Personne n’a oublié la célèbre anaphore de François Hollande, lors du débat de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle de 2012… Et de la longue énumération de celui qui n’était encore qu’un candidat, on retiendra ici : “Moi, président de la République, j’introduirai la représentation proportionnelle pour les élections législatives de 2017 car je pense qu’il est bon que l’ensemble des sensibilités politiques soit représenté.”
C’était remettre au centre du débat un sujet qui semble comme un serpent de mer de la vie politique française et promettre des modalités de vote pour l’élection des députés qui sont déjà pratiquées lors des élections locales – mais les gagnants obtiennent une prime majoritaire – et ont déjà été appliquées sous la IVe République. Cependant, parce que la proportionnelle a été rendue responsable de biens des maux de ce régime, la Ve République a préféré revenir aux modalités historiques de désignation des députés en France, soit au scrutin majoritaire, à l’exception des élections de 1986.
Sans revenir sur les débats relatifs à la démocratie représentative, qui sont intarissables, on rappellera que celle-ci nécessite des modalités techniques, dont le mode de scrutin. Ce dernier assure la transmutation des voix des électeurs en sièges au sein des assemblées politiques ; c’est le “moment alchimique où le choix de l’électeur se métamorphose en représentant élu, comme le vil plomb en or” comme a pu l’écrire joliment Michel Hastings1. Il en existe deux grandes variantes : le scrutin majoritaire et la représentation proportionnelle (RP), avec des sous-variantes. En France, c’est le premier qui a été habituellement pratiqué pour l’élection des députés, mais la seconde bénéficie d’un certain romantisme.
Au contraire du scrutin majoritaire, la RP n’oblige pas les partis au regroupement pour gagner des sièges. Elle ne les contraint pas non plus à des alliances. Elle permet donc, sinon favorise, le multipartisme et l’autonomie des partis politiques2.
Autrement dit, toutes les formations qui prospèrent peuvent être assurées de disposer d’élus, et donc d’être pleinement reconnues, d’accéder aux institutions de la République, selon ce qui serait une justice mathématique : le nombre de sièges obtenus est étroitement corrélé avec le nombre de voix obtenues. Cela conduit souvent à un émiettement du paysage politique – chaque faction tentant sa chance – et à une difficulté à composer une majorité dont émane et qui soutienne l’exécutif. Cela explique a contrario la préférence de certains régimes pour le scrutin majoritaire. Mais cette préférence paraît plus encore s’expliquer pour de simples raisons historiques. Le scrutin majoritaire, plus élémentaire, sinon simpliste, et relativement brutal dans ses conséquences, a précédé la RP, plus sophistiquée dans ses modalités. En l’occurrence, le scrutin majoritaire donne aux gagnants une sorte de prime en sièges, assurerait une plus grande stabilité au pouvoir (ce qui fait toutefois débat en dépit des exemples de la République de Weimar ou de la IVe République française)3, mais réduit d’autant plus la représentation des perdants. Pour beaucoup, cela apparaît comme une injustice démocratique. De fait, il ne permet pas “de représenter toutes les fractions de l’opinion publique” comme le soulignait par exemple François Mitterrand en 1968, pourtant longtemps favorable au scrutin d’arrondissement, autre dénomination, en France, du scrutin majoritaire (puisque celui-ci se pratique habituellement dans le cadre de circonscriptions avec des candidatures individuelles)4.
Depuis l’avènement de la République gaullienne, la revendication en faveur de la RP a donc été récurrente, et même quasi-unanime, de la part des formations d’opposition ou minoritaires : la RP apparaît comme la promesse de disposer de positions institutionnelles et de participer – s’agissant des élections législatives – au jeu parlementaire. Même le candidat du parti dominant, Nicolas Sarkozy, admettait en 2007 “la possibilité d’introduire un peu de proportionnelle au Sénat ou à l’Assemblée nationale sans créer le risque d’une instabilité qui serait désastreuse.”5. Il réitérait cette proposition en 2012. Logiquement, aujourd’hui encore, la plupart des formations politiques, sinon des leaders politiques, sont favorables à la RP, mais il existe des approches différentes tandis que l’exercice du pouvoir n’a pas conduit ceux qui avaient formulé cette promesse à la réaliser, à l’exception de François Mitterrand en 19856…, mais le gouvernement Chirac reviendra au scrutin majoritaire dès 1986.
