Dans un ouvrage paru en 1992, l’anthropologue Marc Abélès comparait à une tribu la communauté humaine que constitue – au delà des parlementaires – le Parlement européen. Trois décennies plus tard, et en dépit d’un certain nombre d’évolutions institutionnelles, la vie quotidienne au Parlement européen (intitulé du livre) ne semble pas avoir fondamentalement changé, tant il est vrai que cette vie répond à des principes supérieurs aux simples logiques matérielles et techniques.
Si l’on retient la métaphore de la tribu, alors il s’agit d’une tribu nomade, dont trois lieux articulent les migrations calendaires : Strasbourg, Luxembourg et Bruxelles. Strasbourg est le siège, le cadre de représentation et la ville éponyme (« l’Assemblée de Strasbourg »). C’est là que se tiennent les sessions plénières, d’une semaine chacune (douze par an). Le secrétariat général et les services administratifs (la cheville ouvrière de toute institution) ont leurs bureaux à Luxembourg, ainsi que le service de traduction (capital, comme nous le verrons, pour celle-ci). Et les commissions parlementaires, au sein desquelles s’effectue l’essentiel du travail « productif », délibèrent à Bruxelles. Des réunions spécifiques peuvent par ailleurs être organisées aux quatre coins de l’Europe. Les scènes saisies sur le vif où Abélès donne à ressentir la densité physique de l’état nomade restent d’actualité – et suscitent toujours l’étonnement des observateurs1. Une des plus spectaculaires est l’ouverture des « cantines » (les malles), qui marque rituellement l’ouverture de la semaine de session. Dans ces cantines se trouve toute la substance de l’activité parlementaire, une substance transportée par camion d’une étape à l’autre. Si les députés, en général, prennent l’avion, le matériel suit la route des caravanes, et les réunions extraordinaires peuvent donner lieu à de véritables expéditions. Abélès évoque ainsi un colloque au Portugal qui entraîna un déplacement de presque un mois pour transporter l’équipement de traduction.
Cet épisode est tout sauf anecdotique. Il y avait, à l’époque où Abélès menait son enquête, 9 langues officielles, ce qui ne représentait pas moins de 36 couples (c’est-à-dire 36 modalités de traduction, 36 types de compétences bilingues). Il y en a maintenant 24, soit 276 couples. Le dernier chapitre du livre s’intitule « Une nouvelle Babel ? ». Et, de fait, il n’existe pas ici de langue véhiculaire, ni de pidgin, ni d’esperanto. Le multilinguisme ne signifie pas que chacun entend la langue des autres, mais que chacun s’exprime uniquement dans sa propre langue, c’est-à-dire pour soi. Le discours tend à se fermer sur lui-même et le débat en séance ne « prend » pas, quel que soit le talent des interprètes. De manière symptomatique, chaque orateur parle depuis sa place et adresse son propos à « Monsieur le Président » (ou « Madame la Présidente »). A Strasbourg, on parle sans se parler.
Mais le Parlement ne vit pas qu’à Strasbourg, et l’on peut même dire que sa vraie vie est ailleurs – un ailleurs multiple où l’on se parle.
C’est, écrit Abélès, « comme si l’institution descendait en droite ligne d’une époque plus ancienne, où les cours se déplaçaient pour traiter les affaires de l’Europe. A moins qu’elle ne préfigure une Communauté qui ne ressemblera en rien au Etats nationaux classiques, centrés sur une capitale unique » (Abélès 1992 : 419-420). Le Parlement, en quelque sorte, constitue la maquette de l’Union européenne en tant qu’une communauté politique inédite, mais qui n’est pas sans rappeler une forme antérieure (aux Etats-nations actuels), qui n’est pas sans évoquer l’époque des cours nomades et, pourrait-on ajouter nonobstant l’anachronisme, des élites mondialisées (qui communiquaient en latin, plus tard en français). Son nomadisme, donc, qui pour un esprit « rationnel » et « moderne » ne peut tenir qu’à une organisation irrationnelle et provisoire2, renvoie à des figures du pouvoir dont l’étrangeté ne signifie pas l’impossibilité, dont même elle peut accompagner la nécessité.
Le chantier européen
Cette étrangeté se juge à l’aune de l’époque présente. Mais, en retour, le présent est pour l’Europe (ou, du moins, pour son Union) une notion vide, une chose sans signification. Il n’a que la valeur d’une page d’agenda. Car l’Union est par définition une construction, au sens actif du terme, une construction inachevable, un « chantier » perpétuel, selon l’expression d’Abélès. Ce chantier, il est d’abord celui des institutions. Celles-ci se bâtissent à coup de traités (modifiables et souvent modifiés), d’accords, de protocoles, d’actes, de conventions, de chartes… Les modifications des traités sont fréquemment liées à l’adhésion de nouveaux pays. Le chantier est donc aussi, de façon connexe, celui de la définition même de l’Union européenne (de sa définition territoriale, s’entend), de sa composition, de son « élargissement ». Le nombre des Etats membres n’a cessé d’augmenter, par bonds successifs : d’abord six, puis neuf (1973), puis dix (1981), puis douze (1986), puis quinze (1995), puis vingt-cinq (2004), puis vingt-sept (2007), puis vingt-huit (2013). Et le mouvement n’est pas fini, puisqu’un certain nombre de pays, à l’orée de 2022, frappent encore à la porte, avec des chances variables de la voir s’ouvrir, alors que, de façon inédite, un autre vient de franchir le seuil en sens inverse.
