Le ministère de l’Intérieur vient de publier un rapport explosif sur les Frères Musulmans[1]. À quand la diffusion d’études semblables sur les autres mouvements islamistes actifs en France ?
Un précédent rapport publié en 2018 par la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI), montre en effet qu’il n’y a pas un, mais quatre mouvements islamistes qui font courir à la France le risque de l’établissement d’une «contre-société sur le territoire national»: les Frères Musulmans, les salafistes, le Tabligh et les Turcs.
Les quatre militent, ouvertement ou secrètement, pour l’instauration de la charia en France, et pour le retour du califat mondial.
Et voici ce que chacun d’eux a de spécifique.
Le Tabligh
Le célèbre prédicateur salafiste Eldjazaïri affirme que les tablighis ont converti l’Europe et l’Amérique. Et le rapport de la DGSI confirme: le Tabligh a été «l’acteur majeur et presque exclusif de la “réislamisation” des populations immigrées musulmanes depuis 1970 et qui s’est accélérée dans les années 1990.» Ce sont en effet les tablighis qui ont islamisé les quartiers en France, surtout dans le nord de Paris[2].
Ce qui les rend redoutablement efficaces est leur vision du prosélytisme comme d’un «djihad» pour approcher le retour du califat. C’est pourquoi chacun de leurs membres est capable d’accepter toutes les humiliations, toutes les souffrances pour radicaliser une seule famille musulmane[3]. Ils forment ainsi une immense armée de prédicateurs qui, dans le monde entier, vont de porte en porte, chacun offrant 3 jours par mois, 40 jours par an[4]. Marchant deux à deux, ils harcèlent les musulmans pour les convaincre d’aller à la mosquée et de faire du prosélytisme. Ce qu’ils disent dans les maisons est secret. Mais les résultats sont éclatants.
Les salafistes
Les salafistes mettent leur point d’honneur à obéir à Mahomet et à l’imiter, collectionnant les hadiths qui compilent ses recommandations et indiquent avec quel pied il se levait et avec quelle main il mangeait, et avec quel pied il allait faire ses besoins, et dans quelle position il les faisait, et mille autres détails de ce genre.
Les salafistes sont financés par les Saoudiens qui sont des salafistes et qui, depuis des années, financent les djihadistes (qui sont aussi des salafistes).
Les Frères Musulmans («Musulmans de France», ex-UOIF)
Comme les salafistes, les Frères Musulmans se réclament de l’ouléma radical Ibn Taymiyya qui commande de faire le djihad contre les chiites, les druzes, les alaouites et les athées, et contre les chrétiens et les juifs non dhimmis.
Les Frères ont été fondés dans le but de ramener le califat à l’existence en faisant régner la charia. Et le règne de la charia commence par l’exercice du pouvoir par les sunnites. Or ni la France ni aucun pays d’Europe ne sont gouvernés par des sunnites. Au contraire, ces pays ont tous à leurs têtes des gens appartenant à une catégorie contre laquelle Ibn Taymiyya dit de faire le djihad. Et donc, les Frères font le djihad pour s’emparer du pouvoir. C’est ce que montre le rapport publié par Bruno Retailleau ; c’est ce que montrait déjà, dix ans plus tôt, le livre de l’ex-Frère Musulman Mohamed Louizi, documents à l’appui[5].
Certes, les Frères cachent leurs buts et pratiquent la taqiya. Ainsi, en 2015, Tareq Oubrou a condamné les attentats contre Charlie-Hebdo et l’Hypercasher. Mais peu après, il a enregistré une conférence dans laquelle il appelait à faire le «djihad physique» contre les chrétiens et les juifs. Il publia la vidéo en croyant naïvement que seuls les arabophones islamistes comprendraient ses allusions[6].
Actuellement, c’est surtout le Qatar qui finance les Frères Musulmans[7]. Et sa chaîne de télévision al-Jazeera a fait de leur mentor, Youssef Qaradawi, une star mondiale. Al-Jazeera a transmis les appels de Qaradawi à tuer les apostats et à commettre des attentats-suicides en Israël, et ses annonces d’un génocide des juifs, prédiction autoréalisatrice. Elle a également transmis ses appels à châtier les caricatures de Mahomet par des «Jours de colère» à l’échelle mondiale. Le résultat: des massacres de centaines de chrétiens au Pakistan et au Nigeria.
Sur la même chaîne, Qaradawi a promis le retour du califat en Europe sans violence, par le biais de la démographie et des élections. Pour hâter cela, il a appelé les musulmans à émigrer en Occident et à voter pour ceux qui feraient avancer la charia.