Représentation proportiotnnelle : embarras et contradictions des partis et leaders qui alternent au pouvoir
En 2012, les candidats du PS et de l’UMP à l’élection présidentielle étaient donc, l’un et l’autre, favorables à la RP. Comme déjà indiqué, Nicolas Sarkozy avait déjà formulé cette promesse en 2007 lors d’un meeting de fin de campagne, mais sans la reprendre explicitement dans son programme “Ensemble tout devient possible”. En 2012, celle-ci intégrait bien ses “propositions” pour une “France forte”. Le président sortant préconisait précisément de réduire le nombre des sièges de parlementaire et d’introduire une « dose de proportionnelle pour les élections législatives”. La plupart des députés resteraient donc élus au scrutin majoritaire mais un petit nombre le serait à la RP. En réalité, cette proposition n’avait guère soulevé d’enthousiasme dans les rangs du parti, notamment parmi les députés issus du RPR (les néo-gaullistes du Rassemblement pour la République). Selon Christian Jacob, en particulier, déjà président du groupe des députés UMP, la RP, même minoritaire, “changerait la nature de l’Assemblée [qui deviendrait] composée d’apparatchiks imposés par les partis, sans légitimité territoriale”7. Pour Bernard Accoyer, alors président de l’Assemblée nationale, cela engendrerait “deux catégories de députés”, les uns liés à une circonscription, les autres “choisis par les partis, sans lien direct avec les électeurs”8. Cela rendrait également plus difficile la construction de majorités. François Fillon, Premier ministre, faisait également part de ses réserves. Plus au fond, c’était revenir à une assemblée rappelant celle de la IVe République, évidemment honnie par les néo-gaullistes.
Mais pourquoi formuler cette proposition qui manifestement déplaisait aux barons de l’UMP et à une bonne partie des troupes ? Sans doute, un peu comme en 2007, Nicolas Sarkozy cherchait-il à ne pas décevoir les petites organisations, ou réseaux politiques, externes à l’UMP, leur laissant l’espoir – à terme – de garantir leur représentation. La RP traduit également une plus grande ouverture, une garantie de pluralisme. Mais n’était-ce pas non plus qu’une sorte de gadget dont l’ancien président va assez vite se débarrasser dès lors qu’il s’agira, après le scrutin de 2012, de reconstruire l’UMP et d’affirmer le clivage avec la majorité socialiste ? En effet, en mai 2015, lors du congrès fondateur du parti Les Républicains (LR), Nicolas Sarkozy a renoncé à toute velléité en matière de RP. Il fait même de la défense du scrutin majoritaire un principe, s’opposant au projet – potentiel – de François Hollande d’introduire la RP pour les élections législatives de 2017. Et d’argumenter, en des termes très classiques dans le débat récurrent sur la RP, que celle-ci “rendrait la République ingouvernable et confisquerait la souveraineté du peuple au profit des partis” ; ce serait aussi livrer la République “aux minorités agissantes et aux clientèles électorales”9. C’est renouer avec la critique gaulliste classique de la partitocratie et à l’instabilité politique qu’elle engendrerait. Cependant, comme en 2007, on peut considérer que l’ancien président a d’abord agi par tactique. Mais celle-ci a changé. Rejeter la RP, c’est d’abord s’opposer au président en place et chercher, par tous les moyens, à être le premier de ses opposants, quel que soit le sujet. Mais, probablement, dans la perspective de primaires à droite pour la présidentielle de 2017, il s’agit aussi de rassembler derrière lui le plus grand nombre de barons de l’ex-UMP qui, on l’a vu, sont farouchement hostiles à la RP. Cela constitue pour eux une sorte de marqueur identitaire. En outre, ils laissent entendre que la combinaison du scrutin majoritaire et de la RP pour désigner les députés – selon la promesse initiale de l’ancien président et incertaine du nouveau – serait probablement inconstitutionnelle10… mais le sujet n’est en réalité pas tranché.
