Au lendemain de l’échec présidentiel de Marine Le Pen, le Front national est entré très affaibli dans la campagne des législatives de juin 2017. À l’issue d’une campagne quasi-inexistante sur le terrain, sur fond de tensions internes, le FN recule fortement au soir du 11 juin, totalisant un peu plus de 2,9 millions de voix et 13,2 % des suffrages. Une nouvelle fois, le FN s’est heurté en 2017 à la mécanique d’un scrutin législatif arrimé institutionnellement à la présidentielle. Présent dans 120 circonscriptions au second tour, il emporte au total 8 sièges au sein de la nouvelle Assemblée nationale.
Le premier tour des élections législatives de juin 2017 a sans nul doute constitué un sérieux revers électoral pour le Front national, mettant un terme à une série ininterrompue de succès électoraux depuis les régionales de 2010. Avec 6,3 % des voix par rapport aux électeurs inscrits, le FN se place très en-dessous de son score de 2012 (7,7 %), loin du niveau record qu’il avait atteint en 1997 (9,6 %). Si l’on excepte la débâcle de 2007, il s’agit là de la plus mauvaise performance législative du FN depuis 1988 (tableau 1).
Tableau 1 – Résultats du FN aux élections législatives depuis 1986
La déception frontiste est d’autant plus visible au soir du 11 juin que les intentions de vote législatives publiées dans l’après-présidentielle plaçaient de manière quasi-systématique le FN au coude à coude avec les Républicains. Dans la plupart des enquêtes, le FN disputait la deuxième place à la droite modérée, derrière les candidats de la République en marche, avec en moyenne 18 % des voix. En avril, Marine Le Pen était en outre arrivée en tête dans pas moins de 216 circonscriptions, ce qui laissait espérer une présence massive des candidats frontistes au second tour des législatives et sans doute l’opportunité d’un groupe à l’Assemblée nationale.
En juin 2017, le revers est cinglant. Les candidats du FN marquent le pas dans la quasi-totalité des circonscriptions. Au plan national, le parti enregistre un recul net de 8,1 points et perd près de 4,7 millions de voix par rapport au score de Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle d’avril. Si la « dépression » du score frontiste est une constante de tous les scrutins législatifs qui se situent immédiatement après la présidentielle depuis 1988 – le FN perdant en moyenne 5,2 points entre les deux élections sur la période –, le reflux de 2017 est de loin le plus important jamais enregistré par la formation lepéniste, dépassant le précédent record de 2002 où le FN avait abandonné 6,7 points par rapport au score de son leader au premier tour de l’élection présidentielle.
En juin, le FN se replie sur ses bastions : la géographie du vote frontiste recouvre très largement les contours du vote Le Pen1
(figure 1). Les candidats FN dépassent 20 % des suffrages dans les principales zones de force du mouvement lepéniste, dans les circonscriptions du pourtour méditerranéen (Gard, Var, Pyrénées-Orientales, Vaucluse, Aude, Hérault et Bouches-du-Rhône) et dans le grand quart nord-est (Pas-de-Calais, Aisne, Haute-Marne, Oise, Yonne et Nord). Le poids du FN est visible en Champagne, dans les Ardennes, en Picardie, dans le Nord et le Pas-de-Calais ; il se révèle plus hétérogène en revanche en Alsace ou en Franche-Comté notamment. On retrouve, enfin, une présence forte dans une large périphérie au sud et à l’ouest de la région parisienne, en Normandie, dans le Centre ou en Bourgogne, ainsi que dans la vallée de la Garonne, le long d’un axe Béziers-Bordeaux.
Figure 1 – Vote en faveur des candidats FN au premier tour des élections législatives de juin 2017
L’incapacité du FN à capitaliser sur la performance de sa présidente est particulièrement perceptible dans les zones où celle-ci enregistrait ses plus forts résultats en avril2 : dans le quartile supérieur, les candidats du FN abandonnent en moyenne 9,4 points, un différentiel compensé toutefois par les niveaux exceptionnellement élevés atteints par Marine Le Pen. Ce rééquilibrage partiel s’observe dans plusieurs zones de force du vote Le Pen dans la partie nord-est du pays, où le FN affronte notamment la concurrence de la droite modérée, en Alsace, Champagne-Ardenne, Lorraine, en Bourgogne, en Franche-Comté ou en Picardie ; ainsi, par exemple, les départements de l’Aisne (- 10,56 points), du Haut-Rhin (- 13,5), de la Haute-Saône (-11,7), Meuse (- 12,8) ou la Somme (- 11,9). L’implantation locale de la droite LR-UDI a pesé également sur les scores du FN dans plusieurs départements ruraux tels que le Cantal, la Lozère, l’Aveyron ou la Haute-Loire, ainsi que dans l’est de la grande couronne parisienne, notamment en Seine-et-Marne face à la présence de personnalités de droite, tels Yves Jégo, Christian Jacob ou Franck Riester. Le FN résiste mieux en revanche dans la partie méridionale : ses candidats reculent de 6,4 points dans le Var, 7,9 dans le Vaucluse ou 7,1 dans les Pyrénées-Orientales.
Les pertes sont spectaculaires en Corse et dans l’Outre-mer. Dans la France ultramarine, la poussée de fièvre frontiste du premier tour de la présidentielle a fait place au jeu politique régulier, reléguant le FN à un rôle marginal en Guadeloupe (- 11,9 points), en Guyane où le FN est absent ou à Mayotte (- 25,2 points) notamment. En Corse, le mouvement lepéniste a une nouvelle fois souffert de la concurrence des nationalistes du mouvement Pé a Corsica qui se sont très largement imposés dans l’île. En Haute-Corse, le FN perd 23 points par rapport à la présidentielle avec 4,1 % des voix3. Au final, le FN ne progresse que dans deux circonscriptions : dans la 11e du Pas-de-Calais où se présentait Marine Le Pen, et dans la 6e de l’Hérault, où Emmanuelle Ménard, l’épouse du maire de Béziers, portait les couleurs de la formation frontiste (figure 2).