Les limites de l’Union sont fluctuantes, toujours provisoires, fondamentalement incertaines.
Plusieurs Etats sont censés avoir vocation à se joindre à la construction, en vertu de la simple logique géographique – ils sont par exemple enclavés dans le territoire de l’Union tel qu’il est actuellement configuré. Mais ils ne remplissent pas (encore) toutes les conditions d’adhésion (les « critères de Copenhague »). Dit autrement, ils ne le méritent pas (encore). C’est le cas des pays des « Balkans occidentaux ». Pour d’autres, cette vocation (cette « éligibilité ») est contestée, alors même qu’ils peuvent également arguer d’une logique géographique : contiguïté territoriale, appartenance au continent européen… La Turquie ou l’Ukraine en sont deux exemples notoires – et contradictoires. La Turquie est officiellement « candidate » à l’adhésion depuis 1987. Mais cette perspective apparaît de plus en plus incertaine, voire improbable. Quant à l’Ukraine, la nature conjoncturelle et exceptionnelle de sa candidature, en 2022, ne présume rien de son succès à moyen terme. Les bornes orientales de l’Europe ne sont pas fixées.
L’Union européenne, donc, est tout sauf un Etat-nation, qui est fondamentalement une entité limitée (limitée parce qu’identifiable ou, plutôt, limitée pour avoir une identité). Un Etat-nation est (dé)fini, achevé, ou, à tout le moins, il a une perspective nette d’achèvement et de définition. Il connaît ses limites populationnelles (sa population nationale) et territoriales (le territoire dévolu à sa nation). Il s’achève là où commencent les autres. De cela procède son identité. Laquelle ne va pas toujours de soi (pour les autres). Il peut y avoir des conflits quant à la définition même de la nation (il peut exister des nationalismes concurrents) ou quant au territoire. Un Etat-nation peut être soumis à des menaces scissionnistes ou à des tentations irrédentistes. Mais, en tout état de cause, son idéal, sinon toujours sa réalité présente, est son achèvement à l’intérieur de frontières précisément définies. En cela il se distingue des empires, qui ont vocation à couvrir autant de populations et de territoires qu’ils le peuvent.
Des symboles revendiqués
Des frontières (théoriquement) intangibles, une capitale, une langue… Ces attributs consubstantiels – et symboliques – de l’Etat-nation, l’Union européenne ne les possède pas et n’a aucune raison de les posséder, dans la mesure où, comme nous venons de le voir, ils sont inadéquats à sa réalité et à son principe même. Pourtant, par une sorte de contradiction entre le fond et la forme, elle se donne à voir comme si elle en était dotée d’évidence. Autrement dit, ses efforts de présentation tendent à se les attribuer, à en simuler la possession.
Des frontières. Les périodiques reconfigurations géographiques n’empêchent pas que les « frontières de l’Europe » sont régulièrement évoquées et invoquées comme une réalité infrangible. Une projection de celles-ci et de l’espace qu’elles délimitent est le passeport dont sont dotés les ressortissants de l’Union. Portant sur la couverture, de couleur rouge bordeaux3, la mention « Union européenne » au dessus de celle du pays, ce document projette lui-même sur l’espace confiné des aéroports européens la matérialité de la frontière, en séparant les voyageurs en deux groupes (les détenteurs de passeports de l’U.E. et les « autres ») et en instituant deux parcours (i.e. deux rites de passage) différents.
Nonobstant cet indéniable effet de réel, les frontières sont, sinon une fiction, du moins un objet récurrent de débats, de mises en cause et d’interrogations quant à leur définition, leur usage et leur efficacité4, à l’opposé de la certitude et de l’assurance que sont censés porter les bornages de l’Etat.
Une capitale. L’Union européenne, nous l’avons vu, possède plusieurs capitales. Plus exactement, elle a plusieurs lieux de pouvoir : elle n’a aucune capitale officielle. Ce qui ne l’empêche pas, en tant que sujet politique, d’avoir une ville éponyme. « Bruxelles décide de … », « Bruxelles pense que… », « Bruxelles exige… », « Bruxelles donne son feu vert… ». Cette reconnaissance publique d’une sorte de capitale effective rencontre une volonté de représentation officielle à travers des réalisations urbanistiques et architecturales – le quartier européen de Bruxelles – et des vitrines symboliques, notamment muséales (cf. infra). Mais cette capitale effective n’a pas grand-chose à voir avec une véritable capitale, dans l’acception ordinaire – et prestigieuse – du terme. On ne va pas à Bruxelles en touriste pour visiter la capitale de l’Europe, on y va en délégation pour protester.