Dans le même temps, qui a donc justifié le retournement de Nicolas Sarkozy, François Hollande a cherché à concrétiser l’un de ses “soixante engagements” de la campagne 2012 : “introduire une part de proportionnelle à l’Assemblée nationale pour les élections législatives de 2017”. Il a recueilli l’avis d’une commission ad hoc, présidée par l’ancien Premier ministre socialiste Lionel Jospin. Dans son rapport, Pour un renouveau démocratique, de novembre 2012, celle-ci a préconisé d’ “introduire une part de proportionnelle pour l’élection des députés”11. Mais afin de ne pas fragiliser la constitution d’une majorité gouvernementale, la commission s’en tient à l’argument que “10 % au plus des députés – soit 58 députés – pourraient être élus à la proportionnelle” (p. 38). Cette élection interviendrait dans le cadre d’une “circonscription unique, sans exigence de seuil”. Il ne s’agirait donc pas de donner une seconde chance aux formations qui n’ont pas obtenu de sièges dans les circonscriptions où se pratique le scrutin majoritaire, mais d’organiser un second scrutin, à la RP, parallèlement au scrutin majoritaire, auquel participeraient toutes les formations avec des candidats distincts de ceux présentés dans les circonscriptions. Sur la base des résultats des dernières élections, ce second scrutin conférerait par exemple une dizaine de députés au Front national (au lieu de quelque 150 à la proportionnelle intégrale) et deux fois moins au Front de gauche, ce qui ne peut guère être satisfaisant pour ces derniers. Mais cette proposition n’a pas été suivie d’une réforme quelconque (du moins immédiatement). Certes, il semble que le président ait été tenté de la lancer courant 2014, le sous-entendant à quelques reprises avant semble-t-il d’y renoncer car, comme lors des élections législatives de 1986, la réforme avantagerait surtout le Front national et, secondairement, les écologistes (qui, eux, n’avaient pas obtenu d’élus en 1986), au détriment du PS. Les députés socialistes, premiers concernés par le changement de règles, semblent également assez partagés. Pour sa part, tout en récusant explicitement la proportionnelle intégrale (tous les sièges de députés seraient attribués à la RP), Manuel Valls a eu l’occasion de déclarer, lors d’une interview à BFMTV, le 7 décembre 2014, qu’une dose de proportionnelle serait “compliquée” à mettre en œuvre. Etait-ce enterrer définitivement toute réforme ? Le 19 avril 2015, invité sur le plateau de Canal+, François Hollande laissait toutefois le sujet ouvert, déclarant à propos de la RP : “J’y suis prêt, on fera ça dans l’année 2016 si on doit faire des changements d’institutions”. Bref, comme François Mitterrand en 1985, François Hollande serait prêt à changer les règles du jeu un an avant un scrutin prévu en 2017. Mais, sans doute, à ne les changer que très partiellement…
Comment se positionne le parti du président dans ce débat ? Lors du congrès socialiste de Poitiers (5-7 juin 2015), deux des quatre motions débattues ont repris la question de la RP. Pour la motion A (majoritaire, avec 60 % des voix), celle-ci constituera l’un des axes de débat à l’occasion d’une convention nationale sur les institutions à venir. Mais le texte demeure minimaliste. Il évoque simplement “l’instauration d’une part de proportionnelle aux élections législatives” (p 27). Cela rappelle les préconisations de la commission Jospin. La motion C apparaît plus ambitieuse (mais elle est très minoritaire, avec seulement 2 % des voix). Elle propose d’ “intégrer une dose de proportionnelle concernant 30 % des mandats électifs aux élections législatives pour permettre une meilleure représentation de la France réelle”. Elle entend également “élargir à toutes les élections locales le scrutin de liste à la proportionnelle au plus fort reste avec prime majoritaire à 25 %, sur le modèle des élections régionales, afin d’assurer une plus juste représentativité des minorités au sein des assemblées locales et respecter davantage le vote des électeurs” (p. 26). On rappellera que la RP, lorsqu’elle est pratiquée actuellement à certains scrutins, obéit à la règle de la plus forte moyenne, qui avantage les formations qui ont déjà les résultats les plus importants. Avec ces propositions, Florence Augier, animatrice de la motion C, secrétaire nationale du PS à la vie associative, soutenue par aucune personnalité du PS, entend favoriser la démocratie et être la porte parole des “sans voix” au sein du PS. La RP s’affirme comme une garantie pour la représentation – et la reconnaissance – de la base ou des sans-grades.
La gauche radicale favorable à la RP… sauf L.O.
Tandis que les leaders des formations qui alternent au pouvoir tergiversent ou s’opposent, les autres organisations s’affichent très favorables à la RP. Il n’est guère que Lutte Ouvrière qui voit dans cette revendication une “illusion”, manifestant son caractère antidémocratique au sens libéral du terme. On peut lire en effet sur le site internet de l’organisation d’extrême gauche : “L’élection au suffrage universel a été acquise par des luttes. Lutte Ouvrière tient compte de ces acquis et présente des candidats aux élections. Mais si les élections permettent aux différents partis politiques de s’exprimer, elles n’ont jamais transformé la société ; par conséquent nous combattons les illusions électoralistes.” L.O. développe encore que derrière la démocratie électorale se cache en réalité “la dictature des grandes entreprises capitalistes”. L’élection ne paraît finalement qu’une forme – moins brutale – de domination. En outre, “les lois électorales déforment le suffrage universel et écartent habituellement des postes élus les petites formations qui contestent l’ordre social”. On pourrait croire qu’il s’agit là d’abord d’une critique du scrutin majoritaire. Mais L.O. ne se prononce pas pour autant en faveur de la RP. Elle n’y voit qu’un “gadget” que manient des “démagogues », citant explicitement les deux candidats du second tour de la présidentielle de 2012. L.O. ne formule en fait qu’une revendication concernant le suffrage universel : “les élus devraient être révocables à tout moment par les électeurs”12.