Figure 2 – Pertes subies par les candidats FN au premier tour des élections législatives de juin 2017
Lendemains de défaite présidentielle
La contre-performance du FN en juin 2017 s’inscrit dans un ensemble de facteurs relatifs aux logiques institutionnelles et politiques de scrutins législatifs « confirmatoires » très étroitement liés aux dynamiques et aux équilibres politiques issus de l’élection présidentielle depuis l’inversion du calendrier électoral en 2002. Ces élections sont, on le sait, traditionnellement moins favorables aux formations radicales et protestataires situées à la périphérie du système partisan4.
En juin dernier, le FN a également subi de plein fouet les effets de l’échec personnel de Marine Le Pen, sur fond de querelles internes et, pour la première fois, de remise en cause à mots à peine couverts de l’autorité et de la légitimité de sa présidente. La démobilisation des troupes frontistes est à la mesure du désengagement des principaux cadres du parti de la campagne législative, signe des tensions et de l’opposition croissante à l’influent Florian Philippot, éminence grise de Marine Le Pen, au sein du mouvement lepéniste.
Le vice-président du FN a concentré toutes les critiques après le revers présidentiel, s’attirant publiquement les foudres de ceux qui, à l’image de Marion Maréchal-Le Pen, Gilbert Collard, Jean-Richard Sulzer, Nicolas Bay ou Robert Ménard, plaident depuis plusieurs années pour ramener le FN à ses racines historiques à droite et ses thèmes fétiches de l’immigration et de la sécurité, critiquant l’impasse stratégique du souverainisme national-protectionniste théorisé par Florian Philippot. La sortie de l’euro, devenu le symbole de l’échec du Front national, a cristallisé les débats de l’après-présidentielle. « Pour nous, a notamment expliqué le député du Gard, Gilbert Collard, la question de l’euro, c’est terminé, le peuple a fait son référendum dimanche dernier (…) Marine doit entendre ce message », une position vivement critiquée par Florian Philippot, ce dernier allant même jusqu’à menacer de quitter le parti en cas d’abandon de sa mesure phare5.
Les dissensions sont apparues au grand jour avec l’annonce par Florian Philippot de la création d’un mouvement indépendant, Les Patriotes, le 15 mai, véhicule tout entier dédié aux ambitions de son président fondateur, pour tenter de peser un peu plus sur les équilibres internes du parti lepéniste. Le vice-président du FN entend encore créer les conditions de l’ouverture en direction d’autres mouvements souverainistes, principal objectif, rappelons-le, du Rassemblement bleu Marine en 20126. Les mauvais résultats du premier tour des législatives ont attisé un peu plus les braises : à nouveau des voix se sont élevées contre la ligne Philippot, tel Louis Aliot reconnaissant que la question de l’Europe et de la sortie de l’euro « a joué dans l’échec » du Front national7. Signe de ces tensions, Sophie Montel, une proche de Florian Philippot, se verra retirer sa présidence de groupe au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté par Marine Le Pen le 30 juin 2017.
Dans ce contexte particulièrement tendu, l’annonce par la députée de Vaucluse, Marion Maréchal-Le Pen, le 10 mai de sa décision de quitter la vie politique pour des raisons personnelles a privé l’aile droite du parti d’une de ses figures de proue, affaiblissant simultanément la campagne FN dans le sud de la France. À cela se sont ajoutées des difficultés financières, le parti lepéniste se voyant contraint de lancer un « emprunt patriotique » afin de couvrir les frais de sa campagne législative en l’absence de prêts bancaires, français ou étrangers, unique moyen, à en croire Marine Le Pen, de « faire triompher la démocratie contre l’oligarchie »8.
Enfin, les élections législatives de 2017 ont ramené le Front national à son isolement politique, incapable de nouer des alliances autour de lui. Au sortir de la présidentielle, le pacte scellé avec Nicolas Dupont-Aignan a été mis en sommeil, chacun des partenaires reprenant son indépendance, soucieux de préserver avant tout l’accès aux financements publics, condition essentielle de sa survie politique. En juin, Debout la France a présenté 392 candidats, venant directement concurrencer le parti lepéniste.
Bousculé sur son flanc gauche, le FN a également affronté la concurrence, sur son côté droit, de l’Union des patriotes (UP), réunissant, autour d’un Jean-Marie Le Pen revanchard, l’extrême droite française traditionnelle, depuis les catholiques de Civitas au Parti de la France (PDF) de Carl Lang, passant par le mouvement Souveraineté, identité et libertés (SIEL) de Karim Ouchikh, en rupture de ban du Rassemblement Bleu Marine depuis novembre 2016. Si Marine Le Pen et d’autres cadres du FN tels que Louis Aliot ou Nicolas Bay ont notablement été épargnés par l’entreprise de démolition à droite de l’ancien président du mouvement, les candidats de l’UP ont disputé les suffrages au FN dans plus de 160 circonscriptions.
Florian Philippot et ses proches ont été tout particulièrement visés par l’offensive du FN « canal historique » réuni autour de Jean-Marie Le Pen et de Carl Lang. En Moselle, le vice-président du FN affronte Dominique Biry, responsable départemental des Comités Jeanne, organisation dissidente formée par Jean-Marie Le Pen en mars 2016 après son éviction du FN. Dans le nord, Sébastien Chenu est concurrencé par le candidat du PDF, Serge Thomes ; dans la Somme, Éric Richermoz et Franck de Lapersonne se voient opposer deux candidats du PDF. Également dans le collimateur du menhir, Philippe Olivier, proche de Marine Le Pen et ancien « félon » mégrétiste, doit affronter la candidate de Civitas, Marie-Jeanne Vincent dans le Pas-de-Calais. Dans le sud de la France, l’Union des patriotes s’est attaquée surtout aux symboles du Front « marinisé » et nouveaux venus : Gilbert Collard dans le Gard, Olivier Bettati dans les Alpes-Maritimes, Hervé de Lépinau dans le Vaucluse, Jean-Lin Lacapelle dans les Bouches-du-Rhône ou Emmanuelle Ménard à Béziers.
