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dans Politique

Libération du territoire et reconstruction – 1871-1878 – suite

Benjamin ConstantyParBenjamin Constanty
13 juillet 2021
Libération du territoire et reconstruction – 1871-1878

A l’occasion des 150 ans de la proclamation de la République, la Revue Politique et Parlementaire a publié en septembre dernier « un cahier républicain ». Durant toute cette semaine, nous diffusons les contributions du « deuxième cahier républicain » rédigé par l’Observatoire de la vie politique et parlementaire pour les 150 ans des Assemblées de Bordeaux et de Versailles. Aujourd’hui la seconde partie de « Le prix à payer pour libérer le territoire » par Benjamin Constanty.

Le prix à payer pour libérer le territoire

Les grands emprunts de 1871 et 1872 pour le paiement des « cinq milliards » d’indemnités de guerre

A l’issue de la désastreuse guerre franco-prussienne (1870-1871), le nouveau gouvernement français se plie aux exigences du vainqueur allemand. Celles-ci se chiffrent en cinq milliards de francs qui s’additionnent à l’annexion de l’Alsace-Lorraine. Dans son programme de relèvement national, Adolphe Thiers s’engage alors résolument dans le paiement des réparations de guerre qu’il a négociées à la baisse avec l’Allemagne, afin de parvenir au plus vite à la libération du territoire occupé qui s’étend des Ardennes à la Seine. Le principe de la libération progressive du territoire français par les Allemands contre le paiement de l’indemnité est accepté dans les négociations préliminaires de la paix en février 1871, entériné par le traité de Francfort et précisé par des conventions additionnelles.

Dans son discours devant l’Assemblée nationale du 20 juin 1871, le chef de l’exécutif donne une estimation du coût de la guerre qui vient de s’achever avec la signature du Traité de Francfort le 10 mai 1871. Selon les chiffres qu’il présente, la guerre aura pesé pour 8 milliards de francs sur le Trésor Public. Ce total englobe à la fois les dépenses extraordinaires de guerre estimées à 3 milliards de francs mais aussi les indemnités de guerre, fixées à 5 milliards de francs lors des négociations préliminaires de paix.

Pour financer les dépenses de guerre, les ministres des finances successifs ont procédé à plusieurs opérations. En août 1870, le ministère des Finances a lancé une souscription de 800 millions de francs. En octobre 1870, le gouvernement de Défense Nationale parvient à emprunter 200 millions de francs auprès de la banque américaine Morgan. Enfin les avances consenties par les régents de la Banque de France, en raison de la situation exceptionnelle créée par la guerre à outrance et le siège de Paris, procurent plus d’un milliard et demi de francs à des gouvernements aux abois.

L’indemnité de guerre crée une charge durable pour les finances publiques françaises

L’imposition d’indemnités de guerre par le vainqueur n’est pas un fait nouveau. Napoléon Ier en avait largement usé sur les territoires conquis, pour subvenir aux besoins de son armée. Toutefois, la taille des indemnités ne peut s’expliquer seulement par le coût de la guerre et les besoins de financement de l’Allemagne1. (1815) Le chancelier Bismarck a cherché à affaiblir la France, dans la perspective d’une reprise probable du conflit entre les deux puissances. Alors que le Ministère de l’Etat Prussien semble d’abord privilégier une somme autour des trois milliards de francs, le chancelier choisit une figure médiane entre la proposition modérée du financier Gerson von Bleichröder – un banquier juif proche des Rothschild – et celle, maximaliste, du Comte Guido Henckel von Donnersmark2. Il propose 6 milliards et imagine une combinaison financière pour que les deux hommes qui l’ont conseillé aient la main sur la dette française. Thiers refuse l’appui des financiers prussiens et négocie un rabais d’un milliard de francs.  

Pour souligner la taille significative de l’indemnité, on a calculé à titre indicatif, le pourcentage que représentait l’indemnité de 5 milliards sur le revenu national de la période. Il faut prendre avec précaution les estimations données par les historiens Jean-Claude Toutain et Maurice Lévy-Leboyer du revenu national3 parce qu’elles reposent sur des approximations postérieures avec des données lacunaires. Toutefois, si l’on prend comme point de départ l’estimation donnée par Lévy-Leboyer de 20 milliards de francs pour l’année 1870, le coût de l’indemnité et les frais additionnels d’emprunts représenterait entre un quart et un tiers du revenu national brut produit sur une année.

