Rarement la période de l’hiver traditionnellement consacrée aux carnavals pour exorciser les rigueurs de la mauvaise saison en hémisphère nord aura été autant marquée par une actualité aussi lourde en signes avant-coureurs de mutation violente et d’incertitudes majeures sur l’avenir que celle traversée aujourd’hui, de quelque côté que l’on se tourne. De crise en crise, sans prise efficace du pouvoir sur les événements, le « cher et vieux pays » s’enfonce, la navigation se fait de plus en plus à vue, avec ce constat que toujours les « chefs » sont le plus souvent seuls pour faire face au mauvais destin, irrésolus, coupés de leurs mandants et impuissants, dans leur déni et leurs mauvais diagnostics, à réduire les fractures qui minent inexorablement notre démocratie…
Le 7 février 2024, la France a pu enfin donner corps à son deuil en mettant un visage sur ses filles et fils victimes de la barbarie, nos 42 compatriotes odieusement massacrés lors du pogrome ignoble perpétré quatre mois plus tôt le 7 octobre 2023 par les terroristes du Hamas en Israël à la lisière de la bande de Gaza ; une date qui restera à jamais comme la réouverture d’une porte sur l’enfer en ce premier quart du 21e siècle à la fois pour les populations israélienne et palestinienne mais aussi pour le reste du monde avec comme fatales conséquences la résurgence de la haine antisémite réveillant le cauchemar de la Shoah en Europe et au delà chez les survivants de l’holocauste, et des morts, souffrances et destructions indicibles pour les civils gazaouis piégés dans le périmètre du conflit déclenché par l’organisation criminelle, composante du totalitarisme islamiste, qui les tient prisonniers sous son joug implacable depuis trop longtemps.
Dans toute cette folie de guerres en passe d’emporter la planète, la profonde émotion suscitée par ces beaux portraits d’êtres souriants, fauchés un jour d’horreur, entrant dans l’éternité au son de la musique du kaddish de Maurice Ravel et de la marche funèbre de Frédéric Chopin – que sur eux soit la paix !- résonne comme un avertissement pour réveiller les consciences et l’on souhaiterait vraiment tenir pour acquis que 68 millions de Français dans leur ensemble, toutes adhésions politiques, croyances religieuses, éthique et valeurs morales confondues, aient réellement « fait nation » avec les quelques centaines des leurs rassemblés sur l’immense esplanade des Invalides un peu trop clairsemée au cours de cet hommage rédempteur, vital et nécessaire. 48 heures plus tard, le 9 février 2024, le même jour que celui au cours duquel la Gestapo de Lyon avait arrêté son Père en 1943 pour le déporter et l’assassiner à Sobibor, ce camp consacré uniquement à l’extermination de 250 000 Juifs d’Europe, rasé par les nazis pour tenter de dissimuler leurs crimes abominables, disparaissait Robert Badinter âgé de 95 ans, l’avocat et artisan de l’abolition de la peine de mort en France. Le 18 septembre 1981 par un vote de l’Assemblée nationale, il avait gagné son combat principal qui revêt aujourd’hui un sens particulier dans ce monde souillé par le 7 octobre 2023 et par tous les conflits qui l’ensanglantent où le respect de la vie a de nouveau perdu son caractère sacré à l’instar des périodes les plus sombres de l’humanité. Le premier pays au monde à avoir aboli officiellement la peine de mort fut le Grand-duché de Toscane en 1786 sous le règne de Léopold de Habsbourg-Lorraine ( futur Empereur du Saint Empire romain germanique, Léopold II) et l’influence d’un grand juriste italien de l’époque des Lumières, Cesare Beccaria, auteur d’un ouvrage remarquable -« Des délits et des peines »-… Les grands combats humanistes s’inscrivent dans de très longues perspectives, c’est une leçon de l’histoire de toute éternité à ne pas oublier, comme il sera juste de se souvenir du célèbre cri de colère de ce Garde des Sceaux attaché à la vie, opposé à l’euthanasie et marqué par l’épreuve titanesque de la Seconde Guerre mondiale -« Les morts nous écoutent quand on parle d’eux. »-, un rappel à la décence et à la gravité du moment lors d’une cérémonie mémorielle à l’occasion d’un anniversaire de la Rafle du Vél’d’Hiv… Malheur à ceux qui oublient le respect qu’on leur doit en toutes circonstances et à ceux au service d’idéologies pernicieuses qui voudraient les effacer de la mémoire collective , en inversant les valeurs, en réouvrant les plaies et les douleurs du passé et en niant l’horreur de leurs souffrances, car à leur tour ils prendront le chemin pour plonger dans l’enfer qu’ils auront ressuscité par leurs folie et aveuglement coupables…
En souvenir de son juste combat contre l’antisémitisme et des valeurs universelles qu’il défendait, il est légitime d’associer Robert Badinter à la mémoire des 42 victimes auxquelles la France intangible a rendu hommage le 7 février 2024, en écoutant à notre tour, nous les vivants, le message d’appel à la paix qu’ils vont désormais porter à nos consciences.
