La défiance envers les médias ne cesse de progresser. Le succès du discours sur leur absence d’indépendance et l’essor des réseaux sociaux y sont pour beaucoup. Analyse d’Adrien Rouvet, journaliste et éditeur.
Les médias n’ont pas bonne presse. Une enquête Ipsos publiée le 5 juillet dernier le confirme. Ainsi, près d’un Français sur deux pense que les médias véhiculent fréquemment des fausses informations.
Les résultats de cette enquête n’ont rien de surprenant au regard du climat d’hostilité qui règne à l’égard des journalistes. Des néologismes injurieux sont entrés dans le langage courant. On vitupère contre les ‘‘journalopes’’ et les ‘‘merdias’’. Et parfois, les injures s’accompagnent de violences physiques.
Le procès qui leur est fait repose sur plusieurs chefs d’inculpation. Soit les journalistes en disent trop, soit pas assez. Tantôt bavards, tantôt mutiques. Lorsque certains médias diffusent ad nauseam les images des violences commises par des « gilets jaunes », on leur reproche d’en faire trop. Dans le même temps, on dénonce leur silence sur certains sujets…
Une indépendance mise en doute
Rendre visible ce que le pouvoir peut être tenté d’occulter, telle est la noblesse du journalisme. Mais faute d’indépendance, les journalistes ne joueraient plus ce rôle. En effet, d’après le baromètre Kantar réalisé en janvier dernier, seuls 24 % des Français considèrent qu’ils résistent aux pressions des partis politiques et du pouvoir.
Affirmer qu’ils sont bâillonnés relève du fantasme complotiste.
Toutefois, il serait naïf de prétendre que les rédactions disposent d’une entière liberté dans le traitement de l’actualité.
Fondateur de Marianne, Jean-François Kahn estime que l’indépendance des journalistes a progressé au cours de ces dernières décennies : « J’ai vécu, dans les années 1960 et 1970, y compris à l’Express, dirigé par Jean-Jacques Servan-Schreiber (j’en fis l’expérience à l’occasion de la guerre du Vietnam et de la guerre des Six-jours), des cas de censure, d’occultation, de falsification et de manipulation qui seraient inconcevables de nos jours »1. Il poursuit : « Dans un quotidien du soir, aujourd’hui disparu, le récit d’une manifestation comme celle qui se solda par les morts du métro Charonne, que j’étais censé avoir couverte, pouvait être finalement dicté par le ministre de l’Intérieur ». Un témoignage édifiant.
Quid de l’indépendance des médias par rapport aux grandes puissances financières ?
Pour Aude Lancelin, ex-directrice du Média, les actionnaires influent inévitablement sur la ligne éditoriale des médias dont ils sont propriétaires. Selon elle, c’est faire preuve de naïveté que de soutenir le contraire : « Ainsi les actionnaires de médias, Bernard Arnault, Xavier Niel ou Patrick Drahi par exemple, seraient donc les seuls actionnaires, tous secteurs confondus, à n’attendre aucun retour sur investissement d’aucune nature, et ce en dépit d’injections substantielles de fonds dans une activité notoirement déficitaire »2. Quoiqu’il en soit, mesurer l’indépendance d’un média relève de la gageure. Comment le public peut-il avoir connaissance des sujets délibérément passés sous silence ? Peut-on compter sur les journalistes pour qu’ils nous fassent part des pressions qu’ils subissent ? Il semble peu probable, pour diverses raisons, que les membres d’une rédaction fassent publiquement l’aveu de leur manque d’indépendance…
La concurrence des réseaux sociaux
Si Internet demeure la source d’information la moins crédible aux yeux des Français, l’expansion des réseaux sociaux nourrit la mise en cause des médias traditionnels.
Bien évidemment, la frontière entre les journalistes et les réseaux sociaux n’est pas étanche.
Les rédactions utilisent au quotidien ces derniers, en particulier avec la pratique du live tweet.
Toujours est-il que l’émergence des réseaux sociaux a bouleversé notre rapport à l’information, désormais diffusée massivement et à une vitesse déconcertante. À vrai dire, nous croulons sous les notifications.
Le succès des réseaux sociaux réside notamment dans le fait qu’ils offrent à tout un chacun la possibilité de réagir à l’actualité. Là où les médias traditionnels semblent être réservés à un cercle fermé, l’agora numérique nous accueille à bras ouverts.
D’aucuns vont jusqu’à dire que les internautes sont devenus producteurs d’information. Mais c’est aller vite en besogne. Car, n’en déplaise à certains, on ne peut pas mettre sur le même plan l’information et l’expression d’une opinion.
Non, une réaction sur Twitter, si virale soit-elle, n’a pas la même valeur qu’une enquête journalistique. Non, l’échange d’invectives n’est pas un débat. Non, le complotisme, auquel les réseaux sociaux offrent une caisse de résonance sans précédent, n’est pas un scepticisme. Bien souvent, il n’est qu’un dogmatisme qui avance masqué.
Nul ne peut nier que les réseaux sociaux facilitent la prolifération des fake news. Un phénomène que les pouvoirs publics tentent de juguler. En octobre 2018, plusieurs géants du numérique ont signé, sous l’égide de la Commission européenne, un Code de bonnes pratiques contre la désinformation. En janvier dernier, Bruxelles a dressé un bilan d’étape. Celui-ci fait état, notamment, des efforts réalisés par certains signataires en matière de suppression des faux comptes.
De son côté, la France a légiféré fin 2018, avec la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information. Mesure phare de ce texte, la création d’une action judiciaire en référé pour faire cesser la circulation de fausses nouvelles. Plusieurs questions demeurent ouvertes. Peut-on interdire une opinion en raison de sa fausseté ? Pourquoi cette loi se focalise-t-elle sur la désinformation électorale ?
Une chose est sûre : diaboliser les réseaux sociaux ne permettra pas de restaurer la confiance dans les médias traditionnels.
Adrien Rouvet
Journaliste et éditeur dans une maison d’édition juridique
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