En juin 2017, le Front national aura souffert avant tout de la lassitude de ses cadres, de ses militants et de ses électeurs au sortir d’une séquence présidentielle au cours de laquelle la formation lepéniste n’a pas été en mesure de capitaliser sur ses succès électoraux du quinquennat. Signe de l’essoufflement de la dynamique FN, l’abstention record (51,3 %) au premier tour paraît avoir plus fortement pénalisé le mouvement lepéniste. Comme cela avait déjà été le cas cinq ans auparavant, le FN a pâti de la démobilisation de la frange protestataire de son électorat. Selon une enquête de l’Ipsos, pas moins de 57 % des électeurs de Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle se seraient abstenus le 11 juin, contre moins de 40 % des électeurs d’Emmanuel Macron ou de François Fillon9.
Notons, enfin, que les performances du FN ont été, pour partie, indexées à la nouvelle structure de compétition produite par l’émergence du phénomène Macron et la capacité du nouveau parti présidentiel de transcender le clivage gauche-droite. Dans notre analyse détaillée de l’impact du profil des candidats macronistes – au regard notamment de leurs attaches politiques antérieures –, nous avons pu montrer que l’adéquation entre le profil du candidat et celui de sa circonscription a constitué un facteur important des scores des candidats d’En marche !, les candidats issus des rangs de la gauche réussissant globalement mieux dans les circonscriptions de gauche et vice-versa10. Dans le cas de candidats REM de gauche en lice dans des circonscriptions de droite, on observe également un recul plus important du Front national, de l’ordre de 10 points contre 7,5 en moyenne dans les autres configurations. Dans ce cas, l’inadéquation de l’offre macroniste a, semble-t-il, accru le niveau de compétitivité de la droite modérée, réduisant un peu plus l’espace politique du FN.
Consolidations locales
La baisse d’audience nationale du FN ne peut masquer cependant la réalité d’une implantation renforcée dans un petit nombre de circonscriptions, qui atteste aujourd’hui du fort ancrage local du parti lepéniste. Ce phénomène de « terres domaniales » était déjà apparu en 2012 et s’est accentué en 2017, traduisant également le développement organisationnel du FN et son institutionnalisation croissante au plan local ou régional notamment. En juin, le vote d’extrême droite s’est fortement resserré sur ses bastions, donnant au final ses quelques élus à un parti demeuré jusque-là totalement absent ou presque de la représentation nationale depuis la fin des années 1980.
La comparaison de la distribution des votes Le Pen et Front national au premier tour de l’élection présidentielle et des élections législatives de 2017 illustre ce processus de concentration des meilleures performances frontistes sur un petit nombre de zones de force : en avril 2017, la répartition du vote Le Pen apparaît plus homogène et suit une distribution normale ; en juin 2017, la courbe est en revanche nettement étirée à droite, témoignant de la présence d’un groupe de circonscriptions à fort « rendement » pour le FN, supérieur à la moyenne des performances du parti sur l’ensemble du territoire (figures 3).
Figures 3 – Distribution des votes Le Pen et Front national au premier tour de l’élection présidentielle et des élections législatives de 2017
Une présence renforcée au second tour
Au soir du premier tour, le FN, présent dans 572 circonscriptions, qualifie 120 de ses candidats et prend la première place du scrutin dans 20 circonscriptions, contre à peine 5 en 2012. Dans la très grande majorité des cas, la formation lepéniste affronte en duel les représentants de la REM (102 circonscriptions). Dans 11 circonscriptions, elle est opposée à la droite modérée et dans 6 autres à la gauche. Enfin, le FN participe en juin 2017 à l’unique triangulaire du scrutin, dans la 1ère circonscription de l’Aube où le candidat frontiste Bruno Subtil affronte La République en marche et les Républicains.
S’il ne retrouve pas son niveau de 1997, où il avait été en mesure de se maintenir dans 132 circonscriptions, le FN fait assurément mieux en 2017 qu’en 2012 : cinq ans auparavant, le mouvement lepéniste était présent dans 59 seulement des 541 circonscriptions du second tour, dont 28 triangulaires et 31 duels (22 face à la gauche et 9 face à la droite). Notons qu’en 2017, le parti de Marine Le Pen a bénéficié de son ancrage local dans un contexte d’abstention record et de fragmentation de l’offre politique11, et a profité de la qualification « automatique » des deux candidats arrivés en tête dans plus d’une centaine de cas, ne passant le seuil requis de 12,5 % des inscrits que dans 14 circonscriptions.
La concurrence de Debout la France et l’Union des patriotes n’a joué qu’un rôle très marginal dans l’exclusion du FN du ballottage. Emmenées par Jean-Marie Le Pen, les forces de l’extrême droite dissidente ont recueilli 0,1 % des suffrages au niveau national, contre 1,2 % pour DLF, sans parvenir à peser véritablement sur l’issue du scrutin localement. Si l’on ajoute les votes de ces deux formations à ceux du FN au premier tour, le parti de Marine Le Pen aurait pu dépasser le seuil de 12,5 % des inscrits dans trois circonscriptions supplémentaires : celle de Nicolas Dupont-Aignan dans l’Essonne et celle de Jacques Bompard dans le Vaucluse – qui présentent naturellement un profil particulier de « notables » locaux –, ainsi que la 3e circonscription de la Somme, où la différence entre le score de la candidate FN, Patricia Chagnon, et celui de son rival LR était d’à peine 119 votes.
Symbole de l’ancrage local croissant du FN, Marine Le Pen obtient un nouveau succès personnel dans le Pas-de-Calais où elle dépasse sa propre performance de la présidentielle et obtient 46 % des voix au premier tour, près de 4 points de plus que son score de 2012, une réussite assez largement adossée à la popularité sur le terrain de Steeve Briois, maire de Hénin-Beaumont, aux côtés de la présidente du FN. Les deux départements du Nord-Pas-de-Calais offrent en outre plusieurs belles réussites aux cadres du FN, à l’image de Bruno Bilde, conseiller de Marine Le Pen, adjoint à la mairie d’Hénin-Beaumont (35,5 %) et de Sébastien Chenu, conseiller régional et directeur « idées et images » de la campagne présidentielle (33,2 %), ainsi qu’à des candidats moins connus tels que José Evrard (31,7 %), Ludovic Pajot (31,3 %) ou Hortense de Mereuil dans la 16e circonscription du Nord (29,1 %) (tableau 2).