Sur le court-terme, l’indemnité fut payée grâce à la fortune des souscripteurs, aux avances de la Banque de France et à la dette flottante du Trésor. Sur le long terme, l’indemnité entraîna le paiement d’intérêts par le Trésor s’élevant à 350 millions de francs par année, sur plusieurs dizaines d’années. Toutes proportions gardées par rapport au revenu national de l’époque, on pourrait comparer cela à 700 milliards d’emprunts nouveaux émis entre 2020 et 2022 dont les intérêts annuels se chiffreraient à 42 milliards par an pendant 10 ans puis diminueraient progressivement jusqu’à représenter une vingtaine de milliards, trente ans après4.

L’indemnité imposée par le chancelier prussien Bismarck aggrave la situation financière de la France, en ajoutant 5 milliards de francs de dette à une situation d’ores et déjà difficile. A titre de compensation pour la cession des chemins de fer de la Compagnie des Chemins de fer de l’Est, 325 millions de francs sont soustraits à cette somme. Cela n’empêchera pas le gouvernement français d’apporter une compensation aux actionnaires de la compagnie à hauteur du même montant mais cela lui permettra de l’étaler sur le long-terme à un taux avantageux. Par ailleurs, les frais d’occupation des troupes allemandes et ceux engendrés par les emprunts engendrent des coûts supplémentaires.

Le paiement progressif de l’indemnité est érigé en priorité pour libérer le territoire

Le traité de Francfort fixe un échéancier de paiement qui court de mai 1871 à mars 1874. Grâce au succès des deux grands emprunts, la France parvient à rembourser l’Allemagne en avance de plusieurs mois, dès septembre 1873. Deux grandes étapes apparaissent dans le retrait progressif des troupes allemandes dans les départements situés entre la Seine et l’Alsace. Le paiement de 2 milliards en un an, de mai 1871 à mai 1872, doit d’abord permettre de libérer les départements à l’ouest et au sud de la Marne. Les trois milliards restants et les intérêts sur cette somme demandés en sus par l’Allemagne, doivent permettre d’obtenir la libération des 6 derniers départements que sont la Marne, la Haute Marne, les Ardennes, les Vosges, la Meurthe et la Meurthe en Moselle. Lors des négociations additionnelles de juin 1872, Adolphe Thiers échange un morceau de Lorraine pour récupérer le territoire de Belfort, dont les faits de résistance lui ont valu ce traitement de faveur.5

Pour respecter le calendrier fixé par le Traité de Francfort, le gouvernement décide de procéder à deux emprunts nationaux ouverts à tous les particuliers et fait voter une série de nouveaux impôts indirects. Les impôts servent à amortir les emprunts sur le long-terme et représentent une garantie que les souscripteurs seront bien payés. Les droits de timbre et d’enregistrement sont ainsi augmentés significativement, les tarifs douaniers sont remis à l’ordre du jour, après leur abaissement sous le Second Empire, et le gouvernement choisit de taxer des matières utilisées dans les industries et plusieurs produits de consommation comme le tabac, les sucres ou les vins. Enfin, une nouvelle taxe est créée sur les revenus mobiliers à hauteur de 3% mais celle-ci exempt les rentes d’Etats français.

Le 26 juin 1871 un premier emprunt de 2 milliards est lancé, augmenté de 300 millions pour payer les frais d’émission. En juillet 1872, il est complété par un deuxième emprunt de 3 milliards augmenté de 500 millions pour payer les frais et les 300 millions d’intérêts sur ces 3 milliards demandés en sus par l’Allemagne. Tandis que le premier emprunt est souscrit plus de deux fois, le second emprunt l’est plus de treize fois. En raison de cette sursouscription, on doit réduire en proportion la part attribuée à chacun par rapport à la souscription originelle.  Pour comprendre ce résultat, il faut examiner les spécificités du mode d’emprunt qui a été choisi et qui répond à trois objectifs : attirer suffisamment de capitaux, recueillir assez de change et assurer le classement de l’emprunt.

