Le débat national sur la transition énergétique qui a eu lieu en 2013 montre que la mise en place d’un nouveau paradigme énergétique est une demande forte des citoyens. En réponse aux engagements internationaux pris par la France dans ce domaine, les collectivités territoriales se sont depuis longtemps mobilisées.
Tout un réseau s’est déployé, du niveau européen au niveau local, permettant la mise en œuvre d’actions concrètes : la signature de la convention des maires, la réalisation d’agendas 21 locaux et la définition de PCET ont engendré la diffusion de bonnes pratiques telles que la planification énergétique locale, la rénovation des bâtiments, le développement de filières EnR locales, l’accompagnement des entreprises, la création d’agences locales de l’énergie et du climat, etc. Si l’on souhaite faire de la transition énergétique et climatique un levier de développement économique, la loi de programmation pour la transition énergétique doit soutenir le déploiement de ces politiques locales permettant le développement de nouveaux marchés.
La définition de stratégies énergétiques locales
Depuis les années 90, et notamment la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement, dite conférence de Rio en 1992, des engagements ont été pris par la France aux niveaux international et européen en matière de politique énergétique pour faire face aux enjeux du changement climatique. Ces engagements ont été pris dans le cadre du protocole de Kyoto en 1997 et du « paquet énergie climat » adopté en 2008 par l’Union européenne. Les engagements politiques pour 2030 sont la diminution de 27 % de consommation d’énergie primaire par rapport à un scénario tendanciel, l’atteinte de 27 % d’énergie renouvelable dans la consommation d’énergie globale et la diminution de 40 % de gaz à effet de serre par rapport à 1990.
Un certain nombre de collectivités territoriales ont rapidement compris qu’elles pouvaient faire de la transition énergétique un levier de développement économique pour leurs territoires. C’est ainsi que sans attendre la déclinaison de ces engagements dans les politiques nationales, elles ont commencé à agir : rénovation des bâtiments, développement de filières de proximité d’énergies renouvelables telles que le bois, la géothermie, la méthanisation, développement des transports en commun, choix en matière d’urbanisme (sites constructibles, forme du bâti, prise en compte de l’énergie dans les SCoT et les PLU), etc. Les premiers agendas 21 locaux, porteurs des enjeux du développement durable dans leur ensemble ainsi que les premières agences locales de l’énergie et du climat sont apparus. Un tissu associatif important, soutenu par l’ADEME, s’est également mobilisé autour de ces enjeux.
Parallèlement, les projets de loi nationaux sur l’action publique territoriale sont venus renforcer la possibilité pour les collectivités de conduire des stratégies énergétiques locales.
Partant du constat que la majeure partie des émissions de gaz à effet de serre est liée aux comportements des habitants et au fonctionnement des diverses organisations, privées, publiques, présentes sur le territoire, la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite “loi Grenelle 2”, met en place des outils visant à mobiliser l’ensemble du territoire dans la lutte contre le changement climatique. Elle impose aux collectivités de plus de 50 000 habitants de se doter d’un Plan climat énergie territorial (PCET). De même, la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre prévoit notamment que seront examinées les modalités d’implications des collectivités et de leurs groupements dans le service public de la performance énergétique de l’habitat.
Enfin les lois successives sur la décentralisation permettent la création de véritables institutions locales. Dotées d’un personnel administratif et politique, capables de développer des capacités d’expertise, les collectivités territoriales, d’abord perçues comme un simple relais territorial de l’action de l’État, se voient de plus en plus investies de la stature d’acteurs politiques capables d’un développement autonome et d’une stratégie propre. Dernièrement, en ce qui concerne les questions de l’énergie et du climat, la loi-cadre sur la décentralisation (MAPAM) a fait des régions les organisatrices des modalités de l’action commune des collectivités territoriales et de leurs établissements publics pour l’exercice des compétences relatives au climat, à la qualité de l’air et à l’énergie. Parallèlement, la prise de nombreuses compétences par l’intercommunalité conduit cette dernière à devenir un maillon fort de décision locale en matière d’énergie et de climat : transports publics, habitat, documents d’urbanisme règlementaire (PLUi, SCoT), développement économique.
Les retours d’expériences des collectivités territoriales engagées dans ces démarches depuis les années 90 montrent que la mobilisation politique permet de réunir les acteurs des territoires, qu’ils soient publics ou privés, et de construire ensemble le chemin à parcourir vers un nouveau paradigme énergétique. C’est pourquoi, la réponse aux enjeux énergétiques et climatiques de 2020 et de 2050, découlera de la capacité des territoires à se saisir de ces enjeux et à déployer des politiques publiques locales significatives et cohérentes permettant les conditions d’émergence de nouveaux marchés pour les entreprises.