Tableau 2 – Résultats des principaux candidats du Front national aux élections législatives de juin 2017
Dans la partie méridionale du pays, les scores des candidats FN correspondent très largement à la présence des « notables » du parti ou de personnalités locales, à l’image d’Emmanuelle Ménard, épouse du très médiatique maire de Béziers, Robert Ménard, soutenue par le FN et qui obtient 35,4 % des voix dans la 6e circonscription de l’Hérault. De même, Gilbert Collard confirme son implantation dans le Gard et totalise 32,3 % des suffrages, soit un score très légèrement inférieur à celui de 2012 (34,6 %). Dans le Vaucluse, Hervé de Lépinau, qui remplaçait au pied levé Marion Maréchal-Le Pen, réalise une performance notable avec 31,8 % des voix, en retrait de 2,8 points par rapport au score de cette dernière en 2012. Citons également les résultats de Stéphane Ravier à Marseille (30,8 %), de Louis Aliot à Perpignan (30,8 %) ou de Valérie Laupies dans la 16e circonscription des Bouches-du-Rhône, tous sur leurs terres d’élection. Dans le Var, enfin, le sénateur-maire de Fréjus, David Rachline, avait délégué la candidature à son adjoint, Gilles Longo. Ce dernier réunit 25,6 % au premier tour, en ballotage défavorable face au candidat de la REM, Philippe Michel-Kleisbauer.
Plusieurs autres cadres du parti enregistrent en revanche des résultats décevants. Grand perdant des législatives, Florian Philippot réunit 23,8 % des voix seulement dans la 6e circonscription de Moselle, ne disposant que d’une faible avance sur son adversaire de la REM, Christophe Arend (22 %). Plus généralement, l’entourage du vice-président du FN semble payer le prix des tensions internes : avec 26,1 % des voix, Damien Philippot arrive en seconde position dans l’Aisne derrière la candidate de la REM ; Sophie Montel réalise une performance très en demi-teinte dans le Doubs avec 24,1 % des voix ; dans la Somme, Éric Richermoz totalise 21,7 % des suffrages tandis que le comédien Franck de Lapersonne, soutien de Florian Philippot au sein des Patriotes, est éliminé dès le premier tour avec 15,9 % des exprimés.
D’autres membres du bureau politique et de la direction nationale du FN sont également en difficulté, privés pour certains d’entre eux de second tour. C’est le cas, notamment, de Nicolas Bay, secrétaire général du Front national, éliminé au soir du 11 juin avec 22,8 % des voix dans la 6e circonscription de Seine-Maritime, de Thibaut de la Tocnaye, qui ne parvient pas à se qualifier avec 22,5 % des suffrages dans le Vaucluse ou de Dominique Bilde, en Meurthe-et-Moselle (20,3 %). Dans le Pas-de-Calais, Philippe Olivier, conseiller de Marine Le Pen, vire en tête du scrutin avec 24,4 % des voix, dans un ballotage serré face au candidat de droite, Pierre-Henri Dumont (21,7 %). À Troyes, Bruno Subtil arrive en troisième position de la triangulaire qui l’opposait aux Républicains et à la REM, avec 24,9 % des exprimés. À Paris, Wallerand de Saint Just échoue dès le premier tour avec un maigre 3,3 % des voix, témoignant de la quasi-disparition du Front national du jeu politique dans la capitale.
On notera enfin que plusieurs candidats « parachutés » ou ralliés en 2017 n’ont pas été en mesure de s’imposer. C’est le cas notamment de Jean-Lin Lacapelle dans les Bouches-du-Rhône, éliminé au premier tour avec 21,9 % des voix. Dans les Alpes-Maritimes, la stratégie d’ouverture tous azimuts du FN n’a pas non plus permis de déloger le nouveau duopole constitué par la REM et les Républicains. Olivier Bettati, ancien adjoint au maire de Nice, Christian Estrosi, obtient 23,4 % des voix dans la 4e circonscription, en ballotage défavorable face à la candidate de la REM ; à Nice, Philippe Vardon, transfuge du mouvement identitaire local échoue également avec 21,2 % des exprimés, plus de 10 points derrière le candidat macroniste.
En dépit de ces revers, il faut souligner ici l’importance du développement organisationnel du parti depuis une dizaine d’années, de son maillage territorial et de l’accroissement de son pool d’élites intermédiaires au sein des collectivités locales et régionales12. En 2012, nombre de candidats du nouveau Rassemblement bleu Marine souffraient encore d’un déficit de notoriété13. En juin dernier, le FN a pu s’appuyer sur ses réseaux locaux et des notables bien implantés. Ainsi que le confirme la recension effectuée par le journal Le Monde, le parti a très largement mobilisé sa base d’élus à l’occasion du scrutin législatif : pas moins de 269 des 572 candidats frontistes ont en 2017 un mandat électif, soit 47 %. Outre huit de ses eurodéputés, la formation lepéniste a présenté 185 conseillers régionaux et 133 conseillers municipaux14.
Les élections intermédiaires du dernier cycle électoral ont permis au FN de recruter une importante base de candidats au niveau local : plus de 19 800 candidats dans ses 587 listes municipales en 2014 ; 3 800 têtes d’affiche lors des départementales de mars 2015 et plus de 1 900 sur les listes régionales en décembre de la même année. Un bref examen de la « carrière électorale » des 572 candidats FN de juin 2017 atteste en particulier du renouvellement survenu en 2015 (tableau 3) : seuls 88 d’entre eux étaient en lice en 2012 (soit 15,4 %) et 36 étaient déjà candidats en 2007. À l’inverse, 351 des représentants du FN en juin 2017 étaient présents sur une liste régionale du parti en 2015, soit 61,4 % et 343 étaient également en compétition dans un binôme frontiste aux départementales (60 %).
Tableau 3 – Carrière électorale des 572 candidats du Front natiional aux élections législatives de juin 2017
Depuis 2012, le Front national a, en outre, pratiquement assuré la parité hommes-femmes, quand bien même les hommes demeurent largement majoritaires sur les circonscriptions « gagnables »15. L’âge moyen des candidats FN a baissé en 2017 de 51 à 47 ans, plus jeune que la moyenne de l’ensemble des candidats (49 ans)16. Ce rajeunissement est plus marqué encore chez les hommes (46 et 44 ans en moyenne au premier et au second tour).