Le choix de la souscription publique est motivé par des expériences passées réussies, mais les résultats dépassent les attentes

La souscription publique a déjà fait ses preuves durant le Second Empire pour financer la politique urbaine du préfet Haussmann à Paris et les expéditions dans lesquelles Napoléon III s’est engagé. Elle repose sur la vente par le Trésor public de titres en papier qui rapportent chaque année une somme fixe, théoriquement à perpétuité, mais dans les faits jusqu’au rachat de ces titres par le Trésor public. En 1871, et en 1872, le gouvernement choisit d’émettre des titres qui donnent droit à des versements annuels de 5 francs. C’est ce que l’on appelle à l’époque « 5 francs de rente ». Le prix de vente fixé pour le premier emprunt est de 82,5 francs pour 5 francs de rentes. Il est de 84,5 francs pour le second emprunt. L’augmentation du prix de vente des titres, entre le premier et le second emprunt, est le signe d’un environnement plus favorable pour le gouvernement. A l’inverse, lorsque le gouvernement français a émis des titres à 57,5 francs pour 5 francs de rente après Waterloo en 1816, l’emprunt lui a été beaucoup plus coûteux.

On peut facilement calculer le taux d’intérêt annuel payé par le gouvernement aux souscripteurs pour les emprunts de 1871 et de 1872. Il correspond au ratio entre les versements annuels payés par le gouvernement aux souscripteurs par rapport au prix de vente des titres lors de la souscription. En d’autres termes, il faut diviser les 5 francs de rente par 82,5 ou 84,5 et multiplier le tout par cent pour obtenir le taux d’intérêt de la souscription. En 1871, cela correspond à 6,06% et en 1872, à 5,92%. Si l’on en croit les travaux conduits pour estimer le rendement moyen de l’époque, 6% était un rendement bien au-dessus de la moyenne de l’époque

6. Les souscriptions étaient donc avantageuses pour ceux qui les prenaient. Elles offraient un rendement relativement élevé, pour un risque assez faible mais étaient assez coûteuses pour le gouvernement lorsqu’on y ajoutait les frais de l’emprunt.

Les emprunts nationaux suscitent non seulement un engouement certain des milieux financiers en France et à l’étranger mais suscitent aussi l’intérêt de la classe des petits propriétaires. Là encore, l’emprunt de 1872 attire plus les foules que celui de l’année précédente. 335 000 souscripteurs prennent part à l’opération en 1871 ; presque trois fois plus l’année suivante. Le gouvernement de Thiers transforme les souscriptions en moment de célébration nationale et de triomphe pour la république conservatrice. Les grosses souscriptions proviennent largement de Paris et de l’étranger, là où les financiers sont les plus actifs. Ce que l’on appelle alors « les départements » apportent toutefois une part non négligeable dans la souscription. Ils offrent plus d’un milliard lors de la première souscription, et plus de quatre milliards lors de la seconde. En 1872, après réduction par treize fois du montant, la souscription moyenne par personne dans les départements est de 24 francs de capital investi. Elle est à mettre en perspective avec la souscription moyenne de plus de 1700 francs à Paris et à l’étranger. Toutefois, les départements représentent les neuf dixièmes des souscripteurs. Tandis que Paris et l’Etranger apportent l’essentiel des capitaux, les départements apportent l’essentiel de la masse des souscripteurs. 

De nombreuses mesures ont été prises pour faire de la souscription un succès. Le jour de la souscription, tous ceux qui souhaitent souscrire en France doivent se rendre dans les guichets du Trésor. Le gouvernement fait en sorte d’organiser le second emprunt un dimanche pour permettre au plus grand nombre de monde de participer et autorise les petites souscriptions jusqu’à 5 francs de rente. Les établissements financiers peuvent souscrire en une fois pour tout un groupe d’individus auprès du Trésor. Dans les départements, on se presse chez les trésoriers généraux, les receveurs particuliers et les percepteurs. A Paris, on se rend aux mairies d’arrondissement et au bureau central, au Palais de l’Industrie7. Quelques jours avant on a remis aux receveurs généraux et aux percepteurs des affiches pour qu’ils puissent faire de la publicité pour l’emprunt. A Paris, on accroche sur les boulevards les conditions de l’emprunt.

