Sur la base de la victoire de François Hollande en 2012, les primaires ouvertes ont été célébrées à la fois comme une avancée démocratique et un outil performant sur le plan électoral.
À la faveur d’une forte mobilisation (2,9 millions de votants au second tour), cette procédure, inédite tant dans l’histoire du PS que de la démocratie française, a alors conféré un pouvoir, jadis réservé aux militants, à un public élargi et pré-mobilisé l’électorat de gauche. Elle a de plus donné une image d’ouverture démocratique à un parti replié sur ses luttes internes et produit au final un candidat incontesté. La conversion de la droite aux primaires à partir de 2013 s’est faite en partie sur la base de ce succès.
Certes ce mode de désignation procède d’autres logiques : structurellement de l’affaiblissement des partis politiques et du rétrécissement de leur base militante qui ont dévalué les primaires internes fermées, institutionnellement de l’adaptation à la présidentialisation et conjoncturellement de « crises » partisanes liées à des contextes de défaite et de vacance de leadership (du congrès de Reims au PS au duel Copé-Fillon pour l’UMP). Mais la conversion de la droite aux primaires revêt aussi une dimension mimétique. Elle n’aurait sans doute pas eu lieu si François Hollande n’avait pas été élu au terme du cycle électoral de 2012. Comme le souligne en entretien Maël de Calan, responsable du think-tank La boîte à idées qui a très tôt promu à droite ce mode de sélection, « le deuxième tour de la primaire socialiste a beaucoup frappé les dirigeants de l’UMP, notamment ses retombées médiatiques et l’unité retrouvée et mise en scène des socialistes. (…) Les dirigeants ont dû se résoudre à l’évidence : les primaires se sont révélées un outil particulièrement performant »1. Jérôme Chartier, proche de François Fillon, développe le même point de vue : « On a été sidéré par le succès des primaires, le souffle que cela a levé, l’efficacité électorale, la médiatisation. C’est un excellent moyen de gérer et dépasser les rancœurs et de construire méthodiquement et procéduralement l’union »2. La double victoire de François Hollande en 2011-2012 a bien été le mythe fondateur des primaires ouvertes en France.
Cinq ans plus tard, l’image des primaires s’est retournée de manière spectaculaire confirmant la prophétie d’Édouard Balladur. Ce dernier déclarait en 2016 : « Dès qu’un candidat gagnant aux primaires perdra la course à la présidence de la République, les primaires risquent fort de disparaître des priorités de son parti »3. Sauf que ce sont les deux partis de gouvernement à la fois, organisateurs de primaires, qui n’ont pas réussi à se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle.
Les deux primaires de 2016 (novembre pour Les Républicains) et 2017 (janvier pour La belle alliance populaire, de fait le Parti socialiste) ont déjoué tous les pronostics.
Le président sortant, qui a accepté le principe de la procédure en juin 2011, n’a pas brigué de second mandat, les primaires comptant pour beaucoup dans ce renoncement. Les sympathisants de gauche et de droite ont désigné lors des primaires des candidats apparus comme « radicalisés » par rapport à la ligne de leur parti. Une fois investis, ils ont peiné à élargir l’électorat mobilisé au moment de la phase de sélection4. Les primaires ont plutôt attiré des électeurs « radicaux » et ont accentué la logique de polarisation idéologique du scrutin au lieu de favoriser des performances électorales plus larges. Des sympathisants non « socialistes » ou « Républicains » « stratèges » ont pris part aux primaires brouillant le sens de l’exercice. Le candidat socialiste n’a pas réussi à fédérer son parti et Manuel Valls, finaliste de la primaire, en a transgressé le principe cardinal en appelant à voter en faveur d’Emmanuel Macron. Mis en cause par le « Penelopegate », François Fillon s’est retranché derrière la légitimité de la primaire pour contrecarrer l’émergence d’un candidat alternatif. La primaire n’a pas permis à Benoît Hamon de contester la légitimité à gauche de Jean-Luc Mélenchon. Les candidats qui ne sont pas passés par le tamis de ce mode de sélection (Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon) ont devancé les candidats des partis « à primaires ». De fait, les deux procédures ont ouvert un espace au centre de l’échiquier politique qu’Emmanuel Macron s’est employé à occuper et à élargir…
De « martingale de la victoire » en 2011, les primaires sont ainsi devenues dans les commentaires dominants (des journalistes comme des acteurs politiques) « une machine à perdre » aux effets incontrôlables incapable de rassembler.