Cela concorde avec la stratégie de la Confrérie telle que l’a définie son fondateur, Hassan al-Banna : un gouvernement porté au pouvoir par un putsch ou des élections, et qui impose la charia au pays par la force (c’est-à-dire à coups de châtiments corporels). Puis se livre à une série d’invasions pour soumettre et islamiser les autres peuples:
«Nous voulons le “gouvernement islamique” qui mènera ce peuple aux mosquées et portera les gens à se convertir à l’islam, comme l’ont fait les compagnons du Prophète d’Allah, Abou Bakr et Omar autrefois. Nous travaillerons à faire revivre le gouvernement islamique sous toutes ses formes et à forger l’État islamique sur la base de ce gouvernement.»
«Et nous voulons, après cela, annexer toute partie de notre Patrie islamique que la politique occidentale a divisée… et tout empan de terre où un musulman dit : “Il n’y a de Dieu qu’Allah”, tout cela est notre grande Patrie que nous voulons libérer et sauver, annexant ses morceaux les uns aux autres[8].»
Des phrases terribles et sanglantes : les califes Abou Bakr et Omar ont imposé l’islam en Arabie et dans les pays voisins en massacrant des dizaines de milliers de personnes à la fois, brûlant des hommes par le feu, vendant leurs femmes et enfants, etc.
Les Turcs
Le mouvement islamiste turc partage les idées des Frères Musulmans. Mais contrairement à eux, il est nationaliste et défend un califat turc.
En France, le mouvement islamiste turc est celui qui grandit le plus rapidement et construit le plus de mosquées, et les plus grandes. Ces mosquées et leurs centres culturels attirent beaucoup de fidèles non-turcs par leur gigantisme, leur luxe et leur confort.
Derrière cela il y a, certes, l’activisme du président Erdogan, mais aussi l’argent de Tamim, l’émir du Qatar. L’alliance des deux hommes est très étroite, notamment à l’étranger. Ensemble, ils ont aidé Joulani (Ahmed al-Charaa) à dorer son image et à devenir le maître de la Syrie. Et ensemble, ils travaillent à islamiser la France comme ils ont travaillé à islamiser la Syrie.
Et alors, en quoi diffèrent-ils ?
Les Frères Musulmans et les islamistes turcs font de la politique: ils cherchent à arriver au pouvoir par les élections en vue d’imposer le califat par en-haut. Les tablighis et les salafistes travaillent à pousser les gens à appliquer la charia, et ils ne font pas de politique.
En quoi diffèrent ces 4 mouvements qui obéissent aux mêmes prescriptions, aux mêmes textes, et ont tous pour but l’instauration de la charia et le retour du califat?
Au fond? En rien. La preuve, aucun d’eux ne se met jamais du côté de l’État quand un autre est impliqué. Au contraire. Ils se battent côte à côte dans leur combat contre la société française pour faire avancer la charia – voile, halal, prières publiques, interdiction de la libre-expression sous peine de mort. Cette sentence stipulée par la charia a été appliquée au moins trois fois en France: aux journalistes de Charlie Hebdo en 2015 ; au professeur John Dowling en 2018 ; et au professeur Samuel Paty en 2020.
Comme le dit le rapport de la DGSI: ces quatre mouvements sont rivaux, mais il y a entre eux «un pacte tacite de non-agression… Dans des dynamiques différentes, ces mouvements ont pour dénominateur commun la volonté d’opérer un changement profond dans les rapports des Français de confession musulmane à la citoyenneté, à la démocratie et au vivre-ensemble[9].»
Dans ce cas, il ne sert à rien de se focaliser sur les seuls Frères Musulmans, car cette solidarité fait des quatre mouvements une série de vases communicants dont aucun ne peut être vidé sans les autres.
Lina Murr Nehmé
Historienne et politologue
Photo : Antonin Albert/Shutterstock.com
[1] Ministère de l’Intérieur, «Frères musulmans et islamisme politique en France», 5/5/2024.
[2] Lina Murr Nehmé, «L’Islamisme et les Femmes», Salvator 2018.
[3] Gilles Kepel, «Les banlieues de l’Islam», Le Seuil, 1987.
[4] Agnès de Féo, «Le Tabligh, un islam tranquillement conquérant», L’Asie du Sud-Est, 2020.
[5] Mohamed Louizi: «Pourquoi j’ai quitté les Frères Musulmans», Michalon, 2016.
[6] Voir le contenu de la conférence et les explications dans: Lina Murr Nehmé, «Tariq Ramadan, Tareq Oubrou, Dalil Boubakeur: ce qu’ils cachent», Salvator 2017.
[7] C. Chesnot et G. Malbrunot, «Qatar papers», Michel Lafon, 2019.
[8] Lina Murr Nehmé, «Fatwas et Caricatures, la stratégie de l’islamisme», Salvator 2015, p. 46-47.
[9] DGSI, «État des lieux de la pénétration de l’islam fondamentaliste en France», 2018.