L’enthousiasme est encouragé par la presse, les milieux financiers et ceux qui voient la souscription comme un acte patriotique. Dans les journaux, les banques usent des encarts publicitaires pour offrir de prendre gratuitement les ordres de souscription pour le compte des particuliers8. Les Parisiens les plus fortunés reçoivent directement des missives des banques qui les invitent à souscrire par leur biais, sans frais ; les agents de change profitent de leurs conditions privilégiées par lesquelles ils sont autorisés à souscrire auprès du Trésor pour souscrire massivement en échange de titres de Bourse ; au Crédit Lyonnais, les directeurs décident d’investir pour leur compte dans les souscriptions. A la publicité positive faite par les journaux et les milieux financiers, s’ajoutent des initiatives de souscriptions collectives ouvertement patriotiques, de la part d’associations qui ont collecté des fonds via des loteries ou d’autres moyens. Si celles-ci ne semblent pas avoir représenté un montant élevé, elles sont fortement médiatisées. On retrouve des traces de cette ferveur patriotique jusque dans la diaspora alsacienne installée aux Etats-Unis, où les frères Lazard souscrivent avec entrain9.

Le bon « classement » de l’emprunt fait rentrer dans les caisses du Trésor l’argent des souscripteurs

Les journées de souscriptions ne sont que la première étape du processus par lequel l’argent des souscripteurs est remise aux caissiers de l’Etat. Un emprunt est dit « classé » lorsque les sommes promises par les souscripteurs arrivent effectivement à la disposition de l’Etat. Lors de la souscription, les souscripteurs ne remettent qu’une petite partie de la somme finalement encaissée par le Trésor, qu’on appelle le versement de garantie. Cette somme représente d’abord 12 francs pour 5 francs de rente en 1871, puis 14,5 francs en 1872. Les paiements au Trésor suivants permettent d’atteindre les 82,5 fr ou 84,5 fr promis par les souscripteurs. Ces paiements sont échelonnés en plusieurs versements mensuels ; 16 en 1871, et 20 en 1872. Cela facilite la souscription, parce que les souscripteurs ont besoin de moins de trésorerie, et permet d’éviter que le drain monétaire soit concentré en un seul moment, ce qui pourrait empêcher le reste de l’économie de fonctionner normalement. Toutefois, ce mode d’emprunt échelonné soulève un risque important. Les souscripteurs pourraient ne pas payer l’intégralité de la somme pour laquelle ils se sont engagés ; l’emprunt risquerait, malgré la forte souscription, de ne pas se classer sur le long-terme et de ne pas procurer au Trésor les sommes prévues.

Lors de l’émission de ses emprunts, le Trésor peut alors compter sur le dynamisme du marché boursier qui offre des opportunités pour bien gérer le classement de l’emprunt, mais qui est aussi un haut lieu de spéculation10. Le développement de l’institution a permis au Trésor d’entretenir l’intérêt pour ses émissions de titres et de transformer sa dette en véritable marchandises, qui s’échangeaient facilement sur la place parisienne, ou sur celle de Lyon, Marseille, Paris ou Lille. Le cours de ces titres sur le marché secondaire est un indicateur important de la confiance accordée par les acheteurs au Trésor français. Si un souscripteur ne peut ou ne veut payer l’intégralité de la souscription, il peut vendre le titre à quelqu’un d’autre et transmettre son engagement à celui-ci. La spéculation est officiellement découragée par le gouvernement pour éviter qu’à la hausse trop rapide des cours succède un effondrement qui affecterait la valeur des titres de dette émis par l’Etat. Cela n’empêche pas la spéculation de garantir une partie importante du succès de l’emprunt puisqu’un engouement spéculatif crée des conditions favorables pour une « sur-souscription ». Elle rend cependant le classement de l’emprunt vulnérable à la volatilité des spéculateurs.

Pour faciliter le classement de l’emprunt, le gouvernement fait appel à des banques reconnues, dont les engagements sont considérés comme plus fermes que ceux des autres et dont le réseau permet d’atteindre un public élargi, notamment provincial ou international. C’est quasi-exclusivement auprès de Rothschild et de ses partenaires (Pillet-Will, Mallet, Hottinguer, Fould, André et Cie, …) que le gouvernement se tourne en 1871. Pour les deux premiers milliards, le gouvernement acquiert une garantie pour la moitié de l’emprunt auprès de Rothschild en échange de commissions généreuses. Pour les trois milliards restants, le gouvernement garantit seulement le dernier milliard. Ces garanties ne seront pas utilisées, mais elles ont l’avantage d’intéresser les banques dans le succès des emprunts. Les grosses souscriptions faites par des établissements reconnus par le Trésor sont d’ailleurs favorisées par des commissions additionnelles. En termes de montants souscrits, quelques acteurs se démarquent particulièrement, outre Rothschild, lors du second emprunt ; c’est le cas de la Banque de Paris et des Pays-Bas fondée en 1872 ou du Crédit Lyonnais qui anticipe bien le succès de l’emprunt en 1872 et « sur-souscrit » en proportion ; il fait des bénéfices exceptionnels en 1872 et 1873, grâce à la hausse des cours et à sa connaissance des marchés boursiers parisien et londonien.