Même si elles ont suscité une très forte mobilisation électorale5, elles ont été à l’évidence un handicap pour les deux candidats victorieux. Conçues pour maintenir l’emprise des partis de gouvernement sur le jeu électoral (contre la menace du FN notamment) en créant les conditions procédurales de l’union, elles ont échappé à leurs organisateurs. Ces déconvenues ont montré les limites de ce suffrage hybride, à la fois partisan et électoral, arbitré par un « sélectorat » extérieur à la communauté militante. Mais ce double échec suffit-il à récuser définitivement l’efficacité électorale de ce dispositif de sélection ? La preuve par la défaite est-elle satisfaisante ?
On déplacera ici la perspective. Notre propos, celui d’un politiste, est de montrer que les primaires ne produisent pas d’effets intrinsèques ou mécaniques. Il n’y a pas de loi des primaires excepté un principe d’incertitude lié aux contours incertains de la base électorale qu’elles mobilisent6. On montrera que si les primaires ont des « effets », ils tiennent dans une large mesure à des propriétés de contexte, des logiques de situation, des anticipations électorales et à l’état des partis qui les déclenchent. On discutera les effets de radicalisation idéologique des primaires et de fragmentation des partis.
Primaires et radicalisation idéologique
Les travaux sur les primaires aux États-Unis sont dominés par l’analyse de leurs effets (à court terme)7 : sont-ils positifs en termes de performance électorale à venir du candidat investi ? La primaire constitue-elle un avantage ou un handicap électoral ? Selon certains travaux, les primaires permettent d’optimiser la phase de désignation du candidat en produisant le candidat le plus « apte » à concourir8 ou permettant d’améliorer sa valeur et de mieux cibler les intérêts de l’électeur médian9. Les primaires obéissent en ce sens à une forme de « rationalité informationnelle ». L’impact électoral des primaires est néanmoins le plus souvent pensé comme « négatif » (« primary penalty thesis »). Selon un motif récurrent dans ces analyses, les primaires attirent des électeurs radicaux (« hardcore partisans ») dont le choix s’oriente vers des candidats en décalage avec les préférences de l’électeur médian10. En d’autres termes, les primaires produisent des candidats dont les performances électorales sont plus faibles dans les élections générales.
La victoire aux primaires de François Fillon et de Benoît Hamon semble plutôt donner crédit à cette thèse des primaires comme « machine à radicaliser » les candidats et à polariser les programmes (tout comme la victoire de Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste en 2015).
La plupart des commentaires qui ont suivi les primaires de 2016 et 2017 vont dans ce sens11. Bernard Dolez note, dans cette optique : « non seulement l’électorat de la primaire n’est pas une projection fractale de l’électorat du parti qui l’organise, mais le mécanisme même de la primaire conduit à la désignation de candidats qui occupent une position moins centrale sur l’axe gauche-droite », « le filtre des primaires » conduisant « à désigner des candidats plus marqués idéologiquement »12.
Cette thèse mérite, selon nous, d’être fortement nuancée. Il est d’abord méthodologiquement délicat d’étalonner politiquement a priori l’électorat général, celui de la primaire, du parti ou de ses adhérents et de ne pas les réifier. La victoire de François Hollande en 2011, qui n’était pas, loin s’en faut, le candidat étiqueté le plus « à gauche », montre par ailleurs que cet effet-radicalisation n’est pas systématique. Le principal atout de François Hollande dont il a alors beaucoup joué a été sa présidentialité et son éligibilité entendue alors comme sa capacité à battre Nicolas Sarkozy (sur la base des sondages)13. Si radicalisation idéologique il y a eu en 2016 et 2017, elle doit surtout essentiellement à des données de contexte et au poids notamment des anticipations de victoires et de défaites.
L’offre programmatique de François Fillon est clairement marquée à droite. Jamais un candidat de droite n’avait proposé un ensemble de mesures aussi libérales sur le plan économique que la fin des 35 heures, 50 milliards d’euros de baisse des charges sur les entreprises, une baisse de 500 000 fonctionnaires, la suppression de l’ISF, l’abolition des régimes spéciaux… Mais, à y regarder de près, c’est l’ensemble des projets des candidats à la primaire qui sont marqués à droite. Il n’y a pas de différences majeures entre les projets d’Alain Juppé, Nicolas Sarkozy, François Fillon ou Bruno Le Maire sur des enjeux comme les 35 heures, les retraites, la baisse de la dépense publique et même sur l’immigration.