Le POI (Parti communiste indépendant, ex-Parti des travailleurs), autre formation trotskyste, plus invisible que L.O. sur la scène politique, paraît au fond sur une ligne assez proche. La formation utilise tout de même la proportionnelle pour réguler ses courants, et souvent tensions, internes. De même, en 2007, son candidat à l’élection présidentielle, Gérard Schivardi, avait réclamé la proportionnelle intégrale pour la désignation de l’Assemblée nationale. Cela dit, début 2015, préparant son Ve congrès, la formation met l’accent sur “l’action de la classe ouvrière et de la jeunesse” pour établir “un authentique gouvernement de défense des travailleurs” et “une Assemblée constituante souveraine”, soit “des institutions authentiquement démocratiques [qui seront édifiées] sur les décombres de la Ve République et de l’Union européenne”13. Dans ce projet, l’élection et a fortiori la RP ne semblent qu’un dispositif assez secondaire, sinon superflu.
Le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), le Parti communiste (PCF) ou le Parti de gauche (PG) défendent au contraire la RP. En décembre 2012, après la publication du rapport Jospin, Philippe Poutou, candidat du NPA à la présidentielle quelques mois auparavant, réclame la proportionnelle intégrale, rejetant “ce qui est proposé [qui] est un peu bâtard”, selon lui14. La RP figure d’ailleurs dans les “principes fondateurs” du NPA, adoptés en 2008. Il y est stipulé : “Nous voulons en finir avec les institutions antidémocratiques de la Ve République (révocabilité des élus, représentation proportionnelle dans les assemblées…)”. On lit encore : “Nous défendons la proportionnelle intégrale et réclamons d’avoir un nombre d’élus conforme au poids que nous avons dans la société”15. Manifestement, le NPA paraît moins hostile à la démocratie électorale que LO, tout en souhaitant également que les électeurs puissent révoquer leurs élus comme cela se pratique, au demeurant, aux États-Unis.
Lors de son 36e congrès, en 2013, le PCF a rappelé également son attachement à la RP. Il en fait un des éléments de la VIe République qu’il appelle de ses vœux. La nouvelle constitution devra “rompre avec le présidentialisme, en finir avec le cumul des mandats en nombre et en durée, favoriser la délibération et l’exercice collectif des responsabilités, instaurer la proportionnelle comme mode de scrutin, faire de la parité une règle, ouvrir un droit d’initiative législative populaire et un droit de saisine des institutions”16. André Chassaigne, député PCF du Puy-de-Dôme et président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (ex-groupe PCF), a eu l’occasion de préciser que le PCF était favorable à la “proportionnelle intégrale”, dénonçant au passage le projet de François Hollande de n’instiller qu’une dose de proportionnelle aux élections législatives (de 10 à 20 % selon les sources). Si tel était le cas, le député communiste indique : “cette nouvelle manipulation serait pour nous un vrai casus belli. C’est inacceptable et inimaginable. Notre opposition sera totale”17.
Le PG, à travers le Front de gauche, cartel d’organisations à la gauche du PS (dont le PCF), défend également ce projet de VIe République dans laquelle “la proportionnelle sera rétablie pour toutes les élections”. Plus encore, il entend favoriser une “implication populaire permanente” au moyen de la démocratie participative. Celle-ci “s’appliquera à l’élaboration des lois, à la mise en œuvre des grandes politiques publiques et à la gestion des collectivités territoriales, notamment au moyen de budgets participatifs”18. Consulté sur la proposition de la commission Jospin, Jean-Luc Mélenchon, co-président du PG, déplorait un simple “replâtrage”, rappelant son attachement à une réforme de fond et à un nouveau régime19. Lors de son 4e congrès, les 6 et 7 juillet 2015, le PG réitérait dans sa résolution “En mouvement, citoyen-ne-s !”, sa revendication de la “proportionnelle aux élections” (soit la proportionnelle intégrale) et, plus largement, son projet d’allier démocratie représentative et démocratie directe20. Plus que la réforme du mode de scrutin, c’est en réalité ce qui serait une “hyperdémocratie”, pour reprendre un terme de Philippe Raynaud21, que la gauche radicale entend promouvoir, soit des espaces locaux, citoyens et participatifs qui nourrissent une utopie politique et sociale.