Migration septentrionale
Les effets de cette dynamique d’implantation territoriale du Front national sont visibles, notamment dans la consolidation par le parti de ses aires d’influences au nord-est. En 2012, l’analyse de la répartition géographique des candidats FN au second tour des législatives montrait un fort tropisme méridional : pas moins de 35 des 59 circonscriptions dans lesquelles la formation lepéniste demeurait en lice, soit près de 6 sur 10 (59 %), se trouvaient dans les régions du grand pourtour méditerranéen – dont 23 pour la seule région Paca – contre 17 seulement dans le grand arc Nord-Est (29 %).
On a assisté en 2017 à un fort rééquilibrage de la présence frontiste, au profit en particulier des régions septentrionales (tableau 4). En juin 2017, un tiers (35 %) seulement des 120 circonscriptions où le FN est qualifié pour le tour décisif se trouve encore dans les régions du Sud de la France (Paca, Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées). Pas moins de 42 % des candidats frontistes du second tour sont désormais localisés dans les régions du grand quart nord-est (Nord-Pas-de-Calais-Picardie, Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine et Bourgogne-Franche-Comté). La présence du FN est remarquable notamment dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie où les candidats de la formation lepéniste sont présents dans près des deux tiers (62 %) des 50 circonscriptions que compte la région.
Tableau 4 – Répartition régionale des 120 circonscriptions où le FN est présent au second tour en juin 2017
Dynamiques de second tour
Au second tour, les 120 candidats FN demeurés en lice gagnent en moyenne 17,8 points par rapport à leur score de premier tour, une progression liée naturellement à la prédominance des situations de duels.
Les gains les plus forts sont enregistrés face aux candidats de la REM (+ 18,7 points en moyenne) et de la gauche (+ 15,8 points), contre 11,5 points en moyenne lorsqu’ils sont opposés à la droite LR-UDI. Dans l’unique triangulaire du scrutin, le candidat du FN, Bruno Subtil, gagne 3,3 points entre les deux tours17. Notons ici que le profil des candidats de la REM et leur adéquation avec la couleur politique de leur circonscription n’ont pas eu d’effet notable sur les performances du FN au second tour.
Au soir du 18 juin, le Front national obtient huit sièges de députés : confirmant les résultats de premier tour, le Pas-de-Calais livre le plus gros contingent d’élus, avec au total quatre députés : Marine Le Pen, en tête, avec 58,6 % des voix, Bruno Bilde (55,1 %), José Evrard (52,9 %) et Ludovic Pajot (52,6 %), auxquels vient s’ajouter Sébastien Chenu dans le Nord (55,3 %). Le basculement qui s’est opéré au profit du grand quart nord-est est visible dans les résultats définitifs du second tour : seuls trois députés au final sont élus dans l’arc méditerranéen : Emmanuelle Ménard dans l’Hérault (53,5 % des suffrages), Louis Aliot dans les Pyrénées-Orientales (50,6 %) et Gilbert Collard dans le Gard (50,2 %), ce dernier l’emportant d’à peine 123 voix face à la torera Marie Sara, candidate de la REM.
L’absence de réserves de voix aura pesé en revanche dans de nombreux cas. Plusieurs cadres du parti ne parviennent pas à passer la barre des 50 % et sont, pour certains d’entre eux, largement battus : ainsi Florian Philippot en Moselle (43 %), Sophie Montel dans le Doubs (38,4 %), Philippe Olivier dans le Pas-de-Calais (39,2 %) ou Damien Philippot dans l’Aisne (43,8 %). Plus au sud, le FN rate son pari dans trois circonscriptions jugées gagnables, où les têtes d’affiche frontistes échouent d’une très faible marge. C’est le cas de Valérie Laupies et Stéphane Ravier dans les Bouches-du-Rhône, avec respectivement 48,8 et 47,6 % des voix18, et d’Hervé de Lépinau qui ne parvient pas à conserver le siège de Marion Maréchal-Le Pen dans le Vaucluse et s’incline au second tour avec 49,3 % des exprimés19.
Bilan et perspectives
La séquence électorale 2017 se referme donc sur un bilan très mitigé pour le Front national, soulignant un peu plus le décalage qui existe aujourd’hui entre les forces électorales et organisationnelles indéniables de la formation lepéniste, et les entraves politiques et institutionnelles qui l’ont empêchée encore en 2017 de capitaliser pleinement sur le potentiel de soutien dont elle dispose au sein de l’électorat.
Depuis 2012, le mouvement lepéniste a pu s’appuyer sur un noyau fidèle d’électeurs, au sein des catégories populaires notamment, qui lui a permis d’engranger d’importants gains électoraux tout au long de la présidence Hollande, y compris au niveau local. En 2014 et 2015, le FN a été en mesure de mobiliser au-delà de 85 % de son électorat de 2012 à l’occasion des trois scrutins européen, départemental et régional, soit le plus haut niveau de loyauté observable sur l’ensemble des partis, consolidant son assise au fil des élections intermédiaires. Aux élections régionales de 2015, le taux de participation des électeurs FN de 2012 était de 65 %, le plus fort de l’ensemble de l’électorat, et pas moins de 92 % des anciens électeurs de Marine Le Pen s’étaient reportés sur une liste du Front national20.
À l’image d’un Ludovic Pajot, benjamin de la nouvelle Assemblée nationale à 23 ans, l’arrivée de Marine Le Pen a permis également un renouvellement générationnel. Le profil des candidats atteste de cette évolution des élites frontistes locales. La refonte récente de l’organigramme frontiste fait la part belle à ces nouvelles têtes d’affiche, ainsi qu’en attestent les nominations du maire de Fréjus, David Rachline à la tête du pôle communication du parti, et celle de trois nouveaux porte-parole : Sébastien Chenu, député FN du nord, Julien Sanchez, maire de Beaucaire et Jordan Bardella, conseiller régional d’Île-de-France21.
En dépit de ses atouts, le navire FN s’est échoué à deux reprises en 2017 sur l’écueil du scrutin majoritaire, un impact institutionnel renforcé depuis 2002 par le passage au quinquennat et le statut essentiellement « confirmatoire » des législatives couplées avec la présidentielle. Si le Front national parvient à « briser le plafond de verre », réalisant en la matière une performance historique depuis l’éphémère groupe frontiste des années 1986-1988, le bilan reste néanmoins très en-deçà des attentes des dirigeants du mouvement22.