Une droitisation s’est engagée dans la primaire qui doit autant au public visé et pré-mobilisé qu’à l’offre politique.
C’est ce que suggère Florence Haegel14 : « il y a eu une dynamique de droitisation. Elle a émergé avant la primaire mais celle-ci l’a entretenue. Les premiers sondages ont montré que le noyau dur de la primaire, les adhérents des Républicains, était très à droite. Tous les candidats se sont référés à cette cible. De ce point de vue, le choix d’Alain Juppé de se tourner vers un public plus large en misant sur sa participation, a été un vrai pari ».
Cette droitisation tient largement aux anticipations de victoire fondées sur les enquêtes d’opinion. Les sympathisants de la droite et du centre sont appelés à désigner un candidat qui est présenté, quelle que soit l’issue de la primaire et pendant l’ensemble du processus, comme le favori à venir de l’élection présidentielle. Cette anticipation a favorisé un candidat à la fois libéral sur le plan économique et conservateur sur le plan culturel15. Thierry Solère, responsable de l’organisation de la primaire, n’a cessé de répéter pendant la campagne que « le vainqueur a de grandes chances de devenir le prochain président de la République »16. On pouvait lire dans Le Monde, le 16 novembre 2016 : « tous les prétendants, quels qu’ils soient, assurent que le vainqueur sera quasiment assuré de devenir le prochain président de la République ». Les propos du député Benoist Apparu, proche d’Alain Juppé, sont éloquents17 :
« On dit que le programme de Juppé est modéré mais c’est faux. Il est nettement libéral. Il y a incontestablement une surenchère idéologique à droite. Elle s’explique par beaucoup d’éléments. La politique assez libérale de Hollande a déplacé toute l’offre vers la droite mais c’est surtout parce que la droite a une chance de réformer en profondeur car elle est sûre de gagner. C’est une chance historique. On peut charger la barque parce que la primaire de droite va sans doute désigner le prochain président, pas seulement le candidat. Et puis pour gagner il faut juste être au second tour face à Le Pen, et pour cela il faut mobiliser la droite. »
Cette prophétie sondagière de victoire a sans doute « surdroitisé » le candidat élu, en phase avec l’électorat de droite mais pas forcément avec « l’opinion » et cette dissonance a constitué un handicap dans la campagne présidentielle dont Emmanuel Macron a cherché à tirer le meilleur parti.
Inversement, la primaire de La belle alliance populaire a été marquée par des fortes anticipations de défaite qui contribuent, d’une autre manière, à expliquer la « radicalité » de l’électorat mobilisé comme de l’offre du candidat désigné. Benoît Hamon a porté des propositions pendant la campagne comme la création d’un revenu universel, le passage aux 32 heures, la revendication d’un 49.3 citoyen ou encore la proposition de légaliser le cannabis très éloignées de la ligne programmatique du parti voire même jamais discutées dans ses débats internes. La presse a majoritairement présenté la primaire de gauche comme sans réel enjeu au regard de l’élection présidentielle et de la défaite annoncée du PS présentée comme inéluctable sur la base des sondages. Le titre du Monde en une, le 3 janvier 2017, est significatif : « Primaire à gauche : une lutte contre le temps et l’indifférence ». L’éditorialiste du même quotidien, Michel Noblecourt, s’interroge le 9 janvier : « une primaire à gauche pour rien ? », étant posé que « le vainqueur de la primaire arriverait en quatre ou cinquième position au premier tour selon les sondages ». Benoît Hamon confie lui-même à Libération le 6 janvier 2017 : « on a l’impression que tout le monde a déjà intériorisé la défaite de la gauche à l’élection présidentielle ».
Dans ce contexte d’anticipation de défaite, les enjeux de la primaire sont redéfinis par rapport à ceux de 2011 ou celle de la droite quelques semaines plus tôt.
Il ne s’est pas tant agi de désigner un éligible en vue de l’élection finale18 que de régler des différends idéologiques non tranchés ou purgés depuis 2012 ou de préparer le leadership futur du PS ou de la gauche.