Le projet clé en main des Verts
Depuis leurs origines, les écologistes sont également de farouches défenseurs de la RP. La campagne présidentielle de 2012 a été l’occasion de le rappeler. Le “programme d’actions pour les temps qui viennent” développé par EELV (Europe Écologie-Les Verts) préconise en l’occurrence “la généralisation de la proportionnelle à tous les scrutins afin de tenir le meilleur compte possible du poids politique réel des différentes forces et d’assurer une parité effective des élu-e-s” (p. 153). Plus précisément, pour les élections des députés, une moitié d’entre eux seront élus au “scrutin uninominal majoritaire à deux tours et la moitié restante sur une liste nationale compensatoire permettant de rétablir la proportionnelle sur la base des résultats du premier tour de la liste nationale” (p. 153). Mais ce n’est pas celui-ci qui inspire la réforme éventuelle à laquelle réfléchit le pouvoir socialiste à compter de 2012. Non seulement, d’après les hypothèses sur lesquelles ce dernier travaille, seule une minorité de parlementaires serait élue à la RP mais, de surcroît, ce dernier mode de scrutin n’aurait pas pour objet de compenser les résultats obtenus selon la loi majoritaire ; il s’agirait de deux élections autonomes. On mentionnera encore qu’EELV entend que les nouvelles intercommunalités soient également élues au suffrage universel direct par scrutin de listes proportionnelles” (p. 159).
À l’automne 2014, puis en 2015, alors que le gouvernement reste indécis quant à la réforme du mode de scrutin, ou que seule une réforme a minima paraît envisagée, les écologistes remontent au créneau pour défendre leurs idées en matière de changement des règles électorales et, plus largement, d’institutions politiques. Cela intègre une critique plus vaste du “présidentialisme français”, jugé “tout aussi folklorique que la monarchie anglaise”22. Bref, il s’agit “d’en finir avec les anachronismes antidémocratiques de la Ve République française”. Dans cette perspective, la RP est présentée “comme outil prioritaire de transformation institutionnelle” et sa mise en œuvre “la reine de toutes les batailles”23. D’emblée, EELV s’emploie également à désamorcer la critique habituelle que ne manquera pas de soulever pareil projet : si la RP “a souvent eu mauvaise presse, accusée de pouvoir favoriser l’entrée dans les institutions des forces d’extrême droite, on oublie que c’est au contraire le fait majoritaire qui, poussant au bipolarisme et aux alliances, a créé les conditions d’une montée des populismes”24. EELV, faisant allusion à sa relation au PS, indique aussi que la RP, substituée au scrutin majoritaire, évitera “de signer des accords programmatiques artificiels pour pouvoir entrer dans le jeu institutionnel” et favorisera donc le débat démocratique lors de chaque décision25. La RP est présentée enfin comme une garantie pour le pluralisme institutionnel, la parité et la diversité. Plus globalement, elle est donc un élément essentiel de la “réforme constitutionnelle et démocratique” qu’il importe d’engager.
Puis, le 29 juin 2015, les parlementaires d’EELV annonçaient le dépôt d’un “paquet de propositions concrètes” pour engager cette révision majeure, déposant trois propositions de loi relative à la RP, à la réduction du nombre de députés et à la motion de censure constructive (à l’exemple de ce qui existe en Allemagne, Belgique ou Espagne)26.
En fait, pour s’en tenir à la RP, les parlementaires écologistes ont sensiblement modifié leur projet antérieur. Naturellement, l’exposé des motifs de la proposition de loi sur le sujet revient sur les inconvénients du scrutin majoritaire : “il exacerbe les ruptures plutôt que d’encourager les continuités. D’autre part, la représentation nationale qui en est issue ne reflète pas toujours le vote des Français dans sa diversité. L’expérience montre que ce mode de scrutin majoritaire est très déformant, une tendance qui s’est accentuée au fur et à mesure que les deux grands partis se sont affaiblis”27. En outre, d’après EELV, “ce défaut de représentation” expliquerait dans une large mesure l’abstention. Puis l’exposé des motifs revient sur la promesse du candidat François Hollande d’introduire une part de RP lors des élections législatives et les conclusions de la commission Jospin, très insuffisantes selon EELV s’agissant de la RP. Les écologistes se veulent beaucoup plus ambitieux. Ils préconisent donc la RP intégrale dans le cadre de grandes circonscriptions correspondant aux treize nouvelles régions. Selon eux, cela maintiendra effectivement “l’ancrage territorial des députés”, même s’il s’agira bien d’un scrutin de liste proportionnel tandis que les cadres retenus sont tout de même très étendus. À ce niveau, toutes les formations ayant obtenu au moins 5 % des voix participeraient à la distribution des sièges selon la règle de la plus forte moyenne (déjà pratiquée à d’autres scrutins). Pour EELV, ces nouvelles règles, ajoutées à d’autres réformes des institutions, contribueront “à revitaliser notre démocratie”. Ce projet va donc beaucoup plus loin que les mécanismes mixtes – scrutin majoritaire et RP – auxquels avaient réfléchi les écologistes antérieurement. Il apparaît également beaucoup plus maximaliste traduisant, sur le plan institutionnel – et donc sur ce terrain aussi – une certaine radicalisation d’EELV par rapport à ses alliés socialistes de 2012.
