Depuis l’arrestation de notre ami l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal à Alger, à son retour de Paris le 16 novembre 2024, une mobilisation exceptionnelle s’est déployée. Des centaines de tribunes ont été publiées, des milliers d’heures d’antenne lui ont été consacrées en France et en Europe, des dizaines de pétitions ont circulé pour dénoncer sa détention arbitraire dans les geôles du régime algérien. Des comités de soutien ont rassemblé des milliers de signatures, et pas n’importe lesquelles. Cette mobilisation, rare dans son ampleur, témoigne de l’aura de Sansal : un écrivain d’une plume universelle, un résistant acharné face à l’islamisme, un esprit libre dans un monde de plus en plus formaté.
Cependant, malgré cet élan qui a dépassé toutes les attentes, deux absences nous interpellent profondément : celle de figures significatives de la gauche française, ou de ce qu’il en reste. Certes, notre comité de soutien de la Revue Politique et Parlementaire compte des personnalités comme François Hollande ou Arnaud Montebourg, mais il faut bien chercher pour trouver d’autres noms de cette envergure. Et celle des écrivains ou intellectuels algériens, ceux qui connaissent pourtant Boualem Sansal de près. Et là, c’est le silence absolu.
J’ai tenté de mobiliser, d’alerter, de convaincre. En vain. Toujours les mêmes justifications. Certains se retranchent derrière une posture morale : « Il y a des signatures de l’extrême-droite, ça sent mauvais. » Je ne peux pas m’associer à des gens que je considère racistes. » D’autres s’enferment dans une inertie assumée : « Je n’ai jamais signé de pétition, je ne vais pas commencer aujourd’hui. »
Ces réponses, révélatrices d’un embarras ou d’un repli, soulèvent une question troublante : face à une injustice criante, quelle cause pourrait encore transcender les clivages idéologiques et réveiller un sens commun de la solidarité ? Car au-delà de son cas individuel, Boualem Sansal incarne un combat universel pour la liberté d’expression, la justice et l’humanisme. Ignorer cela, c’est fermer les yeux sur une part de nous-mêmes.
Certes, quelques figures courageuses se sont élevées, des francs-tireurs qui refusent de se taire face à l’injustice. Djemila Benhabib, toujours aussi déterminée dans son combat pour la liberté. Omar Aït Mokhtar, coordinateur du Mouvement Citoyen Algérien en France, Hamid Arab, directeur du journal Le Matin d’Algérie, Yahia Belaskri, écrivain et essayiste, Malika Mokeddem, romancière, ou encore Nadia Remadna, présidente de la Brigade des mères, Zak Allal, médecin-chercheur et compositeur et Leïla Zerhouni, auteure belgo-algérienne, Saïd Sadi en exil à Marseille qui est un politique algérien . Leur soutien illumine une scène trop souvent dominée par le silence. Et pourtant, au-delà de ces noms, le désert. Basta. Rien de plus. Nothing more.
Que devons-nous en conclure ?
Je choisis d’adopter une lecture bienveillante, même si elle peine à masquer une certaine désillusion. Peut-être, me dis-je, ces absents se taisent par prudence. Ils ont, pour beaucoup, des attaches en Algérie : des proches à protéger, des souvenirs à préserver, des racines qu’ils ne veulent pas briser. Peut-être gardent-ils une porte secrète ouverte, un jour, pour pouvoir y retourner sans craindre les représailles.
Mais cette retenue, aussi compréhensible soit-elle, pose une question fondamentale : jusqu’où sommes-nous prêts à sacrifier nos convictions pour préserver nos liens ? Et qu’en est-il de ceux qui, comme Boualem Sansal, n’ont jamais reculé devant la vérité, même au prix de leur liberté ? Leur courage ne mérite-t-il pas que l’on brise, ne serait-ce qu’un instant, ce silence pesant ?
Car si l’on était une injustice aujourd’hui, combien d’autres deviendront demain invisibles, oubliées, tolérées ?
Kamel Bencheikh, écrivain