Si la primaire est ouverte, ses enjeux sont relativement fermés, c’est-à-dire internes au parti. Elle est apparue médiatiquement comme un « pré-congrès » du PS dont l’enjeu est surtout la définition des rapports de forces de l’après défaite attendue mais arbitrée par un public non spécifiquement militant. La stratégie de Benoît Hamon a été de réenchanter par l’utopie une procédure comme frappée d’inutilité et de susciter un réflexe identitaire de l’électorat de gauche.
La primaire n’a de fait mobilisé qu’une minorité de sympathisants socialistes. Les sympathisants du Parti socialiste n’ont représenté que 37 % des personnes ayant voté au premier tour de la primaire, selon une enquête sondage Harris Interactive, réalisée pour Public Sénat et LCP-AN. Opinion Way (janvier 2017) a interrogé les motivations des électeurs lors du premier tour de la primaire du PS. À la question « Au moment de voter lors de cette primaire, vous avez choisi avant tout… ? », les enquêtés ont répondu : pour le candidat le plus proche de vos idées (60 %), le candidat le plus à même d’exercer la fonction de président de la République (20 %), le candidat le plus à même de se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle (19 %). Jean-Yves Le Drian et Stéphane Le Foll peuvent non sans arguments dénoncer une primaire « machine infernale à perdre » qui a fait venir « les électeurs les plus à gauche » plutôt que « notre électorat » (Le Monde, 6 février 2017).
Primaire et fragmentation des partis
Les primaires sont-elles vouées à fragmenter voire détruire les partis ? La primaire est censée être un rituel de différenciation puis d’unification19. Le concept de « coopétition » forgé par Arnaud Montebourg a condensé le mélange optimal de compétition et de coopération qui doit déboucher sur le principe cardinal de la procédure : le ralliement inconditionnel des candidats et du parti au candidat désigné.
Au premier tour de l’élection présidentielle de 2017, force est de constater que les candidats issus des primaires n’ont pas réussi à rassembler leur parti qui est apparu très divisé à la veille de l’élection présidentielle.
Un consensus autour du candidat désigné à droite s’est produit (provisoirement) mais pas à gauche. Mais cette fragmentation est liée à des facteurs différents et elle ne tient pas à la « logique » même des primaires qui serait en soi « destructrice ». Là encore les anticipations (de défaite ou de victoire) ou les cultures ou contextes partisans nous semblent avoir joué un rôle essentiel.
À droite, un consensus s’est rapidement produit autour du candidat désigné qui a joui du ralliement de l’ensemble des responsables des Républicains (dimension que l’échec final de François Fillon a conduit à occulter ex post par un biais de défaite). La cérémonie d’investiture, qui s’est tenue le 15 janvier 2017 devant 2 000 cadres du parti, a mis en scène l’unité retrouvée. Ce consensus a été fortement facilité par le contrôle du parti, l’article 39 des statuts du parti LR confiant au vainqueur les clés du mouvement. Certes certains dirigeants du parti se sont inquiétés de la ligne trop droitière du candidat et ont demandé un rééquilibrage. Le 6 décembre, lors de la réunion hebdomadaire des députés LR, Bernard Accoyer, pourtant secrétaire général du parti, exprime ainsi lui-même le malaise de beaucoup d’élus sur le projet en matière de santé et de sécurité sociale20. Mais la droite est encore soudée autour de son candidat jusque fin janvier 2017. Ce qui a conduit au rassemblement et à transcender les différences à droite, c’est une perspective de gain électoral pour l’ensemble des acteurs en présence (et pas seulement le candidat). La division de la droite à partir de février 2017 tient principalement à un fait contingent de campagne, le « Penelopegate »21. La primaire va cependant protéger François Fillon en créant les conditions et en figeant l’irréversibilité de sa candidature. Si la primaire a constitué un temps une ressource essentielle de légitimation du candidat à droite, elle s’est retournée comme handicap dès lors que, mis en cause, elle a nui à l’émergence d’un candidat de substitution. Comment destituer un candidat adoubé par trois millions d’électeurs et qui tire de ce processus démocratique une forme d’immunité ? François Fillon a utilisé cette légitimité initiale pour empêcher toute construction d’une solution alternative. Aucun consensus n’est parvenu à se dessiner sur un candidat de substitution et surtout sur la méthode permettant de le désigner en dehors de la procédure des primaires. L’hypothèse de re-convoquer des primaires a été effleurée mais vite écartée compte tenu des délais et de la charge logistique. Des solutions permettant de désigner un nouveau candidat ont pourtant été évoquées par François Baroin ou encore Christian Jacob (convocation d’un Conseil national de LR et ses 2 000 membres ou vote direct des adhérents du parti). Elles ont néanmoins réactivé le souvenir repoussoir des anciennes pratiques partisanes où le candidat est pré-désigné par l’appareil sans vote populaire.