Une vision territoriale de la transition énergétique soutenue par l’Europe
Consciente de la nécessité d’engager et de renforcer l’implication des collectivités territoriales dans l’atteinte des objectifs énergie climat, la Commission européenne encourage, depuis les années 90, le déploiement de dispositifs locaux.
Dès 1994, elle lança un dispositif de soutien à la création d’agences locales, régionales et insulaires de maîtrise de l’énergie au travers des États-membres. L’Europe appuya la création d’agences portées par quelques 350 autorités locales. La Direction Générale XVII de la Commission (devenue DG Energie) fonda ce dispositif dans le cadre des programmes SAVE, le défendit suivant le principe suivant : “le nouveau paradigme énergétique qui guidera le développement de notre société au cours du XXIe siècle sera basé sur la mobilisation des citoyens et les autorités locales constitueront la clef de voute de cette mobilisation.” Conformément à la définition européenne, les agences locales de l’énergie et du climat sont des organisations indépendantes, autonomes, à but non lucratif qui bénéficient du soutien des pouvoirs publics locaux pour fournir des informations, des conseils et une assistance technique aux utilisateurs d’énergie (pouvoirs publics, citoyens, entreprises, etc.), et contribuer au développement des marchés énergétiques locaux durables.
Par la suite, en 2009, la DG Energie de l’Union européenne lance la Convention des Maires (Covenant of Mayors) pour donner corps aux mouvements territoriaux. C’est le principal mouvement européen associant les autorités locales et régionales dans un engagement volontaire pour l’amélioration de l’efficacité énergétique et l’augmentation de l’usage des sources d’énergie renouvelable sur leurs territoires. Dans un délai d’un an à compter de leur signature, les signataires de la Convention s’engagent à mettre en œuvre des Plans d’action en faveur de l’énergie durable au sein de leur territoire avec l’objectif de réduire les émissions de CO2 d’au moins 20 % d’ici 2020. Cette initiative rassemble aujourd’hui plus de 5 000 signataires. Les signataires représentent des villes de toutes tailles allant des petits villages aux grandes zones métropolitaines comme Londres et Paris.
Enfin, la directive européenne sur l’efficacité énergétique 2012/27/EU, entrée en vigueur le 4 décembre 2012, demande au secteur public de jouer un rôle exemplaire dans la gestion de son patrimoine. Les administrations centrales devront rénover 3 % des bâtiments qu’elles possèdent et occupent. Elles tiendront aussi compte de l’efficacité énergétique dans leurs procédures de marchés publics afin d’acquérir des bâtiments, des produits et des services présentant un bon bilan énergétique. Elles sont poussées à jouer un rôle de création de marché pour les nouvelles technologies, ainsi que pour des services et des modèles d’affaires économes en énergie.
Parallèlement, la politique de l’Europe envers les collectivités vise les financements d’assistances techniques nécessaires pour déployer des programmes et des projets, la mise en réseau des villes pour permettre la diffusion des bonnes pratiques entre elles, le financement de projets de recherche pour tester et diffuser de nouvelles technologies.
Quelles implications concrètes pour les collectivités ?
Face à la complexité et à la technicité des sujets liés à l’énergie, les collectivités territoriales ont souvent délégué leur compétence à des structures intercommunales (les syndicats d’énergie entre autres) et/ou leur gestion directe à des opérateurs énergétiques historiques disposant alors d’une mission de service public. La confiance – compréhensible et légitime – que les élus ont placée en leur délégataire privé et public, les a éloignés de leur rôle majeur sur cette question. Ainsi pendant longtemps, la question de l’énergie a été l’apanage des pouvoirs centraux de l’Administration et de grands opérateurs historiques nationaux.
En raison de l’évolution des marchés de l’énergie sous l’impulsion des directives européennes de libéralisation des marchés, de l’évolution préoccupante des prix de l’énergie à la hausse, de la demande pressante des électeurs sur les enjeux de l’énergie et du climat et de la pertinence d’une action territoriale pour atteindre les objectifs, les collectivités réinvestissent le secteur de l’énergie. Elles se réapproprient leur rôle à plusieurs niveaux.
Elles peuvent tout d’abord agir en tant que consommatrices d’énergie sur leur propre patrimoine, qu’il soit bâti (équipements publics), non bâti (mobilier urbain et éclairage public), roulant (flotte de véhicules). Cette consommation patrimoniale ne doit pas omettre les services que les collectivités apportent aux habitants du territoire et dont on oublie souvent l’impact énergétique et climatique (service de portage de repas à domicile, entretien de l’espace public, etc.).
