L’AMF est à l’origine d’un projet de « communes nouvelles » permettant aux villes qui le souhaitent de se regrouper et d’unir ainsi leurs forces, de mutualiser leurs compétences et leurs ressources afin d’améliorer leur capacité d’action mais aussi leur représentation auprès des autres collectivités et de l’Etat.
Revue Politique et Parlementaire – Dans le cadre de la nouvelle organisation territoriale vous défendez le rôle essentiel de la commune. Que pensez-vous du découpage régional et comment, selon vous, devraient donc se situer les différentes strates de l’organisation administrative de nos territoires les uns par rapport aux autres : communes, intercommunalités, départements, régions ?
Jacques Pélissard – La réforme territoriale devrait davantage s’appréhender au regard de l’organisation des compétences et des moyens pour répondre aux besoins des habitants sur les territoires et non pas seulement s’attacher au nombre des régions, des départements, à la taille des intercommunalités, etc. Il est fondamental d’en apprécier tous les aspects concrets le plus en amont possible et d’en évaluer les coûts et les gains, au moment où les collectivités connaissent déjà et vont connaître de façon continue une baisse drastique de leurs dotations d’État.
La diminution du nombre des régions pose la question de l’éloignement des territoires infra et des populations, dès l’instant où l’on envisage une extension considérable du territoire des communautés de communes, lesquelles devraient regrouper au moins 20 000 habitants. Ceci n’a pas de sens dans les zones peu denses. Si l’on s’achemine vers des régions regroupées de grande surface, l’espace départemental doit assumer une vocation de solidarité territoriale, mais aussi de mise en œuvre d’un certain nombre de politiques publiques notamment dans le domaine social.
La nouvelle architecture de l’organisation territoriale, telle que proposée, ne s’appuie pas suffisamment sur les dynamiques locales, et notamment celles des communes et de leurs intercommunalités. Le projet de “communes nouvelles” porté par l’AMF est un vecteur solide de réorganisation soit pour fédérer les communes – notamment les plus petites – afin de renforcer leurs compétences et leurs moyens, soit pour aller au bout de la logique de regroupement intercommunal.
RPP – Dans cette perspective, quel rôle voyez-vous plus particulièrement pour les métropoles et les départements ? Les départements sont-ils condamnés à disparaître ? Que pensez-vous du report des élections cantonales et régionales ?
Jacques Pélissard – Il y a une réelle cohérence à regrouper les politiques dites de proximité (action sociale, infrastructures éducatives, cultures, patrimoine…) au sein du bloc communal dans une optique d’efficacité, de lisibilité et de responsabilité de l’action publique.
À court terme, il n’est pas réaliste de dissoudre les départements alors qu’ils assurent des services importants en direction des populations et emploient de nombreux agents. Le gouvernement l’a d’ailleurs bien compris. Une réorganisation est cependant envisageable à moyen terme. Dans l’hypothèse d’une éventuelle disparition des conseils départementaux, la gouvernance de l’espace départemental pourrait d’ailleurs être confiée collectivement aux présidents d’intercommunalité.
Quant à la question des compétences exercées par les conseils généraux, elle pourrait être ainsi répartie : les prestations sociales et la sécurité civile, par exemple, pourraient revenir à l’État ; d’autres compétences pourraient être attribuées aux régions (comme l’économie, certaines routes,…) et les communes et les intercommunalités pourraient se voir chargées, dès lors qu’elles bénéficieraient des financements correspondant – par transfert de compétences propres ou par délégations – de compétences comme les collèges, l’action sociale facultative, le sport, la culture…
S’agissant des métropoles, celle de Lyon est une référence en termes de rationalisation des niveaux territoriaux et de recherche d’une plus grande mutualisation des compétences et des moyens. Sa création entraîne toutefois de nombreuses modifications : transferts et réorganisations très importants de personnels, de biens, de moyens financiers et fiscaux… Les autres métropoles doivent également pouvoir bénéficier, au-delà des dispositions prévues par la loi du 27 janvier 2014 et sur une base volontaire, de transferts des départements. Les impacts financiers mais aussi en termes de ressources humaines devront être anticipés.
RPP – Les dotations des collectivités territoriales vont être globalement amputées de 11 à 12 milliards d’euros supplémentaires d’ici 2017. Comment les communes vont-elles faire face à leurs responsabilités ? Comment vont-elles pouvoir continuer à défendre l’attractivité des territoires et continuer à intervenir sur le plan national comme sur le plan international pour les plus importantes d’entre elles ?