La primaire n’a pas conduit au rassemblement au PS et a même exacerbé les logiques centrifuges. La campagne des primaires a été marquée par une forte négativité22. Avant même le second tour, Manuel Valls a prévenu qu’en cas de défaite, il s’effacerait mais ne défendrait pas le programme de son adversaire et en particulier le revenu universel. Dès l’investiture de Benoît Hamon, les déclarations de dirigeants socialistes prenant leur distance avec le candidat se multiplient. Vingt députés revendiquent leur « droit de retrait » et leur défiance par rapport à un candidat jugé « radicalisé ». Bertrand Delanoë, Jean-Yves Le Drian, Manuel Valls… lui retirent leur soutien. Benoît Hamon maintient la ligne programmatique de la primaire et ne donne que tardivement quelques gages de soutien au bilan gouvernemental. Conçue au départ comme un mode de régulation des luttes intra-partisanes, la primaire a au final fracturé le parti, miné depuis 2012 par des formes banalisées d’indiscipline partisane23. L’histoire de la primaire du PS est celle d’un frondeur frondé24, Benoît Hamon qui ne peut s’appuyer sur le soutien de l’appareil de son parti mais ne cherche pas non plus à l’obtenir pour prendre ses distances avec son identité socialiste.
Les anticipations de défaite ont accentué la déréliction et les décompositions partisanes. Les soutiens à Benoît Hamon sont d’autant plus faibles que de nombreux dirigeants socialistes misent sur une victoire d’Emmanuel Macron et qu’un réflexe de vote utile le renforce dans les sondages. Rappelons que 80 députés élus sous le label En Marche ! sont issus des rangs du PS. Le candidat socialiste qui savait la défaite probable n’a pas cherché à sacrifier son identité en se décentrant, se projetant sans nul doute dans l’étape suivante c’est-à-dire la recomposition du leadership de gauche.
Vers un abandon des primaires ?
Les primaires sont au final très dépendantes de l’état des partis qui les organisent. Or les partis de gouvernement étaient particulièrement affaiblis lorsqu’ils ont abordé la dernière élection présidentielle. Réponse à des crises partisanes (leadership, divergences partisanes, déficit d’ancrage social…), les primaires les ont amplifiées.
Conçues comme des garanties d’unité au terme d’un processus compétitif mais procéduralisé, les primaires ont fragmenté les partis et exacerbé des logiques centrifuges.
Mais il faut se garder d’en inférer des conclusions trop générales.
La primaire produit certes des effets structurels en modifiant les règles du jeu. Elle dilate le temps de campagne et rend encore plus difficile la gestion du marathon présidentiel puisqu’il faut enchaîner deux compétitions électorales de natures très différentes et potentiellement contradictoires sollicitant un « sélectorat » puis l’électorat « réel ». Les nouveaux partis-mouvements, créés par et pour un leader auto-proclamé à l’occasion de l’élection présidentielle (En Marche !, La France insoumise) n’ont pas été confrontés à cette épreuve.
Le temps des vertus « magiques » prêtées aux primaires (du renouvellement de la vie démocratique à la rénovation des partis de gouvernement) aura donc été de courte durée. L’heure est aujourd’hui au désenchantement. En septembre 2017, lors d’une consultation, 70 % des militants de LR consultés ont rejeté le principe des primaires et souhaité son abandon. Au PS, Stéphane Le Foll a demandé au Congrès d’Aubervilliers d’avril 2018, de « revoir complètement ce processus de désignation pour le rendre moins déstabilisant », les primaires ayant « servi à éliminer plus qu’à choisir une candidature pour la victoire ». De son côté, François Hollande a déclaré dans un « entretien-testament » au Point le 13 avril 2017 : « il ne doit plus y avoir de primaires dans les partis de gouvernement. Sinon, il n’y aura bientôt plus de parti de gouvernement ». Mais les partis de gouvernement peuvent-ils revenir en arrière (les congrès d’investiture ou les primaires fermées) compte tenu des faiblesses quantitatives et sociologiques de leur base militante ? Les primaires n’ont-elles pas produit un effet cliquet ? Elles ont été conçues comme un moyen de régénérer les partis du « vieux monde ». Ils doivent désormais explorer de nouvelles voies pour se réinventer.