Au regard de ces instants peu fréquents où il nous est donné de réfléchir au sens profond de l’existence, quand il faut dire ce que l’on voit mais aussi accepter de regarder la réalité du tragique de l’histoire en face, bien dérisoires peuvent apparaître les péripéties de la vie politique française du moment, un mauvais feuilleton interminable dans lequel sombre notre démocratie fragilisée par une succession de crises d’une amplitude exceptionnelle, tout en s’exposant au ridicule d’egos partisans froissés et autres palinodies de faible intérêt… Il aura fallu quasiment un mois à l’exécutif pour compléter (sans débauchages d’envergure notable à droite mais avec un rééquilibrage pour apaiser les états d’âme de la gauche de la macronie et l’exfiltration urgente d’Amélie Oudea-Castera du Ministère de l’éducation nationale vers son périmètre originel) la composition du gouvernement Attal. L’équipage au complet se retrouve confronté, après le cri de révolte des agriculteurs loin d’être convaincus de la résolution de leurs multiples problèmes par les annonces de fin janvier, à l’exaspération des habitants de Mayotte, le 101ème département de France au bord de l’explosion insurrectionnelle sous la pression d’une immigration illégale devenue mortifère par l’insécurité qu’elle n’a cessé de générer au fil du temps et des mauvais remèdes qu’on a cru bon de lui appliquer. L’opinion publique va devoir s’habituer à la nouvelle polémique du jour autour de la levée du droit du sol pour résoudre le drame mahorais par le biais d’une révision de la Constitution, sans parler de l’érection d’un « rideau de fer » (?) en mer pour endiguer une filière exponentielle d’immigration en provenance des Comores, d’Afrique continentale – région des grands lacs en RDC, en proie à des conflits meurtriers depuis 20 ans – et poudrière de la corne de Somalie !. L’échec patent de l’opération Wuambushu 1 justifiera sans vergogne une édition numéro 2 de ce cautère sur une jambe de bois dans un contexte où 74% des Français n’ont plus confiance dans l’action gouvernementale pour lutter contre l’insécurité et 77% dans celle pour résoudre la problématique criante de l’immigration en France et en Europe. Comment y croire ?
Face à des défis d’une telle gravité, l’attente de résultats peut s’avérer d’une lenteur propre à accélérer le délitement généralisé et aucun agenda d’actions, aussi élaboré et paré des artifices de communication les plus dans l’air du temps soit-il, ne saurait – à moins d’un miracle ?- endiguer dans le bref délai qui court jusqu’en 2027 la vague gigantesque des problèmes qu’on n’aura pas su régler ou simplement anticiper en 7 ans d’exercice du pouvoir.
Du courage, de la résilience, des valeurs universelles en partage, et le souvenir à préserver de ces vies injustement brisées par la folie des monstres engendrés par nos faiblesses et nos lâches accommodements avec les forces du mal, c’est sans doute ce à quoi il faudra se raccrocher pour affronter les nombreuses tempêtes encore à venir dans un monde en profonde reconfiguration…
Éric Cerf-Mayer