Centre, droite et FN favorables à la représentation proportionnelle
En 2012, François Bayrou et le Modem (Mouvement des démocrates) étaient également favorables à la RP. Selon leur programme, il importerait d’abord de réduire le nombre de parlementaires (notamment à 400 députés environ). Les trois quarts d’entre eux continueraient à être élus au scrutin majoritaire, le dernier quart le serait à la RP. Pour participer à la répartition des sièges, il faudrait atteindre un seuil de 5 % des suffrages exprimés28.
L’UDI (Union des démocrates et indépendants) partage une vision assez comparable puis, en 2015, ses leaders vont se montrer également plus radicaux. En 2012, Jean-Louis Borloo, le président fondateur du parti, se disait favorable à 15 % de RP lors des législatives (qui demeureraient donc à dominante majoritaire). Puis en 2015, Hervé Morin, qui a échoué à lui succéder, devait déclarer que les députés devraient être élus pour moitié au scrutin majoritaire et, pour l’autre moitié, à la RP, comme le souhaitaient d’ailleurs les écologistes en 2012, et encore en 2014, avant de se montrer plus maximalistes29. Enfin, le nouveau président du parti, Jean-Christophe Lagarde, se dit partisan de la RP intégrale avec prime majoritaire (qui reste à expliciter). Il déclarait le 12 avril 2015 sur Radio J : “À l’Assemblée nationale, nous avons besoin du même système : des élections à la proportionnelle sur les treize régions avec une prime majoritaire, ce qui arrêtera d’écarter de l’Assemblée pratiquement 40 à 50 % des Français”. Là encore, les positions du nouveau président de l’UDI, sinon celles du parti, apparaissent très proches de celles d’EELV. En outre, pour Jean-Christophe Lagarde, il vaut mieux que le FN ait des représentants au Parlement, afin que les électeurs puissent juger de l’action effective de ces derniers, plutôt que les voir “éructer sur des plateaux de télévision des positions démagogiques”30. La RP devrait donc apaiser le climat politique en favorisant la participation et l’intégration du plus grand nombre au jeu parlementaire et, plus largement, institutionnel. Elle devrait également permettre de responsabiliser les différents acteurs partisans.
Si Debout la France, formation souverainiste animée par le député Nicolas Dupont-Aignan, ne fait pas du mode de scrutin un sujet central, son leader mentionnait dans ses “37 propositions pour une France libre”, lors de la campagne présidentielle de 2012, être lui aussi favorable à “une dose de proportionnelle pour les élections législatives”.
Enfin, le FN, comme la plus grande partie de la gauche radicale, les écologistes et l’UDI, défend naturellement la RP. “Notre projet. Programme politique du Front national” le rappelle dans sa rubrique “refondation républicaine”. Ce programme, établi pour la campagne présidentielle de 2012, promet de faire voter une loi organique “pour instaurer le scrutin proportionnel à toutes les élections, nationales ou locales, directes ou indirectes”. Ce faisant, il s’agit “d’assurer la représentation de toutes les sensibilités politiques choisies par les électeurs, notamment au niveau de l’Assemblée nationale”. Selon Marine Le Pen, la présidente du FN, l’instauration de la RP permettra également de réduire l’abstention (argument qui est aussi celui des Verts)31. Mais n’est-ce pas un pari ? A contrario, le FN combat le mode de scrutin majoritaire qui, en dépit des audiences obtenues par ses candidats, laisse ces derniers – sauf deux exceptions depuis 2012 – en dehors de l’Assemblée nationale. Il est vrai que ce mode de scrutin oblige à des alliances pour gagner au second tour. Or, le FN reste isolé sur la scène politique et, lorsque ses candidats sont qualifiés pour le second tour, ils se trouvent le plus souvent éliminés par les alliances dites de “Front républicain” composées par les autres formations.
L’ajournement sine die de la réforme du mode de scrutin envisagé par François Hollande en 2012 a notamment soulevé l’ire de Jean-Marie Le Pen parce que, non seulement le président ne respectait pas l’un de ses engagements mais, de surcroît, ce revirement s’expliquerait par la volonté de ne pas favoriser l’entrée du FN au Parlement, “argumentation scandaleuse” selon le président d’honneur du FN32. Concernant le mode de scrutin, il n’y a donc pas de divergences au sein de la famille Le Pen et du FN…
Au total, tous les partis ou leurs leaders principaux sont – ou ont été – favorables à la proportionnelle pour la désignation des députés (et la RP pratiquée lors des élections locales n’est jamais remise en cause). Il existe donc un quasi-unanimisme. Seuls résistent des néo-gaullistes, si le terme a encore un sens.