Jacques Pélissard – L’État ne peut diminuer d’un côté ses dotations et, de l’autre, stimuler la dépense publique locale par des politiques non concertées ou des transferts de charges non assumés. L’État doit changer de logiciel !
Le dialogue avec les collectivités doit être rénové : l’AMF demande la création d’une instance nationale de discussion et de négociation entre l’État et les représentants des collectivités territoriales sur les politiques nationales et européennes ayant un impact sur les collectivités locales (dotations financières, rythmes scolaires, fonction publique territoriale…). Elle pourrait être créée sans dispositions législatives.
Les collectivités territoriales assument plus de 70 % de l’investissement public civil en France, et fournissent 50 % de l’activité du BTP. Les communes et EPCI sont effectivement en première ligne pour maintenir l’attractivité du territoire puisqu’ils réalisent près de 64 % des investissements publics locaux.
Or c’est quand même le bloc communal qui va contribuer le plus avec 2 milliards d’euros par an sur les 3,67 annuels prévus jusqu’en 2017.
50 Md€ d’économies ont été prévus au total. Comment l’État calcule-t-il l’effort de chacun ? Les collectivités locales sont amputées d’une part de leur DGF déjà gelée depuis trois ans, tandis que l’État ne fait que ralentir ses dépenses. Quelle est l’opération arithmétique qui additionne une baisse de recettes pour les collectivités locales (11 Md€) et un ralentissement des dépenses pour tous les autres (39 Md€) ?
On se demande même si ce n’est pas les collectivités à elles toutes seules qui vont réduire le déficit de l’État puisque la loi de programmation des finances publiques annonce une baisse des dépenses de l’État de 11,5 Md€ à l’horizon 2017, soit presque le montant de l’amputation de la DGF !
En cumulé, la contribution des collectivités locales à la réduction du déficit de l’État s’élèvera à 28 Md€ d’ici 2017 : c’est un an et quatre mois de recettes d’investissement et autant de moins pour les investissements.
Le bloc communal est, de loin, le plus ponctionné avec une contribution de 15,5 Md€, soit une année de recettes d’investissement : un an sans investir ? Il faut donc penser aux conséquences sur l’économie nationale d’une amputation aussi violente et rapide des recettes des collectivités locales car une baisse de 10 % des dépenses d’équipement des collectivités correspond à 0,2 point de croissance en moins.
La gestion de proximité et l’intérêt communautaire garantissent la diffusion du développement économique et social à tous les territoires. Pour répondre à votre question, la diminution drastique des concours financiers ne permettra pas aux communes et intercommunalités de continuer à investir et à assurer les services publics locaux qu’elles assurent actuellement.
Les investissements des collectivités locales seront réduits car l’augmentation de la fiscalité locale ne pourra être envisagée ni le recours à l’emprunt qui annihilerait de fait la réduction des 11 milliards dans les critères de Maastricht. Des choix devront être faits par les élus et c’est le « vivre ensemble » qui est remis en question par cette baisse sans précédent.
Il existe un risque systémique d’effondrement de l’investissement local que l’État refuse d’envisager. Ce risque aurait dû être mesuré au travers d’une étude d’impact qui n’a pas été faite, puis d’une concertation avec les élus de terrain.
Des échanges approfondis et continus avec les acteurs concernés permettraient de définir, collectivement, une stratégie d’ensemble pour affronter la crise économique. Le gouvernement se prive ainsi d’un apport considérable en ne tenant pas compte des réalités et expériences locales.
Ainsi l’AMF continue de demander qu’une analyse chiffrée permette de vérifier que la réduction drastique des concours financiers aux collectivités locales ne finisse pas par coûter plus cher au pays en termes de croissance et de chômage.
Tout cela est d’autant plus important que nos collectivités territoriales sont des acteurs déterminants pour la transition énergétique.
RPP – Nos territoires, et par conséquent les communes elles-mêmes, sont effectivement concernés par la transition énergétique. Et, s’agissant d’un élément essentiel de leur attractivité, comment pourrait-on satisfaire l’aspiration des territoires à gérer eux-mêmes leur politique énergétique ?