Nous l’avons amplement souligné, le Front national demeure d’abord un parti isolé dans le système politique français. Depuis 2012, la tentative de la présidente du FN d’élargir le périmètre de son mouvement au-delà du petit monde de l’extrême droite a connu des fortunes diverses. Si le FN a pu séduire des transfuges de la droite modérée, à l’image d’un Sébastien Chenu ou d’un Olivier Bettati, il a également ramené dans son giron d’authentiques activistes d’extrême droite, tel Philippe Vardon, leader des Identitaires à Nice. Les alliés du SIEL de Karim Ouchikh ont quitté le Rassemblement bleu Marine à l’hiver 2016, précédés de leur ancien mentor, Paul-Marie Coûteaux, rallié en 2012 et qui avait rompu avec Marine Le Pen dès novembre 2014 en opposition avec la ligne stratégique de la présidente du FN. En dépit de rapprochements lors de la présidentielle, Marine Le Pen n’a pas été en mesure de convaincre totalement la droite souverainiste de rejoindre son camp, à l’image d’un Nicolas Dupont-Aignan pour le moins ambivalent, mais aussi d’un Philippe de Villiers qui, s’il a adoubé la candidate frontiste, s’est tenu néanmoins à distance raisonnable du Front pendant toute la campagne.
Un temps, le FN a espéré que le succès qu’on lui prédisait aux législatives allait lui permettre de rompre avec sa relégation aux marges du système, qu’un groupe de députés FN lui servirait à asseoir sa position de leader autoproclamé de l’opposition. Avec la moitié à peine du nombre de députés requis pour la formation d’un groupe, le FN reste marginal au sein de l’hémicycle. L’affaiblissement à gauche du Parti socialiste place, de fait, Jean-Luc Mélenchon en position de force. Le chef de file de la France insoumise entend bien disputer au FN l’espace de la contestation radicale. L’agenda de la rentrée politique de septembre, centré sur les ordonnances de la nouvelle loi travail, remet la question sociale au cœur du jeu politique et fournit l’opportunité à Jean-Luc Mélenchon de s’imposer en leader de l’opposition face à un Front national en crise. Au regard de la constitution par Jean-Luc Mélenchon d’un groupe parlementaire de La France insoumise, l’isolement du FN apparaît plus que jamais comme une faiblesse.
La séquence électorale de 2017 aura également mis à mal la « dédiabolisation ». Dans le prolongement de l’élection de Marine Le Pen à la tête du parti en janvier 2011, de nombreux indicateurs d’opinion avaient, partiellement au moins, viré au vert, attestant d’un changement d’image du FN et d’une adhésion croissante à ses idées. En juin 2017, le Front national semble une nouvelle fois renvoyé à son passé et son incapacité de proposer un projet alternatif crédible : selon l’enquête « Fractures françaises », 77 % des Français voient encore le FN comme un « parti d’extrême droite » et 59 % le jugent « dangereux pour la démocratie ». Le déficit de crédibilité persiste : seuls 25 % considèrent que le parti lepéniste est « capable de gouverner », soit un recul de 6 points par rapport à 2015. Quant à la sortie de l’euro, elle est rejetée par 80 % des Français, y compris par plus de quatre sympathisants frontistes sur dix23.
L’annonce par Florian Philippot de son départ du Front national le 21 septembre 2017 constitue un nouveau coup porté à un parti en plein désarroi. Au-delà des divergences de lignes stratégiques, cette nouvelle scission au sein du FN est d’abord révélatrice des conflits de pouvoir et du choc des ambitions au sein d’un mouvement par ailleurs encore peu enclin au pluralisme, dominé par sa structure hiérarchique et sa culture autoritaire. Depuis plusieurs mois, l’ombre de la sécession mégrétiste de 1999 planait sur une formation lepéniste minée par ses luttes intestines et un rapport de force de plus en plus défavorable à Florian Philippot en interne, faisant de ce dernier la victime « expiatoire » des échecs du Front national.
Pour Florian Philippot, la saison électorale 2017 se sera révélée particulièrement rude : entre rejet par les Français de sa position anti-euro et défaite personnelle aux législatives à Forbach en Moselle, le vice-président du FN a concentré toutes les inimitiés et rancœurs, principale cible des attaques de tous ceux qui, à l’intérieur du FN, veulent aujourd’hui ramener le parti à son ADN droitier. La montée en puissance de Nicolas Bay, secrétaire général du parti, et sa nomination à la coprésidence du groupe ENL à Bruxelles le 11 septembre étaient apparues comme un premier signal envoyé aux « purs et durs » du parti. Quelques jours plus tard, le refus de Florian Philippot de quitter la présidence des Patriotes a précipité une rupture déjà très largement consommée avec Marine Le Pen24.
Privé d’une de ses têtes pensantes et communicantes, face à un double échec présidentiel et législatif, le FN ne peut plus désormais échapper au droit d’inventaire des options stratégiques et idéologiques portées par Marine Le Pen depuis son accession aux commandes du parti, au-delà des simples changements cosmétiques de nom et de logo annoncés depuis plusieurs mois. Sans véritable boussole stratégique et programmatique, le Front national aborde sans nul doute une phase capitale de sa longue histoire politique et de son lent processus de maturation depuis les cercles fermés de l’extrême droite française des années 1970.
On mesure ici l’ampleur du chantier qui s’ouvre pour la nouvelle équipe du FN. Une première étape a été lancée au travers du séminaire de « refondation » tenu à huis clos, marqué pour l’essentiel par un retour prudent aux thématiques historiques du parti – immigration, frontières et islamisme –, renvoyant la délicate question de l’euro à la fin d’un éventuel quinquennat lepéniste. Ce compromis fragile n’aura ni suffi à préserver l’unité du FN, ni réglé les questions fondamentales qui touchent au positionnement du mouvement. Contre l’avis de beaucoup de ses cadres, Marine Le Pen semble encore vouloir tenir fermement son choix stratégique du « ni droite, ni gauche ». À l’occasion de sa rentrée politique de septembre, la présidente du FN a une nouvelle fois rejeté « l’union des droites » comme « une vieille illusion et une trop petite ambition », préférant, dit-elle, « s’adresser à tous les patriotes, qu’ils viennent de droite ou de gauche »25. Immédiatement après le départ de Florian Philippot, Marine Le Pen a également rappelé sa proximité de vues avec son vice-président démissionnaire : « si les adhérents du Front national m’élisent à nouveau lors du prochain congrès à la tête du Front national, a-t-elle déclaré, et bien cette ligne, qui est la ligne que je porte depuis 2002, donc bien avant l’arrivée de Florian, continuera à être portée »26.
