La publication au début de ce mois par la Maison Blanche de la Stratégie de sécurité nationale qui dénonce les dérives de l’Union européenne provoque ici une levée de boucliers. Il est vrai que l’administration Trump ne ménage pas l’Europe en décrivant un continent en déclin et en perte d’identité. Un constat amer. Au lieu de s’offusquer de cette ingérence -bien réelle- dans leurs affaires, les Européens seraient avisés de prendre en compte une alerte souvent argumentée.
Dès lors que Donald Trump s’exprime sur l’Europe, des élites européennes -et singulièrement françaises- se cabrent et renvoient le président des Etats-Unis à ses excès de langage habituels pour décrédibiliser son propos. Comme si cette réaction épidermique était la seule qui vaille, face au regard abrupt porté par Washington sur le vieux continent. « Ce que nous ne pouvons accepter, c’est cette menace d’ingérence dans la vie politique européenne » a aussitôt réagi le président du Conseil européen Antonio Costa. L’interférence dans les affaires intérieures de l’Europe ne fait aucun doute. Mais au lieu de pousser des cris d’orfraie ou de se draper dans leur dignité offensée, les 27 pourraient utilement s’intéresser au contenu de cette analyse militante et disruptive. Les contempteurs de Trump ont-ils vraiment lu ce que dit de l’Europe le document américain sur la Stratégie de sécurité nationale ?
Un regard cru sur l’avenir de l’Europe
Moins de trois pages sur les vingt-neuf que compte la version originale du rapport publié par la Maison Blanche sont consacrées à l’Europe, ce qui relativise l’intérêt que nous suscitons outre atlantique. A aucun moment ce document intitulé « Promoting European Greatness » ne critique l’essence même de l’Europe. En revanche -et sans ambiguïté de façon totalement intrusive- le texte montre factuellement le recul de la puissance européenne et le délitement de ses valeurs originelles. « L’Europe continentale a perdu des parts de PIB mondial, passant de 25 % en 1990 à 14 % aujourd’hui » constate la Stratégie de sécurité nationale, en pointant du doigt les « réglementations nationales et transnationales qui sapent la créativité et l’esprit d’entreprise ». Ingérence ? En effet, surtout lorsque l’administration Trump dénonce une « obsession malvenue pour la réglementation étouffante ». Faut-il pour autant balayer d’un revers de main les critiques américaines sur ce bilan, que dénoncent depuis des années chefs d’entreprise et simples citoyens accablés de normes bureaucratiques et d’interdits par la Commission européenne ?
« L’effacement civilisationnel » choque Bruxelles
Cette expression employée dans le document américain pour qualifier l’Europe d’Ursula von der Leyen et d’Emmanuel Macron suscite le plus de réactions indignées. Sans doute parce que les Etats-Unis insistent sur un sujet tabou pour les européistes les plus ardents, qui refusent de voir les conséquences des politiques européennes menées ces dernières décennies. « Si les tendances actuelles se poursuivent, le continent sera méconnaissable d’ici 20 ans ou moins » écrit le rapport en évoquant notamment « les politiques migratoires qui transforment le continent et créent des conflits » et « la perte des identités nationales ». Ironie de l’histoire l’Union européenne -qui dénonce l’outrance des critiques américaines- affiche en même temps une soudaine volonté de restriction de sa généreuse politique d’immigration, face à la montée des partis de droite radicale. L’expulsion de migrants dans des centres situés hors des frontières de l’UE a été au cœur de la réunion des ministres de l’Intérieur des Etats membres lundi 8 décembre à Bruxelles.
USA-UE une fracture conceptuelle
L’analyse sur l’Ukraine de la Stratégie de sécurité nationale cache mal le tropisme pro-russe de Donald Trump. Au-delà de cette divergence sur un sujet en particulier -régional pour les USA et essentiel pour l’Europe- le rapport publié par la Maison Blanche éclaire une fracture conceptuelle entre les politiques menées à Washington et Bruxelles. Concernant l’Europe qui « reste stratégiquement et culturellement vitale pour les Etats-Unis » le président américain veut « cultiver au sein des nations européennes la résistance à la trajectoire actuelle de l’Europe ». Plus généralement le document expose clairement les intérêts que Washington entend défendre pour assurer la place des Etats-Unis dans le monde. Une vision assez différente des préoccupations de l’UE exprimées lors du dernier discours de la présidente de la Commission européenne sur l’état de l’Union où « l’équité numérique », la décarbonation, le pacte pour la Méditerranée, la communication humanitaire et « les initiatives sur la transférabilité des compétences » côtoyaient les vrais sujets économiques et de sécurité qui devraient être les priorités absolues de l’Europe.
Bertrand Gallicher,
éditorialiste spécialiste des relations internationales


