Une langue. L’Europe, bien sûr, n’y prétend pas. Mais elle prétend à mieux encore : une culture. La culture européenne. Langue et culture forment un couple indissociable, en anthropologie « spontanée »5 aussi bien que savante6, au point qu’il y a souvent identification approximative, sinon assimilation, entre l’une et l’autre. Cette relation fusionnelle est même au cœur de la théorie du nationalisme proposée par Gellner : la nation se construit en élaborant sa propre « haute » culture, elle-même articulée autour de sa propre langue « lettrée » (Gellner 1989). La culture revendiquée pour l’Europe apparaît en l’occurrence comme le substitut identitaire de la langue. Pour soutenir cette revendication, les instances de l’Union ont voulu se munir du plus classique des instruments culturels, le musée (Gossiaux 2016 : 42-46 ; Mazé 2014). C’est dans ce but précis et explicite qu’est né le projet du « Musée de l’Europe » qui devait être édifié à Bruxelles : « consacrer un musée à la culture commune de l’Europe, pour donner un instrument culturel à l’Union européenne en train de se construire »7. La direction scientifique dudit projet fut confiée à l’historien Elie Barnavi. Celui-ci avait son idée de l’entité politique à faire advenir : « une sorte d’empire multinational sans empereur et sans nation dominante, une sorte d’Autriche-Hongrie sans François-Joseph, démocratique et égalitaire »8. Cette « sorte d’Autriche-Hongrie » était censée avoir des frontières bien définies – ce en quoi elle se rapprochait plus, en fait, du modèle westphalien et national que du modèle impérial – qui excluaient notamment la Turquie, l’Europe s’étant construite « contre l’Empire ottoman ». Telle était l’idée à mettre en musée, et donc en histoire. Le musée devait apporter la démonstration historique que la construction de l’Union européenne s’appuyait sur l’existence de longue date d’une culture européenne.
Mais par où commencer la démonstration ? Où faire commencer l’histoire ?
Pour Barnavi, l’Europe commençait avec la fin de l’Empire romain et la consolidation de la chrétienté sous l’égide de l’Empire carolingien. Cette origine historique de l’Europe était en parfaite adéquation avec l’origine politique de l’Union européenne, l’« Europe des six »9, l’Europe occidentale catholico-protestante. Mais elle excluait l’aire orientale et orthodoxe (celle qui se réclame de l’héritage byzantin) et elle reléguait toute une série de pays nouvellement ou potentiellement membres de l’Union au rang de pièces rapportées. Les protestations scandalisées qui s’ensuivirent furent fatales aux ambitions du projet. Celui-ci s’acheva dans quelques « expositions de préfiguration » itinérantes, la plus notable étant son « exposition de lancement », intitulée « C’est notre histoire ! » et se limitant en fait à la période qui débute en 1945, « année zéro ». Un autre projet, impulsé par le Parlement européen, a pour sa part abouti à l’ouverture, en 2017, d’une moins ambitieuse « Maison de l’histoire européenne », sise au cœur du quartier européen de Bruxelles. L’histoire en question est essentiellement celle de l’Europe moderne, du dix-neuvième au vingt-et-unième siècle. Quant aux origines, elles restent cantonnées au domaine mythique (la princesse Europe enlevée par Zeus, amoureux de sa beauté). Le rapport au passé et la « culture européenne » sont abordés sur un mode interrogatif. (« Pouvons-nous dire que nous avons un passé européen partagé ? », « Si l’Europe est plus que l’addition des histoires nationales, est-ce une civilisation et une culture caractérisées par des traditions et des valeurs particulières qui se sont développées à travers l’histoire ? »)10 L’ « instrument culturel » dont voulait se doter l’Union européenne a versé dans la modestie.
Des emblèmes imités
A côté des attributs et des symboles comme les frontières, la langue ou la culture, dont la possession effective par un Etat-nation est le terme d’un processus généralement long et difficile – même s’ils sont revendiqués comme naturels et présentés comme évidents -, il en est d’autres qui sont de simples artefacts résultant d’une pure décision : les emblèmes, essentiellement l’hymne et le drapeau. L’Europe possède l’un et l’autre. L’hymne est un arrangement de l’Ode à la joie, dernier mouvement de la Neuvième symphonie de Beethoven. Adopté en tant que tel par le Conseil de l’Europe en 197211, il est devenu celui de l’U.E. (ou, plus précisément, celui des Communautés dont elle procède) en 1985, sur décision des Chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres.
Selon le site officiel de l’Union, « cet hymne sans paroles évoque, grâce au langage universel de la musique, les idéaux de liberté, de paix et de solidarité incarnés par l’Europe »12.
Le « langage universel de la musique » apparaît en l’occurrence comme un palliatif au trop-plein linguistique. La déclinaison en autant de versions que de langues officielles risquait de signifier plus la diversité, sinon la division, que l’unité13. A l’opposé, adjoindre à la musique de Beethoven le poème original de Schiller aurait donné des résonances trop uniment allemandes. Quant à la tentation de chanter l’Europe en latin14, elle encourait le reproche d’élitisme, voire de réminiscence religieuse. Il reste que l’appropriation populaire de l’hymne européen est obérée par l’absence de paroles, et que la musique ne s’en fait guère entendre d’un large public qu’à l’occasion du concours de chansons de l’Eurovision15.