En l’absence de Florian Philippot, la présidente du Front national se retrouve désormais en première ligne pour défendre des options stratégiques très critiquées. Sa large victoire à Hénin-Beaumont et son arrivée au Palais Bourbon dissimulent à peine l’opposition latente qu’elle doit affronter en interne, dans une guerre de tranchées qui promet d’empoisonner la vie du mouvement lepéniste d’ici au prochain congrès en mars 201827. À l’été 2017, Robert Ménard a sonné le premier la charge, allant jusqu’à mettre en cause la légitimité de Marine Le Pen, s’attirant les foudres de l’appareil frontiste : « si Marine Le Pen a su sortir le FN de l’attitude uniquement protestataire où le cantonnait son père, expliquait ainsi le maire de Béziers, est-elle aujourd’hui en position de le porter au pouvoir ? »28. Nombre de cadres s’interrogent de fait à mots à peine couverts sur la capacité de Marine Le Pen d’incarner ce nouveau Front plus conquérant et de porter son parti vers de nouvelles victoires d’ici 2022.
La tâche de la présidente du FN risque fort d’être compliquée dans un environnement politique à droite totalement bouleversé par la victoire d’Emmanuel Macron. La fragmentation des Républicains et l’hypothèse d’une radicalisation de la droite modérée sous une présidence assumée par l’aile dure du parti rassemblée derrière Laurent Wauquiez accroît aujourd’hui la probabilité d’un rapprochement avec le Front national au sein de cette vaste droite nationale, identitaire et sociale que beaucoup au sein du FN appellent de leurs vœux. Marion Maréchal-Le Pen a pris soin de poser quelques jalons avant de quitter la scène politique en juin dernier, lançant un appel clair en direction du probable futur leader de LR29. La prise de distance des juppéistes, qu’il s’agisse des Constructifs autour de Franck Riester ou de la création du mouvement Libres ! par Valérie Pécresse sur une ligne « ni Buisson, ni Macron » ouvre un espace à droite dont pourrait tirer parti le Front national, à condition naturellement de parvenir à résoudre ses propres contradictions internes.
En septembre, Nicolas Dupont-Aignan s’est posé en artisan d’un éventuel rassemblement des « patriotes de droite » appelant à un travail en commun avec Laurent Wauquiez et Marine Le Pen, de grandes manœuvres auxquelles pourrait par ailleurs se joindre le Parti chrétien-démocrate de Jean-Frédéric Poisson, ancien candidat à la primaire de la droite et du centre30. Pour sa part, Laurent Wauquiez ne cache pas son ambition d’aller « chercher les voix parties au FN » s’il remporte la présidence des Républicains en décembre prochain, avec en ligne de mire l’OPA réussie par Nicolas Sarkozy en 2007, qui avait largement contribué à l’époque à la victoire de l’UMP31.
Les élections européennes de 2019 constitueront un premier rendez-vous majeur, à quelques mois du mi-mandat de la présidence Macron, dans un scrutin proportionnel propice au vote protestataire, et dont le FN avait pu tirer le meilleur parti en 2014. À cette occasion, on pourra mesurer ce qu’il reste aujourd’hui de l’audience du national-populisme lepéniste après ses revers électoraux de 2017, à l’aune des transformations qui auront été opérées par le mouvement de Marine Le Pen et de sa capacité de résoudre plus durablement l’équation complexe de son positionnement et de son statut au sein du système politique français.
Jocelyn Evans, professeur de science politique, Université de Leeds
Et
Gilles Ivaldi, chargé de recherche CNRS, URMIS-Université de Nice Sophia Antipolis
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- La corrélation est de 0,9 sur l’ensemble des 539 circonscriptions métropolitaines. ↩
- On observe une corrélation significative (r = 0,6) entre le niveau du vote Le Pen en avril 2017 et les pertes subies par les candidats FN en juin 2017 (N = 539 circonscriptions de métropole). ↩
- En juin 2012, le recul du FN s’était déjà opéré pour l’essentiel au profit des candidats nationalistes de Femu a Corsica ou Corsica libera, la formation lepéniste abandonnant plus de 15 points en Corse. ↩
- Cf. par exemple : Bernard Dolez « Les mystères de la Chambre bleue : des voix aux sièges lors des élections législatives de juin 2002 », Revue française de science politique, n°5, vol. 52, 2002, pp. 577-591. ↩
- « Florian Philippot menace de quitter le FN si le parti recule sur la sortie de l’euro », Le Monde, 12 mai 2017 (https://www.lemonde.fr/politique/article/2017/05/12/florian-philippot-menace-de-quitter-le-fn-si-le-parti-recule-sur-la-sortie-de-l-euro_5126665_823448.html). ↩
- Revendiquant quelque 2 000 adhérents, l’association des Patriotes demeure cependant une structure encore très virtuelle, rassemblant essentiellement des proches de Florian Philippot au sein du FN, à l’image de l’eurodéputée Sophie Montel ou du conseiller régional des Hauts-de-France Éric Richermoz, ainsi que des cadres venus d’autres partis, tel Maxime Thiebaut, proche de Nicolas Dupont-Aignan. ↩
- « Robert Ménard et Louis Aliot accusent « la ligne Philippot » d’être responsable de l’échec du FN », Le Monde, 13 juin 2017 (https://abonnes.lemonde.fr/elections-legislatives-2017/article/2017/06/13/robert-menard-et-louis-aliot-accusent-la-ligne-philippot-d-etre-responsable-de-l-echec-du-fn_5143831_5076653.html). ↩
- https://www.empruntpatriotique.fr/avantages ↩