Les arrangements du Trésor pour payer l’indemnité en monnaie étrangère

Le Traité de Francfort stipulait que le remboursement des indemnités devait être fait en thalers, la monnaie prussienne, en or ou en argent, en billets de la Banque d’Angleterre, de Prusse, des Pays-Bas ou de Belgique, ainsi qu’en lettres de change de premier ordre à un taux de change fixe avec le franc. Le gouvernement français est forcé de se procurer du change pour payer l’indemnité. Il doit faire en sorte d’en trouver au meilleur prix, sans toutefois déprécier trop la valeur du franc sur les marchés. L’intégration de la France aux réseaux commerciaux et financiers européens facilite grandement l’opération. Le gouvernement français se procure du change11 via trois canaux principaux : en achetant le change directement sur les places financières ; en le faisant fournir par les souscriptions à l’étranger ; en contractant avec des syndicats de banques pour se procurer du change à un prix fixe. Ces deux derniers moyens prennent une place croissante entre 1871 et 1873.

Le gouvernement cherche à se prémunir contre le risque du change par des accords avec les syndicats de banque12. Lors du premier emprunt, le gouvernement s’est principalement procuré des thalers en vendant du numéraire, des traites, des métaux et des francs contre du change. Toutefois, le Trésor conclut en août 1871 un « traité » avec la Banque de Paris et des établissements de crédit pour la fourniture de 200 millions de change. Pour les trois milliards suivants, le gouvernement français négocie un « traité » avec deux syndicats de banque pour l’obtention de 700 millions de change. La fourniture de ce change est partagée entre un groupe majoritaire menée par les Rothschild, et un groupe minoritaire mené par la Banque de Paris et le Comptoir d’Escompte. Ces deux groupes, en outre de leur participation dans ce traité, ont un rôle aussi considérable dans les souscriptions à l’étranger. Le réseau tissé par les Rothschild, par les maisons de la « haute banque » et par les établissements de crédit avec l’étranger, est particulièrement utile pour procurer des souscriptions et du change au gouvernement. Il n’est donc pas étonnant qu’on retrouve de nombreux établissements français dans les souscriptions à l’étranger, notamment le Crédit Lyonnais qui souscrit presque complètement à l’étranger en 1872.

Le gouvernement français facilite grandement les souscriptions à l’étranger afin d’obtenir du change. En 1872, il octroie une commission de 0,5% pour certains des établissements souscrivant à l’étranger, contrairement à la commission maximale de 0,125% en France. Par ailleurs, il autorise la souscription avec des titres et des traites commerciales, un avantage considérable pour la spéculation parce que ce moyen ne requiert presque pas de trésorerie, mais seulement un jeu d’écriture entre plusieurs établissements. Le gouvernement installe une agence du gouvernement à Londres sous la direction de Monsieur Maintenant, inspecteur des Finances. Le Trésor maintient par ailleurs un réseau de correspondants étrangers dans les autres places financières, pour gérer les souscriptions et procéder à des achats de change. De grands établissements banquiers qui traitent directement avec le ministère et opèrent pour son compte la prise de souscription. Les marchés de Londres, Amsterdam, Anvers et même Francfort ou Berlin sont particulièrement actifs et offrent plus de 24 milliards en 1872, plus que Paris et les départements réunis.

Le succès des emprunts a été utilisé par les républicains pour consolider l’assise d’un régime nouveau et se démarquer d’un empire défait. En ce sens, éditorialistes et hommes politiques ont fait de cette « victoire morale », un double symbole. Celui d’abord, du patriotisme des Français, Alsaciens compris, qui malgré la déroute de Sedan et les restrictions, se retrouvent en masse devant les guichets du Trésor pour souscrire. C’est aussi et surtout, un moyen de flatter la fierté nationale devant des puissances européennes qui ont refusé d’intervenir dans la Guerre Franco-Prussienne. On s’enthousiasme alors des éditoriaux de la presse étrangère qui reconnaissent une certaine grandeur retrouvée de la France, et qui la replacent au cœur de l’échiquier financier européen.