Le drapeau européen a lui aussi été adopté par le Conseil de l’Europe, en 1955, avant de devenir celui de l’U.E. Son « cercle de douze étoiles d’or sur fond bleu »16 n’a pas été sans susciter quelques critiques, d’aucuns estimant que la coïncidence avec la symbolique mariale ne pouvait être fortuite17. Mais la polémique est restée limitée : l’étendard de l’Europe n’est pas un objet de passion. Il est pourtant omniprésent dans l’espace public. Les gouvernants veillent à ce qu’il soit systématiquement dressé à côté de leur drapeau national derrière les pupitres où ils s’expriment. Il accompagne systématiquement le drapeau tricolore au fronton des mairies et des écoles de France… Pour utiliser une métaphore footballistique, le drapeau européen « marque à la culotte » son homologue national. Ainsi, en février 2019, le député Eric Ciotti présenta un amendement stipulant l’obligation de disposer un drapeau français dans toutes les salles de classe. Il s’agissait selon lui de promouvoir « les valeurs et symboles de la République [qui] sont le ciment de la Nation [et] appartiennent à tous les Français […], le drapeau français [étant] un repère qui doit être présent dans chaque classe de chaque école de France ». La proposition fut votée … moyennant l’ajout du drapeau européen18.
En dépit (ou à cause) de ce volontarisme officiel, l’étendard bleu et or reste peu populaire, dans le sens où les populations ne se le sont pas approprié pour manifester leurs émotions collectives.
Nulle foule en liesse ne l’agite pour fêter une victoire sportive. (Il n’existe d’ailleurs aucune équipe d’Europe dont on pourrait suivre les exploits, sauf en golf…) Nulle foule protestataire ne le brandit pour légitimer sa colère19. Il lui arrive au contraire de servir d’exutoire à l’ire de manifestants divers – marins-pêcheurs européens, employés de banque chypriotes, « gilets jaunes » français… – qui le brûlent en place publique20.
Il existe cependant des exceptions à cette indifférence (voire cette hostilité) populaire. Celle-ci se constate essentiellement au centre de l’U.E., c’est-à-dire dans les pays les plus anciennement et les plus solidement « membres ». Aux marges de l’Union, en revanche, dans des pays qui n’y adhérent pas (encore ?) ou qui sont en passe de s’en détacher, le drapeau européen peut colorer massivement certaines manifestations de rue. Celles-ci se veulent des démonstrations pro-européennes, pro-U.E., et en même temps des manifestations contre, contre le pouvoir en place et/ou contre une autre partie de la population, censément opposés à l’Europe. Cela fut notamment le cas en 2013 en Ukraine, où le refus du président de signer un traité d’association avec l’Union européenne déclencha la « révolution de Maidan », avec toutes ses conséquences21. En mars 2019, à Londres, la foule des « anti-Brexit » arborait l’étendard de l’Europe pour remettre en cause la sortie de l’Union, pour laquelle 52% des Britanniques s’étaient prononcés par referendum trois ans plus tôt22. Dans certains pays membres périphériques (et plus ou moins récents) de l’U.E., la contestation interne du pouvoir peut également se faire au nom de l’Europe (et de « ses valeurs ») et sous sa bannière. La Pologne, la Hongrie, la Roumanie ont connu de telles manifestations en bleu étoilé23. Dans tous ces cas, de l’Ukraine à la Grande-Bretagne en passant par les pays de l’Est, c’est l’Europe irréalisée, l’Europe projet (ou mirage, ou regret…) qui est brandie. Le drapeau européen exprime une opposition et explicite une division – au sein du pays, au sein de la population. En cela, il fonctionne à l’opposé d’un drapeau national, qui a pour fonction d’exprimer l’unité – aussi diverses et conflictuelles que puissent être les appréhensions de celle-ci24.
Utopie européenne et imaginaire national
Si les symboles et les emblèmes de l’Etat-nation ne fonctionnent pas – ou pas pleinement, ou à contre-emploi – pour l’Union européenne25, c’est d’abord que celle-ci, nous l’avons vu, n’a réellement rien à voir avec un Etat-nation. Cette première raison est redoublée au niveau idéel. L’Union est, comme nous l’avons dit également, un chantier perpétuel, une construction jamais achevée.
Il s’agit d’une réalité – matérielle – qui a, en l’occurrence, un reflet (ou un fondement) idéel. L’Europe est une utopie.
Nous prenons ce terme d’utopie dans le sens que lui donne Karl Mannheim (Mannheim 1956), c’est-à-dire celui d’un système d’idées tendant à transformer l’état des choses (l’idéologie, dans son acception, servant au maintien de l’ordre existant). Mannheim dégage deux grands types d’utopie : l’utopie millénariste (ou chiliasme) et l’utopie libérale (« humanitaire-libérale »). Elles se distinguent essentiellement dans leur rapport au temps (Kupiec 2006). L’utopie millénariste est celle de la révolution immédiate26, alors que l’utopie libérale se projette dans le temps long de l’avenir :
« L’utopie de la mentalité humanitaire-libérale est « l’idée ». Toutefois ce n’est pas l’idée platonique, statique de la tradition grecque […] ici, l’idée est plutôt conçue comme un but formel projeté dans l’infinité de l’avenir et dont la fonction est d’agir comme un simple procédé régulateur des affaires temporelles. » (Ibid. : 83)
Cette régulation des affaires temporelles s’effectue à travers les notions d’évolution et de progrès. L’évolution donne à l’avenir la consistance de l’histoire :
« Avec l’idée libérale-humanitaire, l’élément utopique se voit attribuer une situation définie dans le processus historique : c’est le point culminant de l’évolution historique. » (Ibid : 86-87).
