignac, a été le déclencheur d’une colère rentrée et accumulée depuis maintenant plusieurs années et dont l’Etat porte, force est de le constater, la responsabilité exclusive.

Depuis trop longtemps désormais et en vain malheureusement, la classe politique insulaire dans son ensemble en appelle au respect du droit. Et le respect du droit tant français qu’européen, c’est la possibilité de rapprocher de leurs familles, après qu’ils aient déjà purgé plus de vingt années de prison, Yvan Colonna, Pierre Alessandri et Alain Ferrandi. Ce droit là leur ait systématiquement refusé, nonobstant des demandes réitérées. S’il avait été accordé, aujourd’hui Yvan Colonna ne serait pas entre la vie et la mort, la relation de la Corse à l’Etat ne frôlerait pas le précipice, le dossier de l’île ne serait pas, plus que jamais, encalminé dans une impasse aussi dangereuse qu’imprévisible.
Les origines de cette situation sont multiples mais toutes remontent au sommet, aux racines de ce quinquennat, même si leurs ramifications sont diverses.
La première d’entre elles est la méconnaissance abyssale de l’enjeu qui règne au plus haut niveau de la chaîne de décision politique. Rarement pouvoir depuis un demi-siècle aura cumulé telle ignorance sur le sujet, telle indifférence empreinte de morgue et telle absence de bons connaisseurs du dossier ainsi que de relais locaux sur celui-ci. La Corse n’existe pas dans le scope présidentiel : délégué à Madame Gourault, qui en ignorait tout autant l’historique, le sujet était principalement traité par un corps préfectoral dont il se murmure qu’il n’est pas disposé à accorder à l’île une once d’avancée politique tant le trauma de l’assassinat de Claude Erignac ne demeure pas dépassé. Au sein de la majorité, deux parlementaires, disposant d’attaches en Corse, Bruno Questel et François Pupponi se sont efforcés, non sans énergie et habileté, d’entretenir un dialogue avec la majorité autonomiste qui dans l’île conduit aux destinées de cette dernière tout en essayant de porter la voix du réformisme dans les cercles dirigeants. Ils sont hélas bien seuls au sein d’une macronie qui aura accumulé en cinq années ce qu’aucun gouvernement n’avait accumulé de maladresses depuis… le septennat de Valéry Giscard d’Estaing ! Alors que les nationalistes par trois fois en moins de six ans ont été confirmés électoralement, Paris, loin de tenir compte de cette donne, a opposé des fins de non-recevoir à la quasi totalité de leurs demandes. À ce déni de démocratie s’est greffée ces derniers mois l’attitude résolument provocatrice du Préfet de région Lelarge, désormais parti, mais dont l’action aura sur le terrain accru le fossé entre l’île et le pouvoir.
Il est dans ces conditions urgent de renouer le lien entre l’Etat et la Corse à l’heure où les mobilisations sur le terrain tendent à s’exacerber toujours plus. L’arrivée aux responsabilités des nationalistes depuis 2016 n’est pas le fruit du hasard, ni d’un accident de l’histoire. C’est une réalité tangible, résultat d’un long processus de maturation démocratique et de “l’adieu aux armes” opéré aussi par les organisations clandestines. Toute politique à partir de Paris qui ne tiendrait pas compte de ce nouveau contexte prendrait le risque de constituer un retour en arrière. Il est en conséquence temps d’aller de l’avant, en rapprochant immédiatement dans un premier temps les prisonniers corses de leur île (de ce point de vue la décision de lever du statut de DPS des deux derniers prisonniers condamnés pour l’assassinat du préfet Erignac va dans ce sens) et en ouvrant la voie à une solution institutionnelle qui garantisse l’autonomie de la Corse dans la République. Ce qui n’est pas inconcevable, encore moins inconciliable.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne