Chief Corporate Strategist chez Dassault Systèmes, Sébastien Massart participera à la table ronde “IA : entre mythe et réalité”. Aussi, il nous apporte son regard sur l’IA.
Revue Politique et Parlementaire – Que dit de nous notre rapport à l’IA ?
Sébastien Massart – Cela s’inscrit dans la continuité d’un imaginaire ancien concernant les technologies émergentes. Notre fascination ne rappelle-t-elle pas par certains aspects l’enthousiasme pour l’électricité puis le magnétisme, à l’époque des cabinets de curiosités, avec des expériences faisant le tour de toutes les cours d’Europe ? Nous réveillons un imaginaire archaïque concernant le rapport de l’Homme à la machine, au travail… Nous sommes à la recherche d’un enchantement et nous rêvons de progrès.
C’est extrêmement positif, tant que cela ne nous détache pas du monde tel qu’il est. Ce rapport à l’IA est à la fois irrationnel et efficace : c’est parce qu’on y croit que cela fonctionne.
Il y a donc un soubassement symbolique, on pourrait dire psycho-social. Le fondement rationnel est la progression fulgurante des sciences cognitives : le succès des « modèles fondationnels » (pas uniquement les LLMs) peut se voir comme une découverte quant à la structure du langage et de nos relations avec le monde. Cela parle de nous, puisqu’en créant des prothèses pour l’esprit nous comprenons mieux comment notre esprit fonctionne. Nous entrons dans une réflexivité nouvelle.
RPP – Quels possibles ouvre-t-elle ?
Sébastien Massart – L’IA générative est une étape nouvelle de la virtualisation accélérée du monde. Nous ne nous en rendons pas toujours compte mais nous habitons déjà le monde en « R+V », en réel et virtuel. Si nous nous retournons sur les quarante dernières années, l’évolution a été très rapide déjà : nous collaborons et communiquons avec une aisance nouvelle, nous savons modéliser et simuler des scenarios futurs, nous collectons des masses colossales de données pour les rendre intelligibles. Dans les 10 à 20 prochaines années, nous aurons accès à des possibilités que nous pouvons à peine imaginer aujourd’hui. De nouvelles sciences et de nouvelles connaissances deviennent accessibles.
L’IA générative accroît notre capacité d’observation, vers des échelles supérieures : par exemple pour la prévention en santé ou pour la nutrition, nous n’avions jusqu’à aujourd’hui pas les bons « microscopes » pour analyser les parcours individuels au sein de grandes cohortes en vie réelle.
Une nouvelle instrumentation apparaîtra également dans le domaine des sciences humaines – prolongeant et affinant par exemple les travaux engagés par l’économiste Esther Duflo.
RPP – Comment réussir à dialoguer au mieux grâce à l’IA ?
Sébastien Massart – Je rêve que ces nouvelles technologies nous donnent accès à de nouvelles représentations du monde. Peut-être en observant nos nouveaux instruments nous découvrirons des phénomènes que nous n’avions jamais imaginés, comme Pasteur ou Galilée l’on fait en pointant leurs instruments dans le bon sens… Ils ont déclenché un vertige en leur temps, qui a généré de grandes choses et conduit à formuler de nouvelles représentations dans la société. Ce n’est donc pas l’IA qui dialoguera à notre place, mais plutôt nos sociétés, nos savants, nos entreprises, qui devront inventer le langage et les protocoles pour habiter un tel monde, rempli de possibilités nouvelles. Le philosophe Pierre Musso a critiqué la notion de réseau : on voit que certains paradigmes de l’IA restent très liés à cet imaginaire « réticulaire » (réseaux de neurones, connexionnisme…), qui est une vision réductrice de la cybernétique. Chez Dassault Systèmes nous parlons de « métamorphose » : comme le vivant nous devons inventer en mobilisant l’existant. Il s’agit alors d’imaginer une nouvelle gouvernance, centrée sur l’humain, et de s’assurer que l’on accroît la capacité de chacun. C’est de ce côté qu’il faut chercher pour écarter un nouveau mythe de Babel.
Sébastien Massart
Chief corporate Strategist chez Dassault Systèmes