Rémi Lefebvre
Professeur de science politique à l’Université de Lille
Chercheur au CERAPS
- Entretien avec Maël de Calan, responsable du think-tank La Boîte à idées, le 4 avril 2014. ↩
- Entretien avec Jérôme Chartier, député LR, le 20 mars 2014. ↩
- Cité par Olivier Duhamel, Les primaires pour les nuls, First éditions, Paris, 2016, p. 10. ↩
- Benoît Hamon ne rassemble au premier tour de la présidentielle que 25 000 voix de plus que la participation à la primaire. ↩
- Six millions de Français ont participé aux deux procédures. ↩
- Ce qui ne signifie pas que les primaires n’ont pas des effets plus structurels, notamment sur le jeu politique ou les partis. Voir Rémi Lefebvre, Les primaires socialistes. La fin du parti militant, Raison d’agir, Paris, 2011. ↩
- Notamment J. Adams, S. Merrill III, « Candidate and Party Strategies in Two-Stage Elections Begininning with a Primary », American Political Science Review, 52 (2), 2008. ↩
- J. Adams, S. Merrill III, art. cit. ; J.M. Snyder, M.M. Ting, « Electoral Selection with Parties and Primaries », American Journal of Political Science, 55 (4), 2011. ↩
- Bernard Caillaud et Jean Tirole, « Parties as political intermediaries », Quaterly Journal of Economics, 11 (4), 2002. ↩
- La mise en place des « superdélégués » aux conventions américaines d’investiture est censée tempérer cette logique. Représentant l’establishment du parti, ils sont censés éviter qu’un candidat trop « hétérodoxe » ou trop « extrémiste », en bref ne soit choisi par une base manipulée. ↩
- L’historien Jean-Pierre Rioux écrit ainsi : « Les primaires favorisent la révolte des bases militantes et le refus de l’enrégimentement chez chaque citoyen », Le Monde, 25 février 2017. ↩
- Bernard Dolez, « Sept enseignements de la primaire socialiste (et de celle de la droite et du centre) », Revue du droit public, 3, 2017. ↩
- On renvoie à Rémi Lefebvre, « Les primaires : triomphe de la démocratie d’opinion », Pouvoirs, 154, 2015. ↩
- Le Monde, 19 novembre 2016. ↩
- Elle a incité aussi une partie des électeurs de gauche à prendre part à la primaire de droite, censée désigner le futur président de la République (9 % des participants de la primaire de droite sont identifiés par le Cevipof comme des sympathisants de gauche). ↩
- Le Monde, 30 janvier 2017. ↩
- Entretien le 15 mars 2016. ↩
- Les enjeux de « présidentialité » sont dévalués, ce qui renforce l’attraction du discours
« hypo-présidentiel » de Benoît Hamon (refus de se prêter au jeu de « l’homme providentiel ». ↩ - Voir Rémi Lefebvre et Éric Treille, dir., Les primaires ouvertes, PUR, Rennes, 2016. ↩
- Ce qui amène François Fillon à « rassurer » sans « renier son identité » : il reconnaît avoir « rebâti, enrichi, amélioré » son programme, Le Monde, 23 février 2017. ↩
- Dans une perspective anglo-saxonne (c’est l’esprit des primaires américaines), on pourrait considérer que les primaires n’ont pas rempli leur office en ne testant pas l’irréprochabilité du candidat désigné. ↩
- Julia Sandri, Antonella Seddone, Fulvio Venturino, dir., Party Primaries in Comparative Perspective, Farnham, Ashgate, 2015. ↩
- Voir Frédéric Sawicki, « L’épreuve du pouvoir est-elle vouée à être fatale au parti socialiste ? », Pouvoirs, n°163, 2017 et Rémi Lefebvre, « « Dépassement » ou effacement du parti socialiste (2012-2017) ? », Mouvements, 89, 2017. ↩
- Sur les frondeurs, voir Damien Lecomte, Hugo Bouvard, Déborah Perez et al., « « Le respect de la boutique ». L’étiolement de la discipline partisane dans le groupe parlementaire socialiste au cours de la 14e législature (2012-2017) », Politix, 2017/1 (n° 117). ↩