Macron-Borne, voici un couple qui, sémantiquement du moins, a de l’allure. Pour un homme borné, avoir choisi une Borne (é ?) à ses côtés, n’est-ce pas un beau coup réalisé ? Souvenons-nous du crooner espagnol Julio Iglesias qui fredonnait naguère : « Je n’ai pas changé… je prends toujours le chemin qui me plaît ». Notre crooner politique n’est-il pas dans la même disposition d’esprit ? Egal à lui-même, droit dans ses bottes, sûr de lui et donc dominateur, oui, tel il est, tel il reste depuis le 19 juin. « J’ai toujours été clair sur le sujet », a-t-il coutume de répéter à tout propos. Comme si la clarté équivalait à la vérité ! Entêtement donc de la part du président Macron, mais, comme disait ma grand-mère, « passé un certain âge on ne se refait pas ».
S’il feint quelquefois de plier – mais jamais pour très longtemps -, le président ne rompt pas. Car céder n’est pas dans sa nature. Nous l’avons vu lors de la « crise » des Gilets jaunes, avec pour seule réponse un pseudo « grand débat national » – qui fera « pschitt » pour reprendre le mot d’un autre président. Nous le voyons aujourd’hui avec cette situation politique inédite : une absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Aux yeux d’Emmanuel Macron, le 19 juin n’a jamais eu lieu : c’est un « non-événement », le choix des électeurs ? un pur caprice. La seule élection qui compte est la sienne, celle du 24 avril. Ne pas céder, voilà le credo. L’ouverture esquissée dans son allocution télévisée vers les nouvelles oppositions parlementaires (toutes) n’aura été, à la lumière des derniers événements, qu’un feu de paille, une « sortie » discursive sans lendemain. Dans une dépêche à l’AFP, ne vient-il pas de revoir sa position et de nous faire part de sa dernière trouvaille : confier à sa Première ministre, confirmée au passage dans ses fonctions, le soin de préparer un gouvernement de coalition allant des communistes aux LR ? Sont, en effet, désormais exclus la France insoumise et le Rassemblement national que M. Macron, d’autorité, considère comme n’étant pas des partis de gouvernement mais des partis dangereux, hors de la République, car extrémistes (extrême-gauche pour LFI, extrême-droite pour le RN).
En s’exprimant ainsi, l’apôtre du nouveau monde, utilise un vieux logiciel politique.
Arrêtons-nous un instant sur ces notions d’extrême-gauche et d’extrême-droite, assez désuètes nous semble-t-il. Commençons par l’extrême-gauche. Elle existe, politiquement parlant, mais on la trouve incarnée aujourd’hui plutôt dans de petites formations comme le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) ou Lutte ouvrière. Si la violence en tout cas n’est plus au coeur du projet d’extrême- gauche, il n’y a toujours pas en revanche dans le projet extrêmiste une aspiration à la gouvernance. Tel n’est pas le cas de la France insoumise qui, au contraire, projette de prendre les rênes de l’Etat. Cette formation, qualifiée par M. Macron d’extrême-gauche, ne relève assurément pas de cette mouvance mais de la gauche qu’on appelle radicale pour la distinguer de l’autre, la gauche dite social-démocrate. Précisons pour notre président que des partis d’extrême-gauche ont de toute façon déjà gouverné la France, le plus illustre d’entre eux étant le Parti radical sous la IIIe République. Considérons l’extrême-droite à présent. N’est-il pas temps de « déclassifier » le parti fondé par Jean-Marie Le Pen ? Si le Front national était bien à l’origine l’expression de l’extrême-droite classique, à savoir un mouvement raciste et xénophobe, le Rassemblement national qui lui a succédé, sans renier totalement les fondamentaux du FN sur l’immigration ou l’insécurité par exemple, est un parti désormais ouvert à la défense des droits économiques et sociaux des Français, notamment ceux des classes populaires. C’est pourquoi nous proposons de nommer ce parti parti de la droite nationale. Parti légitime si l’on rappelle les 13 millions de voix obtenues et les 89 « rassemblistes » envoyés à l’Assemblée nationale. ̈Par conséquent, s’il n’a effectivement jamais gouverné, le FN, qui aspire à présent à la gouvernance, est un potentiel parti de gouvernement.
Les Français l’ont dit clairement : ils ne veulent plus de pouvoir solitaire. Ils veulent des décisions collectives émanant de la rencontre des points de vue, projets et programmes de toutes les formations politiques désormais représentées à l’Assemblée nationale.
La notion de « front républicain » n’a plus grand sens pour la plupart d’entre nous, citoyens français. Or M. Macron, qui est décidément l’incarnation de l’ancien monde politique, non seulement ne veut pas abandonner cette idée appliquée traditionnellement au Front national mais veut l’étendre aujourd’hui, de façon totalement arbitraire, à la France insoumise. C’est inacceptable d’un strict point de vue démocratique. Terminons par la mission confiée à Elisabeth Borne de former d’ici à vendredi un gouvernement de coalition sur les bases définies par le président. Toutes les formations, et pas seulement LFI ou le RN, ont affirmé et réaffirmé leur appartenance à l’opposition à M. Macron. On voit mal comment elles pourraient se dédire aujourd’hui. Reste la « solution » des débauchages individuels. Différents noms circulent pour entrer au nouveau gouvernement : Jean-François Copé et Philippe Juvin (à la Santé ?) pour les LR, Yannick Jadot (à la Transition écologique ?) pour EELV. D’autres noms sont murmurés, celui, par exemple, de Fabien Roussel pour le PC. N’en doutons pas, il y a toujours des traîtres pour rejoindre les allées du pouvoir, Christophe Castaner et Richard Ferrand, tous deux issus du PS, en sont aujourd’hui les illustres « exemples ». Une chose est sûre, on peut douter qu’une majorité d’action élargie sorte du chapeau de la Première ministre vendredi ou samedi prochain. Et quand bien même serait-ce, la majorité parlementaire présidentielle restera relative. Le vote du texte par texte a de beaux jours devant lui.
Michel Fize
Sociologue et diplômé de Sciences politiques