Et le « progrès » permet de lier l’utopie à la réalité :
« L’expérience libérale établit une connexion entre l’existence et l’utopie, en reportant dans l’avenir l’idée comme but riche de significations et en permettant, grâce à l’idée de progrès, que les promesses de l’utopie soient, du moins à certains égards, graduellement réalisées parmi nous. » (Ibid. : 95)
Ces citations de Karl Mannheim ne sont pas sans résonner avec ce que donne à entendre « l’expérience » européenne, du côté de l’utopie – de « l’idée » – comme du côté de l’existence. Un « collectif d’écrivains internationaux », inquiet des « dangers qui menacent » publiait ainsi, à la veille des élections européennes du printemps 2019, un manifeste27 pour défendre « l’Europe comme idée, volonté et représentation » :
« [Les signataires] savent que se joue […] une nouvelle bataille pour la civilisation. Et leur mémoire d’Européens, la foi dans cette grande Idée28 dont ils ont hérité […], la conviction qu’elle seule, cette Idée, a eu la force, hier, de hisser nos peuples au-dessus d’eux-mêmes et de leur passé guerrier et qu’elle seule aura la vertu, demain, de conjurer la venue de totalitarismes nouveaux et le retour […] de la misère propre aux âges sombres – tout cela leur interdit de baisser les bras […] Car tel est bien l’enjeu : […] la remise en cause […] de la démocratie libérale et de ses valeurs. »
Au delà de la tonalité exaltée du propos, il s’agissait prosaïquement de faire le lien entre « l’Idée » et les affaires temporelles, c’est-à-dire, en l’occurrence, les élections. Sur un mode moins littéraire et plus institutionnel, l’Union européenne revendique l’expérience du même lien entre utopie et existence. Simplement, elle ne parle pas d’idée et de volonté, mais de valeurs et de but : « L’Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples. » (Article 3 du traité sur l’Union européenne)
Significativement, l’une de ses publications officielles s’intitule L’histoire européenne. 60 ans de progrès partagé29. Conformément à l’expérience libérale telle que décrite par Mannheim, c’est bien à travers l’idée de progrès que les promesses de l’utopie européenne sont censées se réaliser (« graduellement »). Une idée qui, sous le nom de progressisme, peut devenir dans l’arène politique un slogan associé à la défense de la construction européenne30.
Si l’Europe, comme utopie et comme expérience, ne vaut que par l’avenir, l’Etat-nation, comme modèle et comme réalité, ressortit au présent, à l’hic et nunc. Son idéel relève de l’imaginaire, et non de l’utopie.
Cet imaginaire trouve ses matériaux dans un passé plus ou moins lointain, mais ce n’est pas le passé en tant que tel qu’il valorise, à la différence de la pensée conservatrice31. La nation (dont l’Etat-nation est, selon l’expression de Gellner, le « toit politique ») peut être dotée d’origines remontant à la nuit des temps, ou elle peut être vue comme le produit d’un événement déterminé, d’une révolution fondatrice. Les deux récits ne sont d’ailleurs pas exclusifs l’un de l’autre. Faire naître la nation française en 1789 n’empêche pas de faire remonter son histoire aux Gaulois ou aux Francs. La référence de l’Etat-nation (nord-)macédonien à l’événement fondateur qu’est l’insurrection d’Ilinden – 1903 – n’exclut pas la référence à l’empire d’Alexandre – 4ème siècle avant JC (Gossiaux 2002). Le temps ne fait rien à l’affaire. En tout état de cause, au-delà des histoires et des conjonctures, le sens réside dans l’évidence du déjà-là. La nation se vit comme un constat, pas comme une construction. Elle n’est pas une utopie : il ne s’agit pas de transformer l’ordre des choses. Si combat il y a, c’est pour faire reconnaître sa réalité, et les droits qui vont avec : droit à un toit politique (l’Etat-nation), droit à ses frontières « naturelles », droit à la reconnaissance.
Si la réalité de l’Etat-nation a la force de l’évidence (l’évidence du présent), ses attributs symboliques ont nécessairement la même force. Ils sont consensuels et indiscutables. La langue et la culture nationales sont (censément : l’école est là pour ça) partagées par tous. Les frontières nationales sont reconnues par tous. Le drapeau national est approprié (et à l’occasion brandi) par tous. Utilisés pour l’Europe, les mêmes symboles ne sont, nous l’avons vu, ni consensuels ni indiscutés. L’avenir comme l’utopie ne sont pas des figures universelles.
Hypothèses sur un emprunt
Reste à expliquer pourquoi l’Union européenne se présente comme un Etat-nation (i.e. à la façon d’un Etat-nation), pourquoi elle en emprunte les habits, alors même qu’elle ne prétend pas en être un et affirme respecter l’identité nationale de ses Etats membres32 » (article 4 paragraphe 2 du traité sur l’Union européenne).] ?
