A travers son discours de politique générale, le Premier ministre a manifesté une once de réalisme : tant sur l’incapacité de retrouver un déficit acceptable à court terme renvoyant l’objectif des 3 % de déficit en 2029 au mieux, que sur la priorité que constitue la baisse des dépenses publiques. L’État doit faire face à la réalité.
Le gouvernement annonce aujourd’hui un déficit 2024 qui devrait dépasser les 6 % du PIB. On assène des chiffres qui dépassent l’entendement et l’imagination des simples citoyens : 4 %, 5 %, 6 % du PIB, tout cela reste peu tangible.
Il semble nécessaire de rappeler quelques chiffres : ce sera cette année plus de 170 Mds d’€ de déficit, après 154 Mds d’€ en 2023 et 124 Mds d’€ en 2022.
De manière très concrète, plus de 20 % des dépenses de l’État ne sont pas financées chaque année.
Avec pour objectif 5 % de déficit en 2025, le gouvernement doit trouver 60 Mds d’€ d’économies et/ou de recettes sur le budget 2025. Or le gouvernement va seulement tenter de ramener le déficit à peine en dessous de 2023, certainement au prix d’immenses efforts. C’est aujourd’hui le tonneau des Danaïdes, avec des dépenses qui augmentent de manière exponentielle et un État obèse incapable de se réfréner.
D’autant plus que les dépenses s’emballent tirées par des charges d’intérêts qui croissent inévitablement et concomitamment à l’explosion de la dette, alimentés par la hausse des taux d’intérêts.
La baisse des dépenses de l’État doit être l’absolue nécessité.
Mais si le Premier ministre est resté très vague, certainement trop vague, il compte néanmoins revenir aux bonnes vieilles méthodes qui ont prouvé depuis des décennies leur inefficacité : au premier chef, la hausse des impôts avec 20 Mds d’€ de nouvelles recettes, c’est-à-dire la solution de facilité.
Ensuite, il esquisse une baisse des dépenses. On ne peut que s’en réjouir car ce sera le seul moyen de parvenir à un niveau de déficit acceptable. Parmi les pistes évoquées : une meilleure allocation des ressources et des moyens. Cela sous-entend une transformation structurelle de l’organisation de l’État à laquelle tout le monde adhère mais qu’aucun gouvernement n’a eu le courage de mener.
Les pistes sont nombreuses : en matière d’enseignement, au-delà du coût par élève nettement supérieur à celui d’autres pays européen, on peut mettre en avant la nécessaire refondation de l’enseignement supérieur alors que l’on continue d’accueillir des étudiants dans certaines filières sans débouchés. Si la gratuité de l’enseignement et le modèle français doit être préservés, cela ne doit pas être en pure perte mais bien dans un objectif d’investissement de l’État dans des ressources humaines qui participeront à la productivité de notre pays. Former des hordes d’étudiants qui ne travailleront jamais dans les domaines dans lesquels ils ont été formés à coups de millions d’argent public n’a pas de sens.
Il existe des pistes dans d’autres domaines comme dans les hôpitaux français, où 405 600 personnes (ETP) œuvrent à des tâches autres que médicales, soit 54 % de plus qu’en Allemagne, dont la population est pourtant près de 25 % supérieure à celle de la France selon des données de l’OCDE. De profondes réformes structurelles sont nécessaires.
Mais les pistes évoquées par Michel Barnier ne seraient-elles pas de simples vœux pieux ? Car au détour de certaines phrases, nous avons pu entendre le retour d’une marotte de nos politiques : le Premier ministre a demandé « à toutes les collectivités publiques de faire un effort pour le redressement des comptes publics ». Est-il anecdotique que dès le lendemain la Cour des comptes propose une cure d’austérité pour les collectivités locales ?
Il est vrai que chercher sur le dos des collectivités des baisses de dépenses que l’État est incapable de réaliser est devenu coutumier, et nous avons à présent l’habitude d’une surenchère de nos politiques sur le sujet, l’ancien ministre Bruno Lemaire ayant été un véritable virtuose en la matière.
« Le niveau d’endettement des collectivités locales augmente, cela pèse sur le niveau d’endettement global de la France » affirmait-il il y a encore quelques semaines. Répéter des inepties ne les rend pas pour autant vrai, sauf éventuellement auprès d’une audience méconnaissant quelques principes financiers. La ficelle est bien connue des politiques qui usent et abusent de l’argumentation ad nauseam, cette technique de rhétorique visant à manipuler l’opinion publique, en répétant une affirmation (souvent fausse ou infondée) jusqu’à ce qu’elle soit acceptée comme vraie par l’audience.
Les collectivités locales n’ont jamais été la source du problème : certes dans le budget de l’État, les Administrations Publiques Locales (APUL) représentent 6,4 % du déficit global de la France. Sauf que les APUL ne rassemblent pas uniquement les collectivités locales comme les communes, départements, intercommunalités, régions… elles comprennent également les établissements publics nationaux comme la Sociétés des grands projets (Société du Grand Paris) qui représentent 95 % de ce déficit. Cela est logique puisque les collectivités territoriales en tant que telles doivent réglementairement avoir des budgets annuels à l’équilibre, et ne peuvent donc pas être impliquées dans le déficit de l’État.
Sauf que la ficelle est bien grosse, et on voit déjà arriver la cure d’austérité imposée aux collectivités locales, à l’image de ce qu’avait fait Hollande en son temps.
Ainsi, l’État pourra diminuer ses dépenses au travers de la baisse des dotations aux collectivités, rendant les efforts toujours plus faciles à réaliser quand ils sont supportés par les autres.
Si telles sont les intentions de l’État faut-il s’étonner que nos concitoyens, comme en témoigne un récent sondage Odoxa publié le 19 septembre dernier, sont 84 % à être opposés à une augmentation d’impôts et 79 % favorables à une croissance d’impôts pour les plus riches ; en d’autres termes, favorables à faire payer les autres.
La Rochefoucault nous enseignait que « nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui. » S’il est facile pour l’État d’imposer aux autres des contraintes auxquelles il ne veut pas s’astreindre, ce qui a été vain depuis des décennies, la situation impose néanmoins de réelles réformes, car il ne faudrait pas à termes que ce soit l’incapacité de l’État à se financer qui oblige à une baisse des dépenses éventuellement ordonnée par les créanciers, ce qui serait extrêmement plus douloureux. Pour nombre de Français cette hypothèse n’est pas envisageable et dépasse même leur entendement, bercés par l’idée que « La France ne peut être la France sans grandeur. » comme disait de Gaulle. Sauf qu’elle risque d’être rattrapée par les lois de l’économie.
Dr Lionel Camblanne
Docteur en sciences de gestion, élu local, ancien maire, spécialiste des collectivités locales
Dr Frédéric Dosquet
Docteur en sciences de gestion, Hdr (direction de thèses doctorales), Auteur de 19 livres dont Marketing et communication politique, Ems, 3eme édition
Thierry Debergé
Enseignant-chercheur Imagine Campus
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