Face à cette lecture politique, il s’agit de ne pas oublier, avec Paul Leroy-Beaulieu13, que les conditions matérielles offertes par l’Etat étaient intéressantes pour l’époque, et permettent à elles seules d’expliquer l’empressement populaire. Le taux de rendement élevé, les facilités d’échelonnement pour les versements, la promesse d’une plus-value rapide à la revente sont autant d’incitations auxquelles les souscripteurs ont répondu. On aurait tort de mesurer exclusivement le succès de la souscription à travers les montants demandés lors de la souscription. La « sur-souscription » fut d’abord le reflet de la spéculation des milieux financiers, intéressés par de belles commissions et des perspectives très prometteuses. Alors que les petits souscripteurs ont apporté des pièces métalliques, les gros souscripteurs tendent à s’appuyer sur l’échange de titres et de papier-monnaie ; des expédients financiers qui permirent à l’épargne d’absorber progressivement ces énormes emprunts.

Plusieurs facteurs institutionnels expliquent également la confiance des souscripteurs dans les emprunts de 1871 et 1872. On a vu précédemment le rôle du marché boursier et du réseau bancaire dans les souscriptions nationales. Il convient d’y ajouter celui de la Banque de France qui intervient en amont et en aval des emprunts. Par son service de nantissement sur titres et son activité de réescompte, elle apporte aux souscripteurs des liquidités précieuses durant la souscription initiale et pendant la période de classement de l’emprunt. D’un autre côté, elle contribue aussi à pallier le problème de la rareté des moyens de paiements qui succède à ces grandes ponctions monétaires que représentent les emprunts. Cela explique qu’entre 1870 et 1873, le plafond d’émission de billets de banque de la Banque de France double presque, tandis que la composition de son émission change décisivement vers des petites coupures de 50 francs et en-dessous. Pour parfaire cet assemblage institutionnel, la sacralisation du remboursement des dettes de l’Etat éloigne l’ombre du défaut pour les créanciers14. Depuis la Restauration et contre le souvenir de la banqueroute des deux-tiers de 1797, le gouvernement français s’est fait un devoir de rembourser ses dettes15. C’est en vertu de ces garanties solides, non éprouvées par la guerre et les changements de régime (en 1848 comme en 1870), que les souscripteurs consentent à apporter leurs fonds contre la remise d’une reconnaissance de dette sur papier.

Les réseaux financiers mobilisés par les emprunts nous éclairent sur la géographie financière de l’Europe. On ne peut que constater la place prépondérante prise par Londres où transitent capitaux et change. Les souscriptions considérables à Francfort ou Berlin, soulignent l’ascendant des milieux financiers allemands. Dans le cas de l’Allemagne, il est toutefois difficile de déterminer le rôle exact que jouât l’indemnité dans son décollage industriel. Cet argent a sans doute facilité l’unification monétaire et économique de l’Empire, en permettant de fondre une monnaie nouvelle en or et en soldant les dettes des Etats allemands. En contrepartie, comme nombre d’observateurs contemporains l’ont remarqué16, l’aubaine que procure l’indemnité entraîne un mouvement d’inflation et de spéculation boursière en Allemagne et en Autriche. La panique boursière et financière de l’été 1873 y met un terme mais elle enclenche un mouvement déflationniste et des faillites dont les soubresauts vont continuer à agiter l’Europe jusque dans les années 1890s.

En France, frappée plus tardivement par le marasme, le poids du service de la dette occasionnée par les indemnités n’empêche pas les hommes de la Troisième République de s’engager dans des projets d’investissements importants. Dès 1878, Charles de Freycinet convainc les parlementaires de soutenir son vaste projet de travaux publics. On fait voter des crédits pour l’établissement de chemins de fer dans les campagnes ; pour des aménagements portuaires et le creusement de canaux de navigation ; pour subventionner les chemins vicinaux. Avec les lois sur l’éducation de Jules Ferry, on ne rechigne pas non plus à financer la construction et l’équipement des écoles primaires.  Les grands emprunts n’ont pas fait que drainer les caisses du Trésor public, ils ont prouvé la capacité de l’Etat français à s’endetter plus et celle des Français à supporter plus de taxes. Ils ont aussi démontré la capacité de la France à s’insérer dans un marché mondial des capitaux de plus en plus mobiles, que favorisent l’adoption de l’étalon-or en Allemagne (1871) puis en France (1876), et l’essor des grands établissements de crédit.