A défaut d’une explication reposant sur une étude globale des processus de décision en matière de symboles, un certain nombre d’hypothèses, non exclusives, peuvent être avancées.
La première, élémentaire, est celle de l’ « inertie symbolique » : une entité politique accédant à certaines prérogatives étatiques33 aurait tendance à se parer des attributs propres aux formes d’Etat prédominantes. L’U.E. utiliserait ainsi les modèles symboliques de l’Etat-nation pour la simple raison que ceux-ci seraient actuellement les seuls « sur le marché ». On pourrait aussi invoquer, en deuxième hypothèse, une sorte de contamination sémantique du terme Etats-Unis. La paternité de l’expression « Etats-Unis d’Europe » est couramment attribuée à Victor Hugo34. Le parallélisme – implicite ou explicite – avec les Etats-Unis d’Amérique est évidemment une des causes de son succès. Dans un premier temps, c’est-à-dire jusque dans la première partie du vingtième siècle, l’union des Etats d’Europe a été envisagée comme une première étape vers une union de tous les Etats du monde, pour atteindre à la paix universelle, ou à la révolution mondiale35. Par la suite, avec la construction européenne en actes et en traités, l’expression a tendu à devenir un synonyme « dur » d’Union européenne, utilisé par les partisans d’une Europe explicitement fédérale36. En tout état de cause, le parallélisme avec les Etats-Unis d’Amérique – qui, eux, sont le produit d’un véritable nationalisme et le toit politique d’une véritable nation (Anderson 1996 ; 2013) – projette sur l’Europe une image d’Etat-nation dont l’U.E., à travers ses symboles, tendrait à garder la trace.
Nous avancerons, enfin, une troisième hypothèse fondée sur la gémellité des idées de nation et de démocratie. L’une et l’autre se sont parallèlement développées et imposées au dix-neuvième siècle comme principes de souveraineté et de gouvernement, face aux principes jusqu’alors prévalents – droit divin, principe dynastique, monarchie… On peut donner à ce lien historique une explication fonctionnaliste, la nation constituant la communauté, l’espace d’inter-compréhension et de communication nécessaire à l’exercice de la démocratie. Mais, en deçà même de leur réalité substantielle, nation et démocratie apparaissent comme structurellement liées – des « jumeaux structurels », en quelque sorte. Rastko Mocnik a repris, pour qualifier cette relation, la notion d’institution de type zéro introduite par Lévi-Strauss (Lévi-Strauss 1985 : 185).
La nation serait l’institution-zéro des sociétés démocratiques, n’ayant à ce titre d’autre sens que celui de définir, par exclusion des institutions homologues, la limite extérieure du champ social et de permettre ainsi au système de se poser comme totalité37. En tout état de cause, l’amarrage du système démocratique au modèle de l’Etat-nation place l’Union européenne devant une redoutable aporie, dès lors que, elle-même investie de compétences étatiques, ou y prétendant, elle ne peut échapper à l’injonction de la démocratie38. L’adoption de l’habit national apparaît comme la (chimérique) réponse symbolique à cette injonction.
Jean-François Gossiaux
Anthropologue
Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
Références bibliographiques
Abélès Marc, 1992, La vie quotidienne au Parlement européen, Paris, Hachette.
Anderson Benedict, 1996 [1983], L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte.
Anderson Benedict, 2013 [2001], « Nationalisme occidental et nationalisme oriental », Agone, 52 : 11-24.
Gellner Ernest, 1989 [1983], Nations et nationalisme, Paris, Payot.
Gossiaux Jean-François, 1994, « En Europe la nation », L’Homme, 129 : 175-180.
Gossiaux Jean-François, 2002, Pouvoirs ethniques dans les Balkans, Paris, PUF.
Gossiaux Jean-François, 2016, Les débris épars du progrès. Evolutionnisme vs anthropologie, Paris, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme.
Kupiec Anne, 2006, « Karl Mannheim, l’utopie et le temps. Brève anthologie », Mouvements, 45-46 : 87-97.
Lévi-Strauss Claude, 1985 [1958], Anthropologie structurale, Paris, Plon.
Mannheim Karl, 1956 [1929], Idéologie et utopie, Paris, Marcel Rivière. Version numérique dans la collection « Les classiques des sciences sociales »,
http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html
Mazé Camille, 2014, La fabrique de l’identité européenne. Une visite dans les coulisses des musées de l’Europe, Paris, Belin.