Cependant, le président et le gouvernement hésitent à changer les règles actuellement en vigueur. Les socialistes semblent relativement divisés sur l’ampleur du changement (soit de la dose de proportionnelle à introduire lors d’élections législatives qui demeureraient principalement majoritaires). En outre, la piste de la réforme paraît assez aventureuse. La défiance à l’égard du pouvoir en place et de la majorité, la volatilité des comportements électoraux risquent de provoquer une défaite cuisante des socialistes, d’autant plus qu’avec la RP beaucoup, sinon tout, se joue sur l’image que les électeurs se font des partis et de leur programme. Au contraire, le scrutin majoritaire permet de mettre au premier plan les candidats et leurs enracinements locaux et, sans doute, de mieux sauver certaines situations. Certes, en 1986, l’introduction de la RP avait permis de limiter l’ampleur de la défaite des socialistes, mais la réforme s’était accompagnée d’une augmentation du nombre de sièges à pourvoir (création de 86 sièges supplémentaires), ce qui dans le contexte actuel paraît totalement exclu, et rend donc plus aléatoire, sinon redoutable, l’impact du simple changement de règle électorale. En outre, modifier la règle du jeu peu avant le scrutin peut être mal perçu par une opinion qui verrait là une manipulation du pouvoir pour mieux préserver ses positions alors que l’échéance électorale s’annonce difficile pour lui. Quoi qu’il en soit, le pouvoir, s’il fait une réforme, se bornera à instiller une dose limitée de RP dans un scrutin qui restera principalement majoritaire.
Les autres formations, de l’opposition ou minoritaires, sont favorables à la RP, à l’exception de LR… et de LO. Dans les deux cas, jouent des raisons de principe, certes de nature fort différente. Pour LR, il importe d’affirmer le clivage à l’égard du président actuel et, pour beaucoup mais pas nécessairement pour le président du parti, la RP paraît contre-nature avec la Ve République et la nécessité d’asseoir des majorités de gouvernement stables et solides. Pour LO, la démocratie électorale, quelles que soient ses règles, n’est qu’une illusion.
Quant aux autres partis, ils se partagent entre partisans de l’introduction d’une dose de proportionnelle lors des élections législatives, un peu comme pourrait le faire le pouvoir socialiste, et les promoteurs de la RP intégrale. Si, de ce point de vue, François Bayrou et le Modem apparaissent proches des positions socialistes, les autres formations ou leaders politiques, parmi lesquels l’UDI que l’on aurait pu croire plus modérée compte tenu du poids de notables en son sein, réclament désormais la mise en place de la RP intégrale. Parmi eux, les écologistes et les frontistes sont les plus bruyants, sinon les plus ardents. Par contre, la gauche radicale met plutôt l’accent sur la démocratie directe ou participative.
Pour bien des partis ou des acteurs de la vie politique française, la proportionnelle semble finalement comme une lampe merveilleuse. S’il s’agit certes de consolider ou de parfaire la démocratie représentative, c’est aussi pour eux, et notamment pour les plus faibles, une promesse de fortune, soit d’installation dans des positions institutionnelles, de rétribution pour leurs militants et de professionnalisation, de ressources nouvelles… Mais cette perspective paraît demeurer assez “égoïste” car la construction de majorités – alternatives ou pas – ne paraît jamais le véritable enjeu ni n’est explicitée. La magie a ses limites.