Elles peuvent être productrices d’énergie au travers de l’implantation de réseaux de chaleur biomasse par exemple ou par le recours à des installations solaires thermiques pour produire l’eau chaude sanitaire de crèches municipales. Des collectivités investissent également dans la production d’énergie via la création de SEM ou de SCIC.
Elles sont distributrices d’énergie puisque les réseaux de distribution d’énergie (électricité, gaz naturel et de chaleur) sont sa propriété dont elle délègue la gestion, dans la majorité des cas, à un opérateur public ou privé dans le cadre d’une délégation de service public. À ce niveau, les collectivités territoriales peuvent engager leurs opérateurs ou leurs syndicats dans une approche de développement et d’entretien de réseaux favorisant la maîtrise de l’énergie et l’intégration des énergies renouvelables.
La collectivité a la charge de l’aménagement de son territoire. Elle le façonne grâce à des documents stratégiques et programmatiques à l’instar des Programmes locaux de l’habitat (PLH) ; elle y impose des orientations d’aménagements et de zonage (Plan local d’urbanisme aux échelles communales et intercommunales, Schémas de cohérence territoriale) et elle conduit ou accompagne des projets d’urbanisme opérationnel (du lotissement à l’éco-quartier).
Enfin, eu égard à sa position, la collectivité revêt un rôle d’animation du territoire : elle doit être incitatrice, mobilisatrice et démonstratrice et observer une posture de référence vis-à-vis des acteurs et décideurs de son territoire ainsi que des habitants. À ce titre, elle a pour principal objectif de porter politiquement la question de l’énergie et du climat sur le territoire, c’est-à-dire d’animer le territoire.
Au regard de ses compétences, de la responsabilité directe ou indirecte qu’elle a en matière de consommation d’énergie et de poids carbone au travers de ses politiques publiques, de la proximité qu’elle observe auprès de ses administrés, la collectivité territoriale est celle par laquelle notre société doit évoluer vers le nouveau paradigme énergétique. C’est elle qui va impulser, lancer les dynamiques locales, montrer l’exemple pour mieux mobiliser et contribuer à insinuer un nouveau mode de consommer. Le projet de loi de programmation sur la transition énergétique doit faciliter l’action des collectivités sur ce sujet.
De la nécessité d’un conseil public indépendant et d’une ingénierie territoriale sur les questions énergie-climat
Les politiques publiques, et notamment le Plan de rénovation énergétique de l’habitat, ont donné des objectifs ambitieux en termes de rénovation énergétique des logements, d’utilisation des énergies renouvelables. Les citoyens, les collectivités et les entreprises sont désormais fortement sollicités par des bureaux d’études, des fournisseurs d’énergie, des entreprises de service afin de mettre en œuvre des actions liées à la maîtrise de l’énergie ou à la production d’énergie renouvelable. Face aux multiples propositions commerciales et techniques auxquelles ces acteurs sont confrontés, il est indispensable que les collectivités disposent d’un conseil public indépendant sur leurs territoires. Les missions de points rénovation info-service et des espaces info-énergie de l’ADEME, souvent abrités dans des structures telles que les Agences locales de l’énergie et du climat, ont besoin à ce jour d’être renforcées.
Parallèlement, la collectivité, dans le cadre de sa mission d’animation du territoire, doit mettre en lien particuliers, professionnels et pouvoirs publics afin de créer de nouveaux marchés. Son rôle est bien ici de susciter la demande et de faire progresser l’offre. La création de plateformes de la rénovation énergétique de l’habitat, qui sont en cours de déploiement dans les territoires ayant répondu aux appels à manifestation d’intérêt de l’ADEME et des régions, est un bon exemple de ce que peuvent effectuer les collectivités : elles agissent sur la montée en compétence des professionnels (bureaux d’études, architectes, maîtrises d’œuvre, etc.) tout en œuvrant à l’accroissement de la demande (introduction de critères énergétiques dans les cahiers des charges des collectivités, aides aux particuliers, sensibilisation des syndics de copropriété, etc.).
Dans ce contexte, beaucoup de collectivités se dotent d’une Agence locale de l’énergie et du climat (ALEC) comme véritable outil de définition, de mise en œuvre et d’évaluation de leur politique en matière d’énergie et de climat. En France, sous l’impulsion de collectivités locales engagées, avec le soutien de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie et de l’Union européenne, se sont développées plus d’une trentaine d’Agences locales de l’énergie et du climat. Créées sous forme associative, sur le fondement de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, elles regroupent en leur sein l’ensemble des acteurs de la transition énergétique à savoir des collectivités territoriales, des organismes professionnels, des acteurs du monde de l’énergie, de l’acte de construire et d’aménager, des bailleurs sociaux, des associations locales, etc.