- « De Bruxelles à Strasbourg, la migration mensuelle du Parlement européen », leparisien.fr, 27.5.2018. ; « ‘Le grand déménagement’ : enquête sur l’ubuesque transhumance mensuelle des eurodéputés », TéléObs, 27.9.2018 ; « ‘Vive la politique : Le grand déménagement’ : le ‘cirque itinérant’ des eurodéputés », LeMonde.fr, 27.9.2018. (A propos d’un documentaire diffusé sur la chaîne France 3 le 27.9.2018.) ↩
- L’étonnement suscité par le déménagement mensuel s’accompagne généralement d’une remise en cause plus ou moins explicite. Mais les tentatives d’imposer Bruxelles comme lieu unique, émanant le plus souvent de responsables politiques allemands, se sont toujours heurtées au refus du gouvernement français. Cf. « Des eurodéputés allemands réclament le déménagement du Parlement européen de Strasbourg », RT France, 3.7.2017 ; « L’éternel débat du siège unique du Parlement européen en images », EURACTIV.fr, 27.9.2018. ↩
- A l’exception de la Croatie, dont le passeport a une couverture bleu foncé. ↩
- La question des frontières se confond pratiquement avec celle de l’Espace Schengen, espace européen de libre circulation dont la gestion cristallise toutes les tensions. Ledit espace correspond au territoire actuel de l’U.E. tel qu’il est défini au 1er janvier 2019, à ceci près que la Croatie, la Roumanie et la Bulgarie n’en font pas (encore ?) partie, alors que quelques Etats non membres de l’Union (la Suisse, l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein) y sont inclus. Ainsi, les « frontières extérieures » de l’Europe, celles qui sont à contrôler – et dont le contrôle effectif fait polémique, notamment dans son rapport avec celui des frontières « intérieures », c’est-à-dire nationales – ne coïncident pas en réalité avec les frontières de l’Union européenne. ↩
- Anthropologie du sens commun qui apparaît par exemple dans le discours des institutions internationales : « Lorsque les langues s’éteignent, la diversité culturelle, qui fait la richesse de l’humanité, s’amenuise. La Journée internationale de la langue maternelle, proclamée par la Conférence générale de l’UNESCO en novembre 1999 est célébrée chaque année depuis février 2000 afin de promouvoir la diversité linguistique et culturelle, et le multilinguisme. » http://www.un.org/fr/events/motherlanguageday/background.shtml, consulté le 15.3.2019. ↩
- Selon la célèbre hypothèse de Sapir-Whorf, la langue est à la base des représentations mentales. ↩
- Commission de la culture, de la science et de l’éducation du Conseil de l’Europe, L’esprit de l’Europe dans les musées, doc. 9503, 15 juillet 2002. ↩
- Entretien d’Elie Barnavi avec Luc Rosenzweig, Le Monde, 19.10.1999. ↩
- L’Allemagne de l’Ouest (la RFA), la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas. ↩
- Site web de la Maison de l’histoire européenne (historia-europa.ep.eu), consulté le 17.3.2019 : « Dessiner le profil de l’Europe ». ↩
- Le Conseil de l’Europe, organisation inter-gouvernementale de création plus ancienne que les autres institutions européennes, apparait à la fois comme le laboratoire idéologique de l’U.E. et comme son antichambre. Fondé par dix pays (ceux de l’ « Europe des six », moins l’Allemagne, plus le Royaume Uni, l’Irlande, le Danemark, la Suède et la Norvège), il compte aujourd’hui 47 membres (toute l’Europe géographique à l’exception de la Biélorussie, y compris la Russie, la Turquie et les pays du Caucase) ; son siège est à Strasbourg ; son domaine de compétence est essentiellement celui de la démocratie et des droits de l’homme, son « bras armé » étant la Cour européenne des Droits de l’Homme (dite « Cour de Strasbourg »). ↩
- https://europa.eu/european-union/about-eu/symbols/anthem_fr. ↩
- La polyphonie linguistique ne semble cependant pas gêner la Belgique, qui a un hymne dans ses trois langues officielles, plus le wallon. ↩
- Est Europa nunc unita, www.hymnus-europae.at. ↩
- Significativement, l’Union européenne de football possède son « hymne » propre, et c’est celui-ci, et non l’hymne européen, qui est joué à l’occasion des compétitions continentales. ↩
- Déclaration n°52 annexée au traité de Lisbonne (2007). Le drapeau avait été adopté en 1986 par la Communauté économique européenne. ↩
- « Le drapeau européen a-t-il une origine catholique ? », Le Monde.fr , 12/10/2017. ↩
- Nice-Matin, 12/2/2019. ↩
- En France, le mouvement dit des « gilets jaunes », en hiver 2018-2019, a fait grand usage de drapeaux divers, notamment le drapeau tricolore, omniprésent, ou les drapeaux de provinces françaises, mais aussi des drapeaux étrangers (par exemple le drapeau catalan), plus rarement d’emblèmes proprement politiques – drapeau rouge, effigie de Che Guevara ; mais jamais – sauf par dérision et son motif barré d’une croix ; observation personnelle, reportage télévisé BFM TV le 20/4/2019 – le drapeau européen n’a été brandi, même quand la manifestation se voulait européenne (par exemple à Lille, le 2 mars 2019) ; sans doute ce mouvement n’est-il pas statistiquement représentatif de l’ensemble de l’opinion française quant à la question européenne – le caractère absolu de ce dédain n’en est pas moins significatif. ↩