Jacques Pélissard – Chauffage, éclairage, communications, mobilité, construction, déchets/recyclage, achat (filières locales ou courtes) etc. À l’échelle de la commune ou de l’intercommunalité, pratiquement chacune de nos actions ou décisions a un impact direct ou indirect sur l’énergie. Cela signifie que nous avons de nombreux moyens d’intervenir sur notre “impact énergétique”.
De fait, l’engagement des collectivités locales en faveur de ces sujets est ancien et constant. Il s’inscrit dans des réflexions locales plus globales en faveur du climat et du développement durable. Les communes et intercommunalités ont également un rôle important à jouer en matière de sensibilisation des habitants aux enjeux de maîtrise de l’énergie, notamment pour prévenir la précarité et contribuer à structurer des filières économiques.
C’est d’ailleurs pour l’AMF un des enjeux majeurs de la transition énergétique dans les territoires que de faciliter l’implication des communes et intercommunalités dans le développement des énergies renouvelables et de renforcer les retombées économiques locales tout en préservant la péréquation tarifaire nationale, véritable outil de solidarité entre territoires urbains, ruraux et ultramarins. Concernant les énergies renouvelables, on peut en effet regretter qu’en France, les retombées économiques des ENR sur les communes ne soient pas plus importantes.
Ainsi, dans sa contribution officielle au débat national sur la transition énergétique, l’AMF avait souligné l’opportunité d’une bonification des tarifs d’achats pour les initiatives des collectivités en matière d’ENR, conditionnée par un fléchage de la ressource vers la mise en œuvre des politiques de la transition énergétique (rénovation thermique, efficacité énergétique, lutte contre la précarité énergétique…). Cette bonification devrait permettre de valoriser les projets de développement énergétique local portés par les collectivités, lesquels sont appuyés parfois par des fonds citoyens.
La recherche de “l’autonomie énergétique” des collectivités est, en l’état des dispositifs de soutien au développement des ENR (reposant sur la CSPE fortement déficitaire et perçue auprès des consommateurs d’électricité), difficilement encourageable : en termes d’égalité déjà car tous les territoires n’ont pas les mêmes possibilités et en termes économiques aussi car cette autonomie est difficilement conciliable avec le maintien de la péréquation des tarifs et d’une égale qualité de desserte partout.
En revanche, le développement des ENR paraît particulièrement judicieux lorsqu’il s’inscrit dans le cadre de projets d’économie circulaire : utilisation des déchets pour produire du gaz, du chauffage, de l’électricité. Et, lorsqu’il s’inscrit dans un projet plus global de la collectivité en faveur de l’environnement ou du climat. Elle doit alors être le pendant d’actions d’efficacité énergétique.
Le texte de loi sur la transition énergétique et la croissance verte comporte des points positifs. On peut noter la reconnaissance du rôle essentiel du bloc local dans la transition énergétique avec la création et l’attribution d’une compétence d’autorité organisatrice de l’énergie aux EPCI (ayant réalisé un plan climat air-énergie territorial) ; des perspectives intéressantes pour les communes et EPCI dans le domaine de l’hydroélectricité (mais appelant une vigilance renforcée sur les textes d’application) ; la suppression de l’obligation pour les villes de faire un plan climat (transférée aux EPCI) et l’obligation aux porteurs de projets d’énergie renouvelable de proposer aux collectivités sur le territoire desquelles le projet est implanté, de souscrire pour la part du capital disponible.
Par contre, d’autres mesures, par leur complexité de mise en œuvre et/ou leur caractère inflationniste, sont moins acceptables et pourraient s’avérer contre productives. Il s’agit en particulier de nouvelles obligations de réaliser des études et des travaux d’isolation à chaque intervention lourde en toiture ou en façade de bâtiments ; de l’introduction d’objectifs de tri et de recyclage trop ambitieux au regard des capacités de débouchés possibles par exemple.
Il serait préférable, pour conforter et accompagner le rôle majeur des collectivités pour la transition énergétique des territoires, que les dispositions législatives s’attellent à ajuster les objectifs en prenant en compte les moyens disponibles. En tout état de cause, il est essentiel que ce texte important n’aboutisse pas finalement à alourdir encore davantage la somme des normes s’imposant aux collectivités (notamment en termes d’études à réaliser), au détriment de leur action.
Jacques Pélissard, président d’honneur de l’Association des maires de France, député du Jura