Benjamin Constanty
Etudiant en master II d’Histoire – EHESS
Diplômé de  Science Po Paris (Ecole des Relations internationales) – Politique économique internationale

  1. Charles Kindleberger discute ce point à partir de la page 240 de son ouvrage, A Financial History of Western Europe, George Allen & Unwin, 1984. ↩
  2. Fritz Stern, Gold and Iron: Bismarck, Bleichröder, and the Building of the German Empire, New-York: Alfred A. Knopf, 1977, p.146. ↩
  3. On s’appuie ici sur la discussion critique des diverses estimations du PIB donnée par Jean-Charles Asselain dans son texte de 2006 intitulé Le projet français d’histoire quantitative : ambitions et résultats, Économies et sociétés, Presses de l’ISMEA, 2007, p.19. Pour les sources originales des estimations, se référer à : Maurice Lévy-Leboyer et François Bourguignon, l’Economie Française au XIXe siècle: Analyse macro-économique, Vol. 6, Economica, 1985 ; J.-C. Toutain, « Le produit intérieur brut de la France, 1789- 1982 », Economies et Sociétés, 21(5), 1987, p.1-247. ↩
  4. Pour cette estimation du service de la dette, trente ans après, on a compté les conversions de 1885, 1894 et 1902 qui ont réduit la charge annuelle à environ 200 millions par an, ainsi que l’augmentation du revenu national à 25 milliards, toujours selon Maurice Lévy-Leboyer. ↩
  5. Ce point fait l’objet d’une attention particulière dans les recollections d’Adolphe Thiers, Notes et Souvenirs, 1870-1873, 1901, accessible via Gallica. Page 124, il évoque à ce propos « une lutte dont je me souviendrai toute ma vie ». ↩
  6. On retrouve une estimation du taux d’intérêt moyen dans l’article de Vivien Levy-Garboua et Eric Monnet « Les Taux d’intérêts en France : Une perspective historique » publié en 2016 sur le site de l’AEF. Les taux d’intérêts nominaux semblent se situer entre 4,5% et 5.5% sur la période. Des taux similaires chez Léon Say, un contemporain qui utilise un taux de base de 5% pour ses calculs dans son rapport sur l’indemnité de guerre faite à la commission du budget en 1874. Pour lire ces calculs, voir G. Goschen & L. Say, Théorie des changes étrangers suivi du « Rapport fait au nom de la commission du budget », Guillaumin, 1896, accessible sur Gallica, p.354. ↩
  7. C’est sur les fondations du Palais de l’Industrie que le Petit Palais et le Grand Palais seront ultérieurement bâtis. ↩
  8. C’est le cas dans les numéros du 24, 28 juin 1871 et du 21, 27 juillet 1872 du Sémaphore Marseillais. ↩
  9. Guy de Rougemont y fait référence dans son ouvrage, Frères Lazard, Fayard, 2010. ↩
  10. Voir S. Reznikow, « Les envolées de la Bourse de Paris au XIXe siècle », Études et documents, II, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990, p.223-244. ↩
  11. Se référer au rapport de Léon Say cité au-dessus pour le détail des chiffres. G. Goschen & Léon Say, op.cit. ↩
  12. Jean Bouvier consacre au sujet une partie éclairante de son ouvrage, Le Crédit Lyonnais, 1863-1882, t. 1, Imprimerie Nationale, 1961, p. 409-417. ↩
  13. Paul Leroy-Beaulieu, « La dette publique de la France : Les origines, le développement de la dette et les moyens de l’atténuer », Revue des Deux Mondes (1829-1871), 6(4), 1874, 815-849. ↩
  14. Pour un panorama plus détaillé sur le renforcement du « crédit » de l’Etat français au cours du 19 siècle, voir Pierre-Cyrille Hautcoeur, Le marché financier français au XIXe siècle : Récit, Vol. 1, Publications de la Sorbonne, 2007. ↩
  15. Pour faire diminuer le montant de sa dette perpétuelle, l’Etat eut cependant recours à des conversions des titres de rentes détenues par ses créanciers ; les créanciers avaient toutefois le choix entre vendre leur titre à un prix supérieur au montant de leur achat ou accepter d’échanger ce titre contre un nouveau titre qui donnait droit à un versement perpétuel légèrement diminué. ↩
  16. L’Economiste Français, Volume I, Numéro 3, 3 mai 1873, p.70. ↩

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