- Respectivement : rtbf.be, 4/6/2008, france24.com, 23/3/2013, LesObservateurs.ch, 3/2/2019. ↩
- « En Ukraine, un mouvement national sous drapeau européen », La Croix, 4/12/2013. ↩
- Cf. (notamment) france24.com, 23/3/2019. ↩
- Respectivement : « En Pologne, manifestation monstre en faveur de l’Europe », LeMonde.fr, 7/5/2016, « Hongrie : manifestation en faveur de l’UE et contre le Premier ministre », leparisien.fr, 21/5/2017, « Roumanie : des manifestants forment un drapeau européen géant pour protester contre leur gouvernement », europe1.fr, 27/2/2017. ↩
- Les rares exemples, dans les pays « du centre », d’utilisation du drapeau européen par une foule procèdent également d’une intention agonistique dans le cadre national ; ils se situent généralement dans un contexte de tensions au sein de la société et en période électorale (Cf. « Allemagne : des milliers de manifestants contre le nationalisme et pour l’Europe », Le Monde, 19/5/2019.) ; son utilisation dans les meetings électoraux notamment est radicalement différente de celle (constante) du drapeau national, qui ne relève pas d’une affirmation antagonique, mais d’une surenchère patriotique. ↩
- Egalement au rang des attributs hautement symboliques de l’Etat-nation (et de l’Etat en général) dont l’U.E. a voulu se doter : une « constitution » (sous la forme d’un traité), qui n’a finalement pas vu le jour, du fait notamment du non au referendum de ratification organisé en France en 2005 ; le traité de Lisbonne de 2007 en a repris le contenu, sans l’étiquette « constitution ». ↩
- Mannheim considère que la mentalité millénariste se conserve « sous sa forme la plus pure et la plus authentique » dans l’anarchisme révolutionnaire (Mannheim 1956 : 87). ↩
- « ‘Il y a le feu à la Maison Europe’, le manifeste des patriotes européens », par « un collectif d’écrivains internationaux » (www.liberation.fr/auteur/19353-un-collectif-d-ecrivains-internationaux), 25 janvier 2019 ; Parmi les signataires : Ismaïl Kadaré, Milan Kundera, Bernard-Henri Lévy, Antonio Lobo Antunes, Adam Michnik, Orhan Pamuk, Salman Rushdie, Mario Vargas Llosa. ↩
- C’est moi qui souligne. ↩
- Centre européen de stratégie politique (Commission européenne), L’histoire européenne : 60 ans de progrès partagé, Bruxelles, 2018. ↩
- Cf par exemple, Apéro Progressistes sur les Elections Européennes – Rouen, 03/04/2019 (https://en-marche.fr/evenements/2019-04-03-apero-progressistes-sur–les–élections-europeennes). ↩
- « Pour le conservatisme, tout ce qui existe a une valeur positive et nominale simplement parce que cela est né lentement et graduellement. » (Mannheim 1956 : 95). ↩
- « L’Union respecte l’égalité des Etats-membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles [… ↩
- Si l’on considère que les deux prérogatives essentielles de l’Etat sont l’exercice de la violence légitime et la capacité de lever (et de dépenser) l’impôt, il est clair que l’U.E. ne détient pas la première, mais qu’elle possède, au moins partiellement, la seconde. Les Etats membres prélèvent l’impôt pour leur propre compte, mais l’Union a son mot à dire quant à la façon dont ils le prélèvent (elle fixe ainsi une limite inférieure aux taux de TVA) et surtout quant au montant prélevé, avec un contrôle des déficits budgétaires. Les Etats doivent soumettre chaque année leur plan de budget à la Commission européenne. Nulle autre union régionale ou instance supranationale n’a évidemment un tel pouvoir. ↩
- Attribution fausse, l’expression ayant déjà été utilisée en 1848 par le journaliste et député Emile de Girardin. ↩
- Pour Victor Hugo, l’union de l’Europe (au XXe siècle) préfigure celle de l’Humanité (aux siècles suivants) ; En 1929, Aristide Briand propose une « union fédérale européenne » devant entrer dans le cadre de la Société des Nations (SDN) ; Trotski (1923) envisage des « Républiques Ouvrières et Paysannes Unies d’Europe » dans une perspective révolutionnaire globale ; Il avait été contredit par anticipation par Lénine (1915), qui considèrait que les Etats-Unis d’Europe seraient une entente de capitalistes européens visant à étouffer le socialisme et protéger les colonies (https://www.marxists.org/français/trotsky/œuvres/1923/06/lt19230630.htm ; https://www.marxists.org/français/lenin/works/1915/08/vil19150823.htm. ↩
- Jacques Attali sur la chaîne LCI, 22/4/19 : « Le grand projet (d’Emmanuel Macron) qui est aussi le mien, c’est-à-dire celui des Etats-Unis d’Europe ». ↩
- R. Mocnik, « Mécanismes idéologiques de la nation comme forme de domination », Communication présentée au colloque « Le destin des nations de l’ex-Yougoslavie », Paris EHESS, 3-4 février 1992 (cf. Gossiaux 1994). ↩
- Pour un essai de contournement de cette aporie, voir Fondation Robert Schuman, Au-delà de l’Etat-nation : Quelle démocratie pour l’Europe ? , synthèse n°2, 2001 ; La thèse soutenue est qu’il faut découpler les notions de démocratie et de souveraineté populaire (cette dernière qualifiée de mythe et de droit illusoire) ; Réfutant les idées de nation européenne ou de peuple européen, le texte met en exergue celle d’une « opinion publique dénationalisée », l’ « association d’individus aux identités divergentes » constituant le fondement de la légitimité démocratique. ↩