- Cf. Ipsos-Sopra-Steria, 1er tour des élections législatives 2017, 11 juin. En 2012, Ipsos évaluait à 46 % la part d’abstentionnistes chez les électeurs de Marine Le Pen, contre 35 et 32 % respectivement des électeurs de Nicolas Sarkozy et François Hollande (Ipsos/Logica Business Consulting- France Télévisions, Radio France, Le Monde, Le Point, « Législatives 2012 1er tour – Sociologie et motivations de l’électorat », 10 juin 2012). ↩
- Cf. Jocelyn Evans et Gilles Ivaldi, « An atypical ‘honeymoon’ election? Contextual and strategic opportunities in the 2017 French legislative elections », French Politics, First Online: 1st August 2017, https://doi.org/10.1057/s41253-017-0040-y ↩
- Au total, 7 877 candidats ont brigué les suffrages au premier tour des législatives en juin 2017, soit en moyenne 13,7 candidats dans chaque circonscription. ↩
- Voir notre article sur l’élection présidentielle dans ce même volume. ↩
- En juin 2012, moins d’un quart (23,3 %) des candidats présentés par le RBM avait déjà été en lice aux législatives de 2007. ↩
- « Pour les législatives, le FN envoie tous ses cadres au front », Le Monde, 9 juin 2017 (https://abonnes.lemonde.fr/les-decodeurs/article/ 2017/ 06/09/pour-les-legislatives-le-fn-envoie-tous-ses-cadres-au-front_5141667_4355770.html). ↩
- En 2017, 76 des 120 candidats de second tour sont des hommes, soit près des deux tiers (63 %). ↩
- Source : données officielles, ministère de l’Intérieur (https://www.data.gouv.fr). ↩
- En 2012, en revanche, les candidats FN avaient enregistré des gains de même amplitude face à la droite UMP ou à la gauche, avec respectivement + 16,1 et + 15,9 points en moyenne. À l’exception de Gilbert Collard (+ 8,2) dans le Gard et Marion Maréchal-Le Pen (+ 7,4) dans le Vaucluse, les candidats frontistes étaient en léger recul en revanche dans les triangulaires (- 0,9 en moyenne). ↩
- En 2012, ces derniers avaient déjà manqué de peu la majorité absolue : à Marseille, Stéphane Ravier avait échoué à 49 % des exprimés ; à Arles, Valérie Laupies avait également été éliminée avec 48,7 % des suffrages face au président socialiste du conseil régional Paca, Michel Vauzelle. ↩
- Notons également la réélection de Jacques Bompard (Ligue du Sud) dans son fief d’Orange dans le Vaucluse avec 50,4 % des voix. ↩
- Sources : Européennes 2014, https://www.ifop.com/media/poll/2670-1-study_file.pdf ; Départementales 2015, https://www.ifop.com/media/poll/2976-1-study_file.pdf ; Régionales 2015, https://www.ifop.com/media/poll/3228-1-study_file.pdf. ↩
- https://www.frontnational.com/2017/09/communique-de-presse-de-marine-le-pen-presidente-du-front-national-17/ ↩
- Malgré une implantation croissante dans les territoires, notamment dans les petites communes rurales, le FN n’a pas été en mesure toutefois d’accroître son nombre de sièges lors des élections sénatoriales du 24 septembre 2017. ↩
- Source : Ipsos Sopra-Steria, « Fractures françaises », enquête réalisée pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et Sciences Po (programme viepol), Vague 5, juin 2017 (https://jean-jaures.org/nos-productions/fractures-francaises-2017). ↩
- Plusieurs proches de l’ancien vice-président du FN ont d’ores et déjà annoncé qu’ils quittaient le mouvement lepéniste, à l’image notamment de Sophie Montel, Joffrey Bollée ou Maxime Thiébaut. ↩
- « Le Pen veut que le FN « se reconcentre sur la refondation du parti » », Le Monde, 15 septembre 2017 (https://www.lemonde.fr/politique/article/2017/09/15/le-pen-veut-que-le-fn-se-reconcentre-sur-la-refondation-du-parti_5185893_823448.html). ↩
- Marine Le Pen, interview, BFMTV-RMC, 22 septembre 2017 (https://www.frontnational.com/videos/marine-le-pen-sur-bfm-tv-et-rmc-17/). ↩
- S’ajoutent à cela les difficultés financières du parti et son incapacité à se trouver des bailleurs de fonds. En 2016, le FN a bénéficié au total d’une aide publique d’un peu plus de 5 millions d’euros au titre du financement public des partis. Les résultats à la baisse des élections législatives de 2017 ne permettront pas d’augmenter le montant de sa dotation pour les cinq prochaines années, qu’on peut estimer autour de 4,6 millions d’euros annuels, les pertes en voix étant partiellement compensées par le nombre d’élus et le montant alloué au titre de la seconde fraction. Par ailleurs, en 2017, 75 des 572 candidats frontistes n’ont pas passé le seuil des 5 % des voix requis pour le remboursement des frais de campagne. ↩
- « Robert Ménard ciblé par les dirigeants FN après ses critiques de Marine Le Pen », Le Monde, 23 août 2017 (https://www.lemonde.fr/politique/article/2017/08/23/robert-menard-cible-par-les-dirigeants-fn-apres-ses-critiques-de-marine-le-pen_5175666_823448.html). ↩
- « Marion Maréchal-Le Pen : On aurait des choses à faire avec Laurent Wauquiez », Le Monde, 17 mai 2017 (https://www.lemonde.fr/politique/article/2017/05/17/marion-marechal-le-pen-on-aurait-des-choses-a-faire-avec-laurent-wauquiez_5128844_823448.html). ↩
- « Nicolas Dupont-Aignan tend la main à Laurent Wauquiez et à Marine Le Pen », Le Point, 14 septembre 2017 (https://www.lepoint.fr/politique/nicolas-dupont-aignan-tend-la-main-a-laurent-wauquiez-et-a-marine-le-pen-14-09-2017-2156905_20.php). ↩
- « Wauquiez veut profiter de la scission au FN », Le Monde, 22 septembre 2017 (https://www.lemonde.fr/politique/article/2017/09/22/wauquiez-veut-profiter-de-la-scission-au-fn_5189571_823448.html). ↩