Dans les domaines de l’efficacité énergétique, des énergies renouvelables et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, les Agences locales de l’énergie et du climat ont pour missions principales :
- d’informer, de sensibiliser et de conseiller, de manière indépendante et objective, les consommateurs, les acteurs publics et privés ;
- de participer à la définition des stratégies énergétiques territoriales et à la transition énergétique des territoires ;
- de contribuer, directement ou indirectement, au perfectionnement des maîtres d’ouvrage, des professionnels de tous secteurs économiques et des agents des administrations et des collectivités ;
- de diffuser et d’enrichir l’expertise des territoires en animant et en participant à des réseaux européens, nationaux et locaux ainsi qu’en expérimentant des solutions techniques, des méthodologies et autres démarches.
Afin de se réapproprier la question de l’énergie, les collectivités territoriales mutualisent ainsi un pôle d’expertise sur le sujet. Cette mutualisation des coûts et des compétences entre plusieurs collectivités permet, entre autre, l’implication des plus petites communes dans la démarche. En outre, une structure ad hoc peut légitimement rassembler et s’adresser à l’ensemble des acteurs (collectivités, entreprises, grand public, chambres consulaires, associations), ce que peut difficilement faire une collectivité en direct et a fortiori un opérateur privé. Il existe peu d’autres lieux où différents acteurs concernés par les questions d’énergie et de climat peuvent échanger sur la situation du territoire, les actions à mettre en œuvre, le retour d’expériences, etc. L’ALEC est donc dans une position intermédiaire entre la collectivité et les maîtrises d’œuvre.
Les collectivités locales, pour fonder leur politique territoriale de l’énergie, font face à des besoins inédits d’expertise et de compétences nouvelles, mais dans un contexte de contraction budgétaire, de renforcement normatif et de mutations de l’accompagnement des services de l’État. Il est donc opportun que la collectivité s’interroge sur l’ingénierie dont elle dispose. En effet, les collectivités participent à la constitution d’outils partenariaux d’accompagnement : Agences locales de l’énergie et du climat, SEM/SPL, ELD, agences régionales, sociétés coopératives, en lien avec les autres niveaux de collectivités et des acteurs divers : consulaires, CAUE, agences d’urbanisme, agences de la qualité de l’air, syndicat d’énergie, bailleurs sociaux, ADEME, ANAH, ADIL, acteurs privés et les citoyens eux-mêmes. Comment se constitue le nouveau paysage de l’ingénierie publique des politiques climat-énergie ? Comment garantir la complémentarité entre les différents outils ? Quel pilotage par les collectivités locales ? Quelle gestion prévisionnelle des compétences organiser ?
Il n’y a pas de solution unifiée qui verrait une normalisation nationale des différents outils, c’est plutôt la capacité de la collectivité à se saisir de ces outils, à les mettre en cohérence et à les mutualiser entre plusieurs collectivités, qui permet la rationalisation, la mobilisation et la pertinence de l’ingénierie publique locale sur les sujets de l’énergie et du climat.
Le débat national sur la transition énergétique, organisé de janvier à avril 2013 en préparation du projet de loi de programmation sur la transition énergétique, a mobilisé 170 000 personnes dans les territoires autour de près de 850 évènements. La question de l’énergie est l’une des préoccupations fortes des citoyens : la précarité énergétique touche de plus en plus de ménages aux revenus très faibles et les acteurs économiques observent une montée de leurs charges énergétiques dans leurs comptes de résultat. La situation devient également préoccupante pour les territoires ruraux isolés, fortement dépendants de la voiture ainsi que pour les collectivités locales au patrimoine bâti souvent surdimensionné et donc énergivore. La thématique de l’énergie, associée à celle du changement climatique, prend désormais une place importante sur le devant de la scène politique.
Si l’on souhaite répondre aux attentes des citoyens et faire de la transition énergétique un levier de développement économique pour les territoires, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte doit servir de levier pour accélérer le déploiement de politiques énergétiques locales. Le rôle de l’État dans ce nouveau paradigme énergétique sera alors de garantir la sécurité et l’égalité nationale d’un système décentralisé ainsi que sa cohérence avec les politiques européennes de l’énergie.
Danielle Auroi, députée du Puy-de-Dôme, présidente de la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, présidente de FLAME, Fédération des agences locales de l’énergie et du climat