Dominique Andolfatto, professeur de sciences politiques – Université de Bourgogne Franche-Comté (Credespo)
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- Michel Hastings, “Voix sans issue et vote utile, les leçons d’une disproportionnelle”, Revue Politique et Parlementaire, n° 923, 1986, p. 22. ↩
- Cette présentation reformule certaines conclusions de Jean-Luc Parodi concernant la RP. Voir J.-L. Parodi, “La proportionnalisation du système institutionnel”, Pouvoirs, n° 32, 1985, p. 49. ↩
- Le lien entre le mode de scrutin et la stabilité du gouvernement n’est pas aussi univoque que beaucoup le croit habituellement. La RP serait donc injustement accusée d’être une cause d’instabilité politique. Voir Jean-Claude Colliard, Les régimes parlementaires contemporains, Paris, Presses de la FNSP, 1978 et Pierre Martin, Les systèmes électoraux et les modes de scrutin, Paris, Montchrestien, coll. “Clefs/politique”, 2006, 3e édition. ↩
- Dominique Chagnollaud, “Les présidents de la Ve République et le mode d’élection des députés de l’Assemblée nationale”, Pouvoirs, n° 32, 1985, p. 101-102. ↩
- Cité par Lexpress.fr, 30 avril 2007. En fait, un certain nombre de sénateurs étaient déjà désignés à la RP avant 2007. ↩
- La loi du 10 juillet 1985 (gouvernement Fabius) a établi la RP à la plus forte moyenne pour l’élection des députés (il s’agissait de la 47e des 110 propositions formulées par F. Mitterrand en 1981, sa réalisation tenant aussi à des considérations tactiques en 1985). Un an plus tard, la loi du 11 juillet 1986 (gouvernement Chirac) rétablissait le mode de scrutin majoritaire pratiqué depuis 1958 (et antérieurement à la IVe République) et inchangé jusqu’à ce jour. ↩
- Cité par Baptiste Legrand, “La proportionnelle, sujet qui fâche l’UMP », L’Obs, 20 février 2012, https://tempsreel.nouvelobs.com/politique/election-presidentielle-2012/20120220.OBS1850/la-proportionnelle-sujet-qui-fache-a-l-ump.html ↩
- Ibid. ↩
- Discours de Nicolas Sarkozy lors du congrès fondateur des Républicains, 31 mai 2015. ↩
- Voir par exemple l’interview de Christian Jacob sur LCP, 5 décembre 2012. ↩
- Rapport publié en 2012 par La documentation française. ↩
- Texte en ligne sur le site de L.O., https://www.lutte-ouvriere.org/qui-sommes-nous/nos-idees/article/lutte-ouvriere-et-les-elections. Voir également un communiqué de FO du 21 février 2012 en ligne sur le même site. ↩
- Voir le communiqué du bureau national du 7 février 2015 sur le site du POI, https://parti-ouvrier-independant.fr/2015/02/24/a-trois-mois-du-ve-congres-communique-n4-du-bureau-national-du-poi/ ↩
- Cité par Europe 1, le 7 décembre 2012, https://lelab.europe1.fr/quand-poutou-raconte-les-doutes-de-hollande-sur-la-proportionnelle-6184 ↩
- En ligne sur le site du NPA, https://www.npa2009.org/node/2215 ↩
- Texte d’orientation du 36e congrès (“Humanifeste” du PCF). En ligne sur le site du PCF, https://www.pcf.fr/sites/default/files/36_humanifeste_pcf_0.pdf ↩
- Cité par Ouest-France.fr le 6 novembre 2014, https://www.ouest-france.fr/francois-hollande-la-proportionnelle-le-nouveau-chantier-du-president-2951449 ↩
- “L’Humain d’abord. Le programme du Front de gauche et de son candidat commun Jean-Luc Mélenchon”, 2012, p. 25. ↩
- Interview à France Info, 30 novembre 2012. ↩
- Résolution en ligne sur le site du PG, https://www.lepartidegauche.fr/system/ documents/enmouvementcitoyens.pdf ↩
- Voir Philippe Raynaud, “L’extrême gauche plurielle. Entre démocratie radicale et révolution”, Paris, Autrement, 2006, p. 189. ↩
- Texte adopté lors du conseil fédéral d’EELV des 11 et 12 octobre 2014, https://eelv.fr/2014/10/13/democratie-lurgence-dune-nouvelle-republique-reaffirmer-la-priorite-du-changement-institutionnel/ ↩
- Ibid. ↩
- Ibid. ↩
- Ibid ↩
- Les trois propositions ont été déposées à l’Assemblée nationale : 1. proposition de loi constitutionnelle visant à créer la procédure de motion de censure constructive, n° 2014, 30 juin 2015 ; 2. proposition de loi organique visant à fixer le nombre de députés à quatre cent cinquante, n° 2915, 30 juin 2015 ; 3. proposition de loi visant à améliorer la représentation des Français en instaurant l’élection au scrutin de liste à la représentation proportionnelle, n° 2959, 8 juillet 2015. Textes en ligne sur le site de l’Assemblée nationale. ↩
- Proposition de loi n° 2959 (déjà citée). ↩
- Voir “Nos propositions” sur le site du Modem, https://www.mouvementdemocrate.fr/programme/ ↩
- Interview dans Paris-Match, 10 janvier 2015. ↩
- Cité par L’Obs, 14 avril 2015, https://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20150412.AFP4604/udi-lagarde-plaide-pour-le-scrutin-proportionnel-aux-legislatives.html ↩
- Voir un Tweet de Marine Le Pen, 16 mars 2015. ↩
- Interview sur RTL, le 